Portée par les attentats dramatiques du mois de novembre, France Info réalise une bonne vague d'audience en novembre/décembre 2015. Après une rentrée difficile, la radio gagne 640.000 auditeurs sur cette période. Laurent Guimier, le patron de France Info, revient sur ces chiffres et la couverture de ces attentats par sa rédaction ainsi que le projet de chaîne d'info continue avec France Télévisions.
Propos recueillis par Benoît Daragon.
puremedias.com : Avec 8,4 points d'audience (4,48 millions d'auditeurs cumulés), France Info enregistre sa plus forte vague depuis novembre/décembre 2012. Malgré le contexte dramatique, on imagine que c'est une satisfaction pour vos équipes ?
Laurent Guimier : Oui, c'est un bon chiffre, surtout quand on se souvient du chiffre de septembre/octobre dernier (7,2 points, ndlr)... On fait donc une progression de 1,2 point sur une vague, c'est du jamais vu dans l'histoire de France Info. On voit que le réflexe info est totalement revenu. On l'avait déjà pressenti lors des attentats contre "Charlie Hebdo" mais la grève avait rendu la vague d'audience illisible. Ca a l'air de rien comme ça mais ce réflexe avait disparu. En 2012, pendant l'affaire Merah puis la présidentielle, France Info n'avait pas enregistré de pic particulier.
Comment expliquez-vous ce yoyo entre ces deux dernières vagues ? Le fait d'avoir supprimé les chroniques magazines a-t-il pour conséquence de réduire les audiences quand l'actualité est calme ?
Ca s'appelle une chaîne info ! Cet effet de yoyo est amplifié par la grève qui a clairement vidé la salle au printemps dernier. J'espère qu'on a remonté l'escalier durablement. Mais toutes les chaînes info connaissent de tels pics d'audiences. C'est très positif. Par nature, l'audience d'une chaîne info est instable. Mais la question est de savoir quel est le plancher d'audience de France Info. Selon moi, il doit être au-dessus des 7,5 points.
Maintenant que le "réflexe info" est réinstallé, allez-vous retravailler votre grille froide pour limiter la casse quand l'actualité est calme ?
Non, il ne faut pas réinstaller de rendez-vous froids. Aujourd'hui, quand nous sommes en breaking news, la machine est huilée pour produire une bonne info de service public, parfaitement vérifiée, comme on l'a fait pendant les attentats. L'enjeu c'est de savoir produire un peu différemment l'information le reste de l'année, pour mieux traiter les actualités qui donnent l'impression de froid. On doit être capable de faire du décryptage en direct tous les jours. Pas du magazine hein ? Mais de l'analyse, des débats et avoir un invité en temps réel. Ce sera le travail de la rentrée prochaine. Les chroniques comme "Expliquez-nous" ou la chronique Histoire de Thomas Snégaroff doivent être au service de l'actualité sans basculer dans le magazine.
Vos journalistes sont lessivés après cette année 2015 éprouvante ?
Oui, ils sont fatigués, physiquement et moralement. Une partie de l'équipe a vécu des choses compliquée cette année...
Et parce que cette fois-ci ils ont fait davantage attention pour ne pas recevoir de carton jaune du CSA ?
Après les sanctions du mois de janvier (attribuées à l'ensemble des médias, ndlr), nous avons entamé des discussions avec le CSA sur la façon dont on travaille. Et puis sans doute nous avons été meilleurs en novembre. Nous nous sommes améliorés et nous avons été plus prudents.
Vous vous êtes améliorés ou la situation était tout simplement différente, avec un danger moins fort que lors de la double prise d'otages en direct du vendredi 9 janvier 2015 ?
On a abordé novembre avec plus de sérénité et de savoir-faire. Et entre novembre et janvier, nous avons mis en place des rocédures de vérification de l'info qui ont porté leurs fruits.
Le dimanche 15 novembre dernier, vous avez publié sur Twitter une "information France Info" qui disait que des "tirs" avaient lieu rue des Rosiers et rue de Rivoli à Paris. Ce qui s'est avéré faux. Le tweet n'a pas été supprimé mais l'information n'a pas été relayée à l'antenne. Que s'est-il passé ?
Le dimanche soir, nous étions encore en édition spéciale. Ces tirs étaient mentionnés sur Twitter, notamment par des personnalités - dont un élu local - qui ont des comptes certifiés. Les journalistes de notre service Police/Justice se sont mis à enquêter et se sont fait confirmer l'information par une source policière. Du coup on l'a tweetée. Et il faut toujours un petit temps entre le moment où on a l'info et le moment où elle arrive à l'antenne. Et pendant ces quelques minutes, l'info a été démentie. Tout simplement. On prend autant de précautions sur Twitter et sur notre antenne. C'était juste une mauvaise information. Je n'ai pas dit qu'on avait pas fait d'erreur, j'ai dit que nous nous étions améliorés. On n'a pas droit à l'erreur mais dire qu'il n'y a pas d'erreur est une imposture.
