Que savait vraiment la direction de BFMTV, incarnée par Marc-Olivier Fogiel, de la vraie fausse rétractation de Ziad Takieddine dans le volet libyen du financement de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy ? Dans quelle conditions a-t-elle diffusé cette séquence "en exclusivité" le 11 novembre 2020 sur son antenne ? A-t-elle été victime ou complice de cette machination médiatique ? Telles sont les questions qui agitent – depuis la publication d'une enquête de "Mediapart" le 10 juillet 2024 – la rédaction de la chaîne info qui tente de comprendre les coulisses de ce vrai faux scoop.
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Ce mardi 16 juillet, le média d'investigation en ligne a enfoncé le clou en publiant l'intégralité de l'interview de Ziad Takieddine – BFMTV, elle, n'avait diffusé à l'antenne qu'un extrait de 32 secondes – "qui n'a jamais été montrée par la direction au reste de la rédaction". Cette affirmation, contestée par l'état-major de la chaîne info, n'a pas pu, "en l'état", être établie par la Société des journalistes de BFMTV.
Dans une communication interne, à laquelle puremedias.com a eu accès, cette dernière a en effet rapporté aux salariés le résultat de ses investigations. "Après avoir parlé avec les différents protagonistes en interne", elle assure que "les éléments recoupés ne permettent pas de confirmer la 'manipulation' que dénonce 'Mediapart'", écrit la SDJ.
Le site, rappelle-t-elle, "affirme en substance que la direction a reçu une interview de (Ziad Takieddine de) 6 minutes environ, l'a cachée à la rédaction, et en a monté une version courte volontairement pro-Sarkozy".
Ce à quoi "la direction dément avoir donné toute consigne éditoriale", écrit la SDJ. Une version "confirmée par les journalistes de la rédaction qui ont travaillé à l'époque sur ces rétractations", affirme l'organisation qui déroule ensuite le fil des événements.
"La direction indique avoir donné l'intégralité de l'interview de Ziad Takieddine reçue, composée de deux fichiers (2 minutes + 4 minutes environ), aux journalistes qui ont travaillé dessus. Ces journalistes et la rédaction en chef ont fait un travail de montage à partir de ces rushs, et ont extrait une trentaine de secondes, diffusée à l'antenne ensuite", rapporte la SDJ, qui précise néanmoins qu'"à l'heure actuelle, seul le fichier de 4 minutes est encore" dans la base de données commune à la rédaction.
La SDJ précise aussi que les journalistes de l'époque ont cherché à contextualiser ce témoignage de Ziad Takieddine. "Dans les heures qui ont précédé la diffusion", est en mesure d'affirmer la SDJ, "les journalistes qui ont travaillé sur ce dossier ont contacté le Parquet national financier et l'avocate de Ziad Takieddine, qui n'étaient pas au courant de ces (fausses) rétractations. Takieddine, lui, n'était pas joignable".
Une version qui tranche avec celle de Romain Verley. Dans "Complément d'enquête", magazine de France 2 sur le thème "Opération 'Sauver Sarko' : Les coulisses d'un fiasco", l'ancien rédacteur en chef de BFMTV (2019-2021), à l'époque en charge de la tranche du soir, avait déclaré il y a plusieurs mois avoir reçu un "sonore prémâché" de 29 secondes. "C'est une décision de la rédaction en chef de BFMTV et de la direction de l'information de le mettre en l'antenne. Donc on le met à l'antenne", racontait-il il y a quelques mois.
Pour "Médiapart", il n'y a aucun doute, ces "images inédites montrent l'ampleur de la manipulation de BFMTV". "Les rushs de l'entretien (...) révèlent que BFMTV a non seulement relayé sans aucune vérification les propos douteux de l'intermédiaire (dont il est aujourd'hui avéré qu'il avait reçu des promesses de contreparties financières pour se dédire), mais que la chaîne a aussi sciemment coupé d'autres passages de l'entretien qui ne collaient pas au narratif du clan Sarkozy", écrit "Médiapart". La direction de BFMTV, poursuit le média d'investigation, "a coupé de son montage tous les passages dans lesquels Ziad Takieddine soutient que les fonds libyens n'ont pas été versés à Nicolas Sarkozy... mais à son bras droit, Claude Guéant".
La SDJ de BFMTV a confronté les décisionnaires de l'époque à ces allégations. Il en ressort, écrit-elle, que "Ziad Takieddine ayant déjà dit par le passé qu'il avait versé de l'argent à Claude Guéant pour des contrats de sécurité entre la France et la Libye, la rédaction en chef n'a pas estimé nécessaire de remettre ce passage dans l'extrait diffusé, et a choisi de ne diffuser que les rétractations envers Nicolas Sarkozy". De plus, se défend la direction auprès de la SDJ qui a pu le vérifier, "en plateau, Sarah-Lou Cohen, alors cheffe du service police-justice de BFMTV, a recontextualisé qui était le personnage Ziad Takieddine, quels étaient les autres éléments à charge contre Nicolas Sarkozy, etc".
Depuis la publication le 10 juillet par "Mediapart" de SMS échangés entre des cadres de la chaîne info et l'entourage de Nicolas Sarkozy avant, pendant et après la diffusion de la fausse rétractation de Ziad Takieddine, Marc-Olivier Fogiel ne cesse de défendre le travail "journalistiquement irréprochable" de la rédaction de BFMTV.
Le directeur général du canal 15 l'a répété ce mardi 16 juillet devant l'Arcom, qui l'auditionnait dans le cadre du renouvellement de fréquences de la TNT prévu en 2025 et auquel BFMTV est candidate. Pour "Médiapart", ils reflètent surtout l'aveuglement de BFMTV face à une tentative de réhabilitation de l'ancien chef de l'État, dont le procès devrait démarrer en janvier 2025.
Quelques heures après la révélation de ces textos, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la CGT de RMC-BFM se disaient "consternés" et "stupéfaits" de découvrir "le clair soutien de certains membres de la direction envers Nicolas Sarkozy au moment de la fausse rétractation de Ziad Takieddine". La Société des journalistes de BFMTV déplorait, de son côté le jeudi 11 juillet, que "ces révélations ternissent l'image de la rédaction".