C'est LE numéro qui fait parler depuis quelques jours. Jeudi dernier, "Society" a publié un numéro spécial dédié à l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès, du nom du quintuple meurtre non élucidé survenu à Nantes en 2011 et dont le principal suspect n'a toujours pas été retrouvé. Un deuxième numéro sur la même affaire sera en vente dès ce jeudi. Ce week-end, de nombreux internautes ont salué le travail des journalistes du magazine et certains ont même évoqué des ruptures de stock dans des points de vente. Ce lundi, Franck Annese, patron du groupe SoPress qui édite "Society", se confie auprès de puremedias.com pour commenter ce succès.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Vous attendiez-vous à un tel engouement ?
Franck Annese : Honnêtement, non. J'étais sûr que ça marcherait, mais pas à ce point-là.
Est-ce un vrai carton ou une bulle sur Twitter ?
C'est la première fois dans l'histoire de SoPress qu'on réimprime. J'ai envie de vous dire que c'est plutôt un vrai carton.
Avez-vous eu des premiers chiffres de vente ?
Non. On a des chiffres qui sont uniquement les ventes scannées sur un panel. Sur celui-ci, on sait qu'on en a vendu 20.000. Donc, si on extrapole un peu, on peut imaginer a priori être à 35.000 ventes. Je ne peux pas savoir précisément. C'est plutôt pas mal, surtout en trois jours.
"Une chasse au trésor s'est instaurée sur les réseaux sociaux."
Avez-vous mis les moyens en communication sur ce numéro ?
Pas plus que d'habitude. Il y a eu une petite campagne de communication. On a claqué un peu d'argent. On met toujours de l'argent en communication. Sur les réseaux sociaux, il y a eu une espèce d'engouement qui fait que ça a encore plus poussé le phénomène, à un point inédit. Le numéro y est pour beaucoup. Le sujet est ouf ! Il y a forcément un impact lié au numéro en lui-même. Ensuite, pourquoi y a-t-il a un engouement à ce point ? Sur les réseaux sociaux, il y a une sorte de chasse au trésor qui s'est instaurée. Nous n'avons pas du tout fait un marketing de la pénurie. Involontairement, les ventes ont dépassé nos espérances. Il y a plusieurs points de vente qui se sont retrouvés en rupture et même des gens qui ne le trouvaient pas du tout. Il y est pourtant dans certains points de vente, il n'est pas en rupture complète. Aujourd'hui, on a 3.400 points de vente en rupture. C'est beaucoup quand même. Les gens ne trouvent donc pas le numéro. Ils le disent sur Twitter : "Putain ! Il me le faut absolument, je ne le trouve pas ! Merde !". C'est ensuite la folie des réseaux sociaux. Chasse au trésor. Engouement.
Combien de réimpressions avez-vous prévu ?
C'est un numéro un peu spécial car c'est une série, avec deux numéros sur le même thème. Forcément, si on veut lire le numéro deux, il faut avoir lu le numéro un. Dès maintenant, on est obligé de faire une réimpression et on va peut-être devoir en faire une deuxième jeudi. Il va falloir approvisionner ceux qui auront le numéro deux, mais pas le numéro un. Nous partons ainsi en ce début de semaine sur 30.000 réimpressions.
Va-t-on vers un record de ventes pour "Society" ?
Record de ventes, je ne pense pas parce que le tout premier numéro de "Society" est difficile à dépasser. Aujourd'hui, c'est impossible de vendre 100.000 exemplaires en kiosques. Je ne pense pas qu'on atteindra ce nombre, même si les ventes numériques ont l'air super. On va vendre beaucoup, mais pas 100.000. Ça serait ouf ! Je nous le souhaite ! 100.000, ce serait incroyable ! Mais je n'y crois pas. Déjà si on fait 60.000 en kiosques, ce serait fou.
"Xavier Dupont de Ligonnès nourrit un tas de fantasmes et de maux de l'époque qui en font un cas unique."
Combien de temps a pris l'enquête ?
Quatre ans et quatre journalistes étaient dessus.
A quel moment est-ce que ces journalistes se sont dit qu'il y avait des choses à raconter sur cette affaire ?
Depuis le début, parce qu'il n'est pas retrouvé ! (rire) C'est logique. Nous, on est des bleus. On n'est pas des futés. Si on nous dit que le mec n'est pas retrouvé, on dit : "Ok, on va le retrouver".
Mais comment trouver de nouvelles informations lorsque l'affaire a fait l'objet de nombreuses autres enquêtes dans les médias depuis près de 10 ans ?
On est sûr de trouver des nouvelles informations à partir du moment où on se dit qu'on veut le retrouver et qu'on met les moyens pour. Forcément, on se retrouve à réinterroger les témoins, à aller chercher des pistes qui n'ont pas été explorées. Pendant quatre ans, on trouve des trucs ! Puis, on a coopéré avec la police. On a fait ça correctement. Dès le départ, on leur a expliqué notre démarche. Ils connaissaient "Society", ils nous aimaient bien. On a mis en place une vraie poursuite de Xavier Dupont de Ligonnès.
