Interview
Cédric Tournay (Dailymotion) : "L'indépendance n'est pas une fin en soi"
Publié le 31 janvier 2011 à 18:50
Par Julien Bellver
Neutralité du net, détails du rapprochement avec Orange, procès avec TF1 : Cédric Tournay, CEO de Dailymotion détaille sur Puremédias les projets de la start-up française.
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La semaine dernière, Orange a annoncé être entré en négociations exclusives avec Dailymotion pour une prise de participation dans le capital de la start-up française. Rencontre avec Cédric Tournay, CEO de Dailymotion.

Vous avez annoncé un rapprochement avec Orange. Comment cela va-t-il se traduire concrètement pour les internautes ?
Pour les internautes de Dailymotion dans les prochains mois, il n'y aura pas forcément beaucoup de changements apparents. Dailymotion reste indépendant et continuera de fonctionner comme il fonctionne aujourd'hui. Tous nos contenus gratuits restent gratuits. Le changement qu'on espère visible dans les mois qui vont venir, c'est une extension de nos services. A la fois en termes technologiques - les proposer sur plusieurs écrans - et en termes géographiques. On espère, grâce à Orange, proposer de plus en plus de programmes attractifs pour nos internautes, dans le domaine des news, du cinéma, des sports, le divertissement au sens large.

Certains craignent l'émergence d'un modèle payant...
Quand je dis enrichissement des contenus, c'est selon le modèle actuel, gratuit. Cette alliance devrait nous permettre d'enrichir notre offre.



D'autres s'inquiètent du « principe de neutralité du net » qui serait mis à mal avec ce rapprochement. Vous êtes en mesure de garantir le contraire ?
Je le garantis, ça va sans dire ! La plupart des gens qui parlent de « net neutralité » ont du mal à imaginer ce qui est derrière. La stratégie de mise en avant des contenus sur Dailymotion est partiellement définie par les internautes eux-mêmes, ce sont les contenus les plus populaires qui sont mis en avant. On a des milliers d'accords de partenariats officiels notamment avec un très grand nombre de groupes médias. La richesse et la diversité, c'est ça. Nous mettons en avant les meilleurs contenus possibles. On reçoit 20..000 vidéos par jour, c'est cette profusion que nous devons organiser. Nous ne changerons pas nos pratiques !



La qualité de service sera la même quels que soient les contenus ?
Elle est la même pour tout le monde et partout, ce serait contre nos intérêts que de différencier certains contenus, d'ailleurs je ne sais pas comment on ferait. Notre intérêt, c'est que le service soit disponible partout, tout le temps, de la meilleure qualité possible, c'est à dire en pratique le plus rapidement possible. Ce serait se tirer une balle dans le pied que de vouloir remettre ça en cause. Sur toutes ces questions, beaucoup oublient que Dailymotion a été un des acteurs en tête dans ce combat pour la net neutralité. On a d'ailleurs été historiquement l'une des principales victimes de la remise en cause de la net neutralité de la part d'opérateurs. Les opérateurs qui ont mis en cause la net neutralité, ce n'était clairement pas Orange ! On a toujours défendu ce principe, c'est notre philosophie, notre vision. On sera indépendant et vigilant sur cet aspect. Orange sera au conseil d'administration mais Dailymotion reste une plateforme indépendante et autonome, même si Orange dispose d'une option pour prendre le contrôle de l'entreprise dans deux ans.

Stéphane Richard, PDG d'Orange a expliqué que si ce rapprochement n'avait pas eu lieu, Dailymotion aurait été racheté par les Américains. Vous êtiez en discussions avec d'autres acteurs ?
Oui, on a été en discussions avec des acteurs américains mais pas seulement. Je ne peux pas vous le dire mais on a beaucoup discuté aussi avec des acteurs européens. Il n'y a pas de scoop, depuis sa création en mars 2005, Dailymotion qui s'est imposée très vite comme un service populaire a toujours attiré les convoitises.



Google par exemple ?
Non, ils n'ont pas besoin de nous ! C'est un leader suffisamment dynamique et innovant, on s'entend très bien avec eux, ce sont des amis, mais ils n'ont pas forcément besoin de nous. Beaucoup d'autres se sont intéressés à Dailymotion en particulier depuis deux ans, c'est à dire depuis le moment où le marché internet, financier, les médias, se sont rendus compte que contrairement à une idée recue, le marché de la vidéo était en train de devenir un très beau marché. A la fois parce qu'il y a une très forte dynamique d'usage et une très forte dynamique publicitaire. Mais aussi parce que les champions comme Dailymotion qui ont réussi à se développer et faire des gains de productivité ont maintenant des structures de coût qui sont très vertueuses. Ca nous coûte de moins en moins cher de diffuser de la vidéo, les coûts marketings sont faibles et les revenus deviennent conséquents.

D'autres acteurs sont attendus dans le capital de Dailymotion ?
On a aussi dit avec Stéphane Richard lors de la conférence de presse que notre alliance était ouverte. Si un autre groupe média ou télécom veut nous rejoindre, nous sommes preneurs. Ce qui montre bien que nous sommes aujourd'hui une plateforme agnostique, coopérative, qui peut accueillir toutes les bonnes volontés. Si d'autres acteurs ont envie de nous rejoindre pour développer ce grand projet de plateforme vidéo multi écrans, on peut évidemment les accueillir.



Les grandes réussites de l'Internet sont elles condamnées à s'adosser à de grands groupes pour survivre ?
Pour moi, et c'est un jugement personnel en tant qu'entrepreneur, l'indépendance n'est pas une fin en soi. Ce qui compte c'est de pérenniser les actifs industriels, développer de beaux projets, avoir les moyens de ses ambitions et donner à ses collaborateurs un cadre de travail épanouissant. A partir du moment où on fait l'analyse que Dailymotion peut mieux réussir en étant allié d'Orange qu'en restant indépendant, on n'a pas hésité une seconde. Je trouve ça très positif, ça encourage des vocations. On voit se créer beaucoup de nouvelles start-up, beaucoup de nouveaux projets et c'est bon signe ! Ca veut dire que cet éco-système fonctionne, qu'il y a des investisseurs qui y croient. Ca veut dire aussi qu'il y a des groupes industriels qui se digitalisent donc tout ça est assez logique, sain et positif. Après, c'est bien aussi lorsqu'une start-up reste indépendante et parvient elle-même à devenir un grand groupe comme Google ou Facebook. Ce sont des destins fantastiques, on pourrait il est vrai espérer que des champions français s'affirment de cette manière.



Un procès vous oppose à TF1, est-ce que depuis vos déclarations musclées à la conférence de presse la chaîne a repris contact avec vous pour négocier ?
Absolument pas ! On n'a rien à craindre de cette plainte, on est très serein, c'est d'ailleurs une vieille histoire. Si TF1 a envie de travailler avec nous et change d'attitude par rapport à nous on les accueillera à bras ouverts mais c'est à eux de faire le premier pas, ce n'est pas à nous ! TF1 reste bloquée depuis des années sur l'idée que les plateformes vidéos ne devraient pas exister. TF1 est le dernier groupe avec qui on n'arrive pas à s'entendre, on travaille avec tout le monde. On trouve ça dommage mais Dailymotion a montré jusqu'à présent qu'il pouvait vivre sans TF1 donc ce n'est pas un très gros problème.

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