Interview
Gilles Bouleau (P1) : "Je suis candidat à la présentation du débat de l'entre-deux-tours"
Publié le 4 avril 2022 à 15:13
Par Ludovic Galtier Lloret | Journaliste
Né en Isère entre le tirage de la première boule noire de l'histoire de "Motus" et la première visite de candidats à "Fort Boyard", Ludovic Galtier est journaliste à Puremédias depuis octobre 2021. Il est passionné par la politique, l'économie des médias et leur stratégie de programmation.
Le présentateur du "20 Heures" de TF1 accorde une interview à puremedias.com.
Gilles Bouleau © TF1
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Une dizaine de jours après ses 60 ans, Gilles Bouleau soufflera, le 4 juin prochain, sa 10e bougie à la tête du "20 Heures" de TF1. C'est en tant que joker de Laurence Ferrari, en partance pour le groupe Canal+, que celui qui fut correspondant à Washington et à Londres pour la chaîne, a endossé le costume du présentateur du premier JT de France. D'ici cette date anniversaire, le journaliste bûche sur la fin de la campagne présidentielle, dont il compte bien être l'un des animateurs, en s'installant, il l'espère, dans l'un des deux sièges d'arbitre du débat de l'entre-deux-tours. Dans cette première partie, le journaliste commente auprès de puremedias.com cette campagne politique qu'il qualifie de "fantôme".

Propos recueillis par Ludovic Galtier

puremedias.com : On entre dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle. Pourriez-vous la résumer en un titre de presse ?
Gilles Bouleau : Il y a un épisode de "La guerre des étoiles" qui s'appelle "La menace fantôme", c'est un peu la campagne fantôme.

Comment l'expliquez-vous ?
Il y a une campagne et un enjeu démocratique extrêmement importants. Les gens ne le savent pas en France mais de tous les pays démocratiques, c'est celui dans lequel le nombre de candidats qualifiés, en l'occurrence ceux qui ont leurs 500 parrainages, est le plus grand. C'est celui dans lequel le spectre politique à disposition des électeurs est le plus large. Mais que faut-il de plus ? Quand les gens me disent "Ça ne m'intéresse pas, personne ne me correspond...", mais lancez-vous dans la bataille au nom des amateurs de montgolfière et de pêche à la ligne... Il y a beaucoup d'autres pays où le système de tamisage est beaucoup plus violent et où à la fin restent en fait deux gros poids lourds : Les États-Unis, la Grande-Bretagne et même l'Allemagne, où c'est un jeu à trois. Quelquefois, je suis un peu sévère avec mes amis ou les Français qui disent : "On n'a pas le choix, ce n'est pas intéressant...". Mais vous avez tout le choix du monde !

Vous ne comprenez donc pas un électeur qui s'abstiendrait au premier tour le 10 avril ?
J'admets tout. Mais en tant que citoyen, j'ai un peu de mal à comprendre que l'on s'abstienne en se disant : "Aucun des candidats n'est à mon goût". J'ai du mal, j'ai du mal...

"Les éléments du résultat final de l'élection sont dans 'La France face à la guerre'" Gilles Bouleau

Avec un président sortant happé par la guerre en Ukraine et qui refuse de débattre, cette campagne présidentielle a-t-elle été pour TF1 moins aisée à traiter que celle de 2017 ?
Elle a été très différente. En 2017, la campagne avait commencé - vous allez rire parce que c'est le paléolithique - en juin 2016 avec un homme qui assurément allait être le prochain président de la République : Alain Juppé. Et oui, c'est vieux. Il y avait cette quasi-certitude telle qu'énoncée par les sociologues et les spécialistes des médias. Et après, cela a été le début d'un western politique fou. J'étais en état d'épuisement à partir d'octobre-novembre 2016 (TF1 avait en octobre 2016 organisé le débat de la primaire de la droite, ndlr). Nous n'avons pas eu cette dramaturgie. Donc oui, cette campagne de 2022 a été plus difficile à traiter puisqu'il a été plus difficile d'en saisir les enjeux et de les présenter clairement. Quand vous avez un des protagonistes principaux (Emmanuel Macron, ndlr) qui n'est pas vraiment dans le débat, même si son ombre portée est un peu partout, ça complique les enjeux. Les téléspectateurs se disent : "Non, mais attendez, je veux voir un débat avec tout le monde". Ils n'ont pas eu cela.