Pourquoi Xavier Dupont de Ligonnès fascine-t-il autant ?
Il n'est pas retrouvé. C'est un mystère absolu. C'est comme l'affaire Jean-Claude Romand. Ce sont des histoires de fuite en avant, qui sont forcément très humaines. Ici, nous plongeons dans un milieu très particulier, bourgeois et religieux. La famille est très mystérieuse. Ça nourrit une sorte de fascination et d'intérêt pour ce genre de milieu. Par ailleurs, ce qu'il fait - qui est horrible - peut être analysé et imaginé par tout le monde. Ce sont des gens dans des fuites en avant, tout le temps. Ils ont peur de se retrouver face à leur vérité. Ils n'arrivent pas à être les hommes qu'ils voudraient être. Ce sont des symboles d'une société patriarcale où le père est celui qui fait vivre la famille. C'est un poids sur les épaules assez fort. Il y a tout une symbolique de l'échec. Jean-Claude Romand ment dès le début et il ne veut pas avouer ses mensonges. Xavier Dupont de Ligonnès, c'est un peu différent. Ce n'est pas qu'une histoire de mensonges, c'est une histoire d'échec. C'est un homme qui veut être plus fort, plus beau, plus riche et plus puissant qu'il ne l'est. Il rêve d'une vie à laquelle il ne peut pas prétendre économiquement. Il s'empêtre dans des trucs qui sont les maux de notre société, comme le crédit à la consommation. Il a une fascination pour la start-up et l'explosion d'internet. Il est au croisement de plein de choses de l'époque : la fin de la société patriarcale, le business sur internet, la bourgeoisie qui s'éteint, la noblesse défortunée. Tout ça se mêle à une famille nombreuse, en même temps recomposée à moitié. Il a une vie sexuelle très compliquée. Il y a la religion par dessus. Il nourrit un tas de fantasmes et de maux de l'époque qui en font un cas unique. En plus de tout ça, il disparaît ! On veut savoir qui est ce mec et comment il en est arrivé là !
Savez-vous où se trouve aujourd'hui Xavier Dupont de Ligonnès ?
Je ne peux pas te dire. (rire)
"On a perdu 5 millions d'euros de chiffre d'affaires à cause de l'épidémie."
Comptez-vous renouveler ce format avec une autre affaire ?
Non, non. Pas à ce point-là. Il n'y en a pas comme ça. Après, on ne fonctionne pas par recette. Ce numéro-là, il va se vendre de manière anormale. On retrouvera ensuite notre niveau de vente. On espère un peu mieux car on fait aussi connaître ce titre à des gens qui ne le connaissent pas d'habitude avec ce numéro sur Dupont de Ligonnès.
Ce numéro est-il pour vous une preuve que la presse peut encore survivre à sa fameuse crise ?
Oui. Je le dis à chaque fois. La presse marche quand elle fait événement. Ce n'est pas un média de temps court, mais de temps long. C'est un article qui fait 100.000 signes. Et le numéro deux fera aussi 100.00 signes. On fait 200.000 signes qui fascinent les gens.
Selon les chiffres de l'OJD/ACPM, les ventes de "Society" sont aujourd'hui orientées à la baisse...
Finalement, on n'a pas tant baissé que ça. En 2015, l'année de lancement, on doit être à 50.000 exemplaires tous les quinze jours, à peu près. Aujourd'hui, on doit être à 47.000. Les calculs de consommation ont par contre changé. Les gens s'abonnent plus parce qu'ils trouvent moins les magazines en kiosque. Ils lisent plus en numérique également. Nous, on s'adresse à une génération. Nous n'avons pas la structure d'un lectorat de "L'Obs" ou du "Point", qui sont des gens de 65 ans qui ne savent pas se servir d'un smartphone ou d'une tablette. Notre lectorat, il a 25 piges. Les mecs lisent sur leur tablette ou leur smartphone. Ils achètent leur magazine sur Cafeyn ou sur les applications, et n'achètent plus en kiosque. Donc, il y a des ventes en kiosque qui diminuent, mais des abonnements en numérique qui progressent. Au final, nous perdons assez peu de ventes !
Comment le magazine se porte-t-il financièrement ?
S'il ne se portait pas bien, il serait arrêté. C'est assez simple. Dès que j'ai un titre qui perd de l'argent, je l'arrête. Je n'ai pas les moyens de faire en sorte qu'il perde de l'argent.
Globalement, comment le groupe SoPress a-t-il fait face à l'épidémie ?
On a perdu beaucoup d'argent, forcément, comme tout le monde. On en avait un peu de côté. On ne va pas licencier. On va juste embaucher deux personnes, ce qui est peu pour nous. Sinon, il n'y a pas eu de changements particuliers. On fonctionne toujours pareil. Par contre, on a perdu du chiffre d'affaires potentiel. Oui, on a perdu 5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Mais ce ne sont pas des pertes. En général, nous faisons 20 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ça représente un quart quand même. Il nous reste encore quelques mois pour performer. On va essayer d'en perdre le moins possible. C'est la première année depuis longtemps que l'on perd de l'argent.