Vous avez travaillé sur la réduction de ce délai entre le moment où une info tombe et le moment où elle arrive à l'antenne ?
Oui ! On a justement lancé la semaine dernière une agence de presse au sein de France Info. Du matin au soir, elle produit des dépêches vérifiées et sourcées qui sont diffusées sur le site et à l'antenne. Ce sont des informations qui viennent du terrain ou vérifiées auprès d'une source. C'est de l'info chaude, que l'on produit pour tous les supports, web et antenne radio.
Ca va monter en puissance, il y aura entre 10 et 12 personnes d'ici le printemps. On est modeste mais ça va changer radicalement la façon de faire de l'info et nous faire gagner en rapidité et en cohérence. Car on divise par 2 ou 3 le temps entre la constatation d'une info et son arrivée sur l'antenne radio.
Cette réforme a un rapport avec la préparation de la nouvelle chaîne info que vous allez lancer avec France Télévisions ?
Non pas spécialement, ce projet d'agence était dans les tuyaux depuis 18 mois.
Parlons de la nouvelle chaîne info. Dans une interview à puremedias.com, Germain Dagognet, le numéro deux de France Télévisions, a confirmé hier que France Info serait chargée de faire les rappels des titres. Concrètement combien de journaux par jour allez-vous faire ?
Je n'ai pas encore présenté le projet aux représentants du personnel, donc je ne peux pas vous donner de détails. Mais oui, on aura un rôle de métronome. C'est nous qui allons donner le tempo de la chaîne l'info. C'est une fonction à la fois basique et primordiale que l'on occupera. Et c'est logique car c'est l'un des savoir-faire de France Info depuis 30 ans.
Il y aura autant de rappels de titres par heure que dans votre grille actuelle ?
La grille n'est pas faite et la mécanique n'est pas totalement établie.
Ce seront les mêmes bulletins sur France Info et sur la chaîne info ?
Tout ce qu'on a proposé ce sont des choses communes pour les deux antennes. Rien de ce qui est proposé pour la télé ne sera fait spécifiquement pour la télé. L'idée c'est simplement de mieux exposer ce qu'on fabrique déjà.
Votre confrère de France Télévisions dit que vous travaillez sur "une forme télévisuelle broadcast et nouvelle". Vous n'allez pas simplement diffuser le flux vidéo du live de France Info ?
Non, on est en train d'inventer un format nouveau. Ce n'est pas parce qu'on va passer à la télévision qu'on va perdre en souplesse dans ce que l'on fabrique déjà aujourd'hui.
Et comme Mathieu Gallet vous souhaitez que la chaîne soit disponible la plus largement possible, y compris sur la TNT gratuite ?
Oui je pense qu'il est absolument important qu'une chaîne d'info en continu soit faite par le service public et qu'elle soit diffusée le plus largement possible.
Vous n'avez pas peur que cette chaîne conçue par deux groupes différents n'ait pas de personnalité ?
Non, car les deux groupes publics ont une culture commune. Mais Airbus est né par la collaboration de plusieurs entreprises totalement différentes. Je suis peut-être un peu naïf mais je suis convaincu qu'on devrait facilement faire décoller la chaîne.
Vous ne craignez pas que cette chaîne info ne réduise l'utilité de France Info en tant que telle ?
On ne dissout pas notre actif dans ce projet puisqu'on va simplement renforcer ce qu'on sait faire dans la chaîne info. Sur la télé, on va ajouter une pierre de plus à notre modèle de média global.
On a longtemps dit que France Info avait perdu de l'audience à cause de l'explosion des chaînes info. Avez-vous peur de ces trois chaînes gratuites, et bientôt quatre avec la vôtre ?
Si j'avais peur je ne serai pas à ce poste... Soit on est dans le retrait et on fait autre chose, ce que France Info a un peu tenté par le passé, sans grand succès. Soit on se dit que France info doit jouer le match sur le même terrain que les autres. Et on progresse en audience, ainsi que sur le numérique. Le problème ce n'est pas le nombre de concurrents, mais l'offre que l'on propose.
A votre arrivée, vous avez supprimé les magazines. LCI va tenter de se relancer ces prochaines semaines avec 30% d'actu chaude et 70% de froid. C'est donc tout ce qu'il ne faut pas faire ?
Tout d'abord, je souhaite sincèrement bonne chance à mon ami Nicolas Charbonneau ! Je pense qu'il y a la place en télé pour un projet éditorial complètement différent, avec une info plus enrichie, qui ressemble plus à ce que TF1 fait actuellement. La vraie question c'est : est-ce qu'ils vont continuer à passer des bandeaux déroulants chauds sur leurs magazines ? Est-ce qu'ils vont assumer de s'éloigner complètement du flux continu ? Mais ça me parait parfaitement jouable de venir avec un positionnement différent des autres chaînes. Le plus embêtant serait que toutes les chaînes info aient toutes la même ligne éditoriale.