Avec un seul prime time diffusé au cours de cette campagne, "La France face à la guerre" le 14 mars, TF1 a-t-elle été, d'après vous, la chaîne de la présidentielle ? À de nombreuses reprises, France 2 a consacré sa soirée du jeudi à "Élysée 2022", son format présidentiel...
On a eu les huit principaux candidats qui, dans un climat d'équité et même d'égalité, ont pu montrer plein de choses. Je trouve que le débat de mars 2017, le débat à cinq, a résumé toute la campagne électorale de 2017. Tout ce qui est apparu de manière évidente dans la gestuelle, dans la problématique et dans les rapports entre les candidats, s'est cristallisé et a donné le résultat final. Dans "La France face à la guerre", les téléspectateurs ont eu l'argumentaire des uns et des autres mais aussi l'aisance, le langage corporel et la manière de se comporter des candidats. Je pense que les éléments du résultat final sont dans cette émission.

"Je poursuis en justice ceux qui menacent sur les réseaux sociaux" Gilles Bouleau

Éric Zemmour a quitté TF1 après son interview d'entrée en campagne en vous traitant de "connard" hors plateau. La violence de certains politiques à l'égard des journalistes vous préoccupe-t-elle ?
Je ne veux pas avoir une défense corporatiste des journalistes. Mais la première chose que fait un dictateur quand il arrive au pouvoir, c'est de supprimer les journalistes. Ce n'est pas par hasard. Après, ce n'est pas un phénomène nouveau. Je le date de la campagne de 2017. Elle a été difficile pour les journalistes parce qu'un certain nombre de candidats, y compris certains comme François Fillon que l'on ne voyait pas venir dans ce registre, ont proféré des injures à mon égard et à l'égard d'autres. En 2017, c'était déjà assez violent. La première chose qu'il fallait faire après avoir reçu en plateau tel homme ou telle femme politique, c'était de couper les réseaux sociaux. On s'y habitue mais moi je n'ai jamais trouvé cela normal.

Avez-vous continué à consulter les réseaux sociaux ?
Oui. Je poursuis en justice ceux qui menacent. Je suis d'une génération qui, quand quelqu'un vous injurie en public, applique le Code pénal. Quelqu'un injurie, diffame ou menace sur les réseaux sociaux, pour moi, c'est la même chose que dans le réel. C'est 17e chambre correctionnelle et je poursuis. Cette campagne de 2022 est un peu comme la précédente. Certains candidats, eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs proches ou de leur camp, peuvent dire : "Voilà, il y a un système médiatique qui est contre moi, etc.". Il faut vivre avec et il faut être serein. Eux-mêmes savent que ce n'est pas totalement vrai. Leurs partisans savent que ça fait partie du jeu. Quand vous n'êtes pas bien dans un sondage ou que vous faites une boulette, dites quelque chose qui est inapproprié dans une campagne, vous pourrez tenir les médias pour responsables d'avoir répercuté cette boulette.

"Je ne veux pas avoir d'affect, de contentieux et encore moins de complicité et d'amitié avec les politiques" Gilles Bouleau

Avez-vous compris les critiques à votre endroit de certains confrères journalistes ? Alain Duhamel, par exemple, s'est dit à la fois "surpris" et "choqué" par la "façon dont s'est passée l'interview" avec Eric Zemmour lors de sa déclaration de candidature.
Par conscience professionnelle, je suis très sensible à la critique. C'est-à-dire que je suis un artisan. Si j'ai monté un mur de guingois et que l'on voie les raccords de peinture, je pense que j'ai mal fait mon travail. Si un autre artisan me dit "Vous avez mal fait votre travail", j'y suis sensible. Ayant dit cela, en l'occurrence, non, je n'ai pas compris les critiques concernant cette interview d'Eric Zemmour. J'ai fait mon boulot. Tous les candidats qui étaient venus dans le cadre du journal savaient qu'il y a une contrainte terrible, très dure, physiquement et intellectuellement pour les candidats, qui est la contrainte du temps. Et les candidats doivent être préparés à la brièveté des échanges. Le souvenir que j'ai de cette interview est d'avoir posé les questions qui devaient être posées puisque le jour même, Éric Zemmour avait publié sa vidéo. J'ai donc parlé de sa vidéo. Trois jours avant, un dimanche, il avait fait un geste inapproprié (un doigt d'honneur, ndlr). A ma connaissance, personne ne l'avait interrogé sur le sens de ce geste. Je n'ai pas trouvé les critiques concernant cette interview très pertinentes. Quand certains ont dit qu'il ne fallait pas poser telle ou telle question, je me suis permis de ne pas être d'accord.

