BFMTV, via Marc-Olivier Fogiel, Ruth Elkrief et Bruno Jeudy, a-t-elle outrepassé son rôle en participant à la réhabilitation de Nicolas Sarkozy à l'heure de la rétractation organisée de Ziad Takieddine ? Quelques heures après la révélation, par "Mediapart" ce 10 juillet 2024, de textos échangés à l'automne 2020 entre des membres de la direction ainsi que des éditorialistes de la chaîne info avec l'entourage de Nicolas Sarkozy, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la CGT de RMC-BFM se disent "consternés" et "stupéfaits" de découvrir "le clair soutien de certains membres de la direction envers Nicolas Sarkozy au moment de la fausse rétractation de Ziad Takieddine". La Société des journalistes de BFMTV déplore, de son côté ce jeudi 11 juillet, que "ces révélations ternissent l'image de la rédaction".
Dans son enquête, "Mediapart" fait en effet le récit des jours précédant le 11 novembre 2020, date de la diffusion en exclusivité par BFMTV d'une déclaration choc de Ziad Takieddine.
Dans cette courte séquence de 32 secondes tournée à Beyrouth, on peut ainsi entendre l'intermédiaire libyen, principal témoin à charge dans l'affaire du financement par le régime libyen de Mouammar Kadhafi de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy, revenir sur ses précédentes déclarations, portant ainsi un sacré coup aux accusations pesant sur l'ancien chef de l'État.
Sauf que cette rétractation de Ziad Takieddine, tombée comme un cadeau du ciel pour Nicolas Sarkozy, aurait été chèrement négociée. "Il a été promis des millions d'euros (à l'intermédiaire libyen) pour qu'il dédouane l'ancien président dans l'affaire libyenne", relate le média d'investigation, qui remonte ensuite le fil de la fabrication de ce "faux scoop" relayé en premier lieu par "Paris Match" et BFMTV.
Trois semaines plus tôt, le 16 octobre 2020, jour de l'annonce par "Mediapart" de la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'affaire libyenne (pour association de malfaiteurs), Ruth Elkrief, éditorialiste chez LCI qui officiait à l'époque à BFMTV, puis Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFMTV, auraient tour à tour pris attache avec Véronique Waché, l'attaché de presse de l'ancien président de la République.
"Chère Véronique, je suis là, je pense à vous, et si vous avez envie de vous exprimer je suis à votre disposition, on peut monter ce que vous voulez ! Je t'embrasse fort et transmets mes amitiés à NS", aurait envoyé Ruth Elkrief à cette dernière.
Cette délicate attention serait-elle une preuve de la proximité supposée entre l'éditorialiste – et plus généralement la chaîne – avec l'ancien chef de l'État ? Ruth Elkrief y voit une relation "cordiale", confie-t-elle à "Mediapart". "Quand je propose de 'monter ce que vous voulez' (à Nicolas Sarkozy), c'est-à-dire que je propose d'organiser l'interview dans les conditions qu'il préfère, dans son bureau ou en plateau par exemple", s'est-elle encore défendue.
Au soir du 11 novembre 2020, une fois la vidéo mettant en scène la rétractation de Ziad Takieddine diffusée, Véronique Waché et Marc-Olivier Fogiel échangent par SMS sur le meilleur timing de diffusion d'une interview de Nicolas Sarkozy par Ruth Elkrief. "Il faut battre le fer tant qu'il est chaud", estime Véronique Waché. "S'il parle à Ruth, on le multidiffusera. Donc peu importe la 1ère diff j'allais te dire mais il pourrait par ex 19h d'abord (...) ce serait quoi ton calendrier", demande ainsi le directeur général de BFMTV, promettant à son interlocutrice de "bastonner (l'interview) dès que c'est prêt".
En plateau, Bruno Jeudy, éditorialiste régulier de la chaîne d'information en continu, semble, de son côté, commenter la vidéo de Ziad Takieddine sous influence de Véronique Waché, allant jusqu'à critiquer sa consoeur Sarah-Lou Cohen lorsque la cheffe du service police-justice de BFMTV relativise l'importance de la rétractation de Ziad Takieddine. Ses propos tenus auprès de Véronique Waché dans la foulée de la diffusion ont été faits "à chaud, forcément maladroits, et non destinés au public", a rétorqué le directeur de "La Tribune dimanche" à "Médiapart".
Quarante-huit heures plus tard, le 13 novembre 2020, Ruth Elkrief interviewe Nicolas Sarkozy, qui se demande oralement s'il est "normal qu'un ancien président de la République soit traîné dans la boue (comme il l'est)". L'opération de réhabilitation est en marche, l'interview est reprise partout. "Je pense vraiment que c'est un moment décisif dans sa défense et qui fera date. À chaque fois d'ailleurs maintenant que vous aurez à traiter l'affaire libyenne vous pourrez reprendre des morceaux. Fondamental aussi !", écrit le lendemain Véronique Waché à Marc-Olivier Fogiel qui prendra soin de la rassurer deux jours plus tard quand Edwy Plenel, président et confondateur de "Mediapart", à l'origine de révélations sur l'affaire en question, a été reçu en plateau sur BFMTV.
Avec le recul, le directeur général de BFMTV ne perçoit "aucune complaisance de la part de Ruth Elkrief lors de l'interview de Nicolas Sarkozy", a-t-il répondu aux remarques de la SDJ, selon des éléments que puremedias.com a pu consulter. L'ancien anchorman de RTL défend "un traitement irréprochable de l'affaire sur BFMTV".
Remontés, le SNJ et la CGT de BFM RMC ne sont pas convaincus et voient de la "compromission" dans ces échanges entre l'état major de BFMTV et l'entourage de Nicolas Sarkozy. "Marc-Olivier Fogiel entache la crédibilité de toute la rédaction", estiment-ils. "Ces échanges démontrent que Marc-Olivier Fogiel s'est servi de l'antenne de BFMTV pour rendre service à ses connaissances au mépris de nombreuses règles déontologiques", s'indignent-ils, réclamant des "garanties d'indépendance totale pour les journalistes de BFMTV".
À ces reproches, Marc-Olivier Fogiel de rétorquer : "Pour que la rédaction puisse travailler en toute indépendance, le rôle de la structure est de la protéger de toutes les pressions extérieures en traitant les personnalités politiques et leur entourage (...) La relation, en fonction des moments, peut être tendue, offensive ou au contraire plus ronde. La frontière est assez simple. Jamais, ce qui se passe en coulisses pour calmer, rassurer ou renvoyer dans leurs buts les interlocuteurs n'a une incidence sur le traitement (...) La complicité qui apparaît avec (Véronique Waché) s'explique par la nécessité de convaincre Nicolas Sarkozy d'accorder cette interview".