Au théâtre comme au cinéma, Patrice Chéreau aimait secouer la chair de ses spectateurs et de ses acteurs. La sienne n'a pas pu résister à la longue maladie contre laquelle il luttait depuis plusieurs mois. Il est mort hier à Paris, à l'âge de 68 ans, des suites d'un cancer du poumon.
C'est au théâtre que Patrice Chéreau débute sa riche carrière. À peine adulte, il se révèle comme un génie de la scène doté d'un style intense, brut, singulier et résolument moderne. Au théâtre de