Auriez-vous interrogé Emmanuel Macron, Valérie Pécresse ou Anne Hidalgo avec le même ton ?
Si n'importe quel autre candidat avait fait la même chose, je lui aurais posé la même question avec les mêmes termes. Ni plus, ni moins. Je n'ai aucune espèce de contentieux avec Éric Zemmour que je n'avais jamais vu de ma vie. Je n'ai jamais eu maille à partir avec lui, je ne le connaissais pas. Je croise le moins possible les politiques. Je ne veux pas avoir d'affect, de contentieux et encore moins de complicité et d'amitié. Je pense d'ailleurs que les politiques m'en savent gré. Je ne suis pas connoté, je ne suis pas un ignoble de droite, de gauche ou du milieu puisque ce n'est pas mon moteur en interviewant les politiques. J'essaie de créer de l'information, je ne suis pas leur adversaire. Je ne suis pas l'adversaire d'Éric Zemmour.

Éric Zemmour s'est-il excusé ?
Non, mais on s'est revu après. On a discuté de manière très polie de politique.

"Je ne suis pas là pour mâcher un chewing-gum qui est mâché depuis trois jours" Gilles Bouleau

Surentrainés et fin connaisseurs du monde médiatique, les candidats à la présidentielle verrouillent de plus en plus leur communication. Cela ne vous désespère-t-il pas lorsque vous préparez une interview ?
Je ne désespère jamais, je considère que c'est une défaite de ma part si je n'arrive pas à faire craquer un peu le vernis. Les candidats à la présidentielle sont surexposés. Ils ont des discours assez rodés et vous essayez ou dans le procédé ou dans la mise en scène ou dans la manière dont vous l'interrogez, de faire en sorte qu'il y ait une certaine fraîcheur. Et eux-mêmes en sont reconnaissants. Ça ne les amuse pas de répéter dix fois la même chose. Il faut essayer de gratouiller sous les éléments de langage, de faire en sorte que la parole des politiques s'adressent vraiment à nos téléspectateurs. Je bosse pour les téléspectateurs. On travaille pour que tout soit intelligible et intéressant pour les téléspectateurs.

En ce sens, quel est le candidat le plus difficile à interviewer ?
Aucun en particulier. Vous avez affaire à des gens, qui pour certains sont naturellement très à l'aise. Jean-Luc Mélenchon est naturellement très à l'aise, il aime la joute verbale, il aime la langue française. Vous en avez d'autres qui, par nature, sont plus introvertis. Il faut presque les aider à clarifier leurs propos. D'autres sont extrêmement avenants mais confus, il faut donc les aider à accoucher d'une intervention claire. Ma seule boussole, ce n'est pas d'abaisser le discours politique, d'enfoncer tel ou tel politique, mais d'être au plus près des faits, de ce qu'ils ont dit, de leur programme et de la réalité. Il faut le rendre intéressant, pertinent et neuf. Je ne suis pas là pour mâcher un chewing-gum qui est mâché depuis trois jours.

Le 10 avril, vous présenterez la soirée électorale du premier tour avec Anne-Claire Coudray. On sait que c'est un moment solennel. Comment préparez-vous la dernière minute qui nous sépare du résultat le dimanche soir à 20h ? Répétez-vous ce moment là ?
Oui, on dit 'Michel Du Genou est le président de la République' (rires). C'est très important parce qu'il y a une forme de compte-à-rebours. Il y a une contrainte. Il y a une écriture. C'est très compliqué. Il y a plein d'éléments graphiques qui rentrent. On répète durant plusieurs jours ce qu'on appelle le "reveal", c'est-à-dire la révélation du résultat.

Ce que vous direz entre 19h59 et 20h est donc écrit ?
On est en train de l'écrire. Il y a des mots-clés à prononcer. On est dans une souplesse d'écriture pour la soirée. Il faut laisser vivre ce qu'il va se passer, ce que je ne connais pas. En revanche, cette partie-là, oui.

Qui prononcera le nom du président ou de la présidente le 24 avril ?
On s'est mis d'accord avec Anne-Claire puisqu'on l'avait fait en 2017. On s'est dit "J'ai fait ça, tu as fait ça". À toi de jouer... On inverse (Gilles Bouleau avait annoncé la victoire d'Emmanuel Macron en 2017, ndlr).

"Si quelque chose d'extraordinaire se passe lors du premier tour, l'antenne est ouverte" Gilles Bouleau

Autour de cette soirée, le choix de programmation fait parler. Pour la première fois, TF1 ne diffusera pas la présidentielle en prime time. N'est-ce pas, comme vous l'avez dit, le rôle d'une chaîne fédératrice comme TF1 de faire vivre cet événement avec l'exposition qu'il mérite ?
En dehors du 14-Juillet, ce sera l'émission d'information en direct la plus longue de l'année. Il y aura trois heures de direct sur ce premier tour de l'élection présidentielle. On y accorde énormément d'importance. La seconde chose, c'est qu'à partir de 20h nos efforts se portent sur le fait d'avoir les meilleurs invités, les résultats les plus clairs possibles, d'être dans les QG, d'avoir les réactions le plus rapidement possible et de donner du sens. Entre 20h et 21h30, nous aurons pleinement accomplie cette mission, sans frustration. À 21h30, tous ceux qui comptent auront réagi et tout ce qui aura changé dans l'équilibre politique sera dessiné. Je n'ai aucun regret là-dessus. La mission consistera pendant cette soirée à clarifier les enjeux, pas à les diluer. Le risque, quand on prolonge au-delà de 22h, 22h30 ou 23h, c'est d'être dans la paraphrase, dans la glaise, d'avoir le lieutenant de tel candidat qui va vous répéter avec des mots différents ce que le candidat a dit.

L'heure en plus que vous aviez proposé en 2017 était de l'artifice ?
Non, l'écriture télévisuelle a changé, les attentes des téléspectateurs et des électeurs ont changé. Il faut que l'on fasse ce travail d'analyse et de restitution. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'à 21h30, la substantifique moelle de ce qu'il faudra retenir aura été dit. Pour les aficionados, les gens qui veulent approfondir, ils basculent sur l'antenne de LCI jusqu'au bout de la nuit. Paradoxalement, ça rend la soirée difficile à construire. Chaque seconde compte. Il ne peut pas y avoir de flottement, d'analyse pas très intelligible ou d'invité dont on se dit "Ah, j'ai un regret, ce n'est pas le bon". On aura les meilleurs.

La soirée s'arrêtera à 21h20-21h30, quel que soit le scénario ?
Si une météorite tombe... Si quelque chose d'extraordinaire se passe, l'antenne est ouverte, bien sûr.

Les soirées politiques et électorales n'ont-elles pas vocation à terme à migrer sur LCI ?
Non. Les rendez-vous démocratiques importants ont toute leur place sur TF1.

Le dispositif sera-t-il identique pour le second tour ?
Who knows ? ("Qui sait ?", ndlr). Je pense que le second tour, c'est différent, on s'adaptera.

"Si le débat se présente, je le ferai avec grand plaisir" Gilles Bouleau

Gilles Bouleau, qu'avez-vous de prévu le mercredi 20 avril à 21h ?
J'ai un petit boulot (rires). Le 20 avril à 21h, je ne sais pas. Pour l'instant, je n'ai rien de prévu, je peux me rendre disponible.

Êtes-vous candidat à la présentation du débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle qui aura lieu ce soir-là ?
Ah oui, ah oui ! Je ne l'ai jamais fait. J'aime bien les contraintes. Le journalisme à la télévision, ce ne sont que des contraintes mais des contraintes créatives. Des contraintes de temps et d'intelligibilité. C'est l'exercice sans doute parmi les plus contraints.

Comment percevez-vous ce rôle souvent réduit au rang de passe-plats ?
C'est un rôle que je n'ai jamais tenu mais pour en avoir parlé avec ceux qui l'ont fait, c'est un rôle de garde suisse, de casque bleu, de facilitateur, évidemment de journaliste et de gardien d'un petit morceau du pilier du temple démocratique. Si quelque chose part dans une mauvaise direction, il faut maintenir la tenue de ce débat. Si la chose se présente, je le ferai avec grand plaisir.

Il y a cinq ans, Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq, respectivement à l'époque chef du service politique de TF1 et France 2, avaient été choisis par défaut, notamment après qu'Anne-Claire Coudray a été récusée par le camp de Marine Le Pen. Aujourd'hui, Anne-Sophie Lapix, votre concurrente de France 2, semblerait ne pas être en odeur de sainteté auprès d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, deux des candidats en mesure de se qualifier, selon les enquêtes d'opinion. Comprenez-vous que les candidats puissent mettre leur veto sur tel ou tel journaliste ?
D'abord, je ne suis pas convaincu que ce soit si écrit et aussi clair que cela. La complexité, c'est que les journalistes qui arbitrent ce débat doivent avoir une sorte d'assentiment des deux. Je ne sais pas... C'est toujours des discussions complexes, c'est vrai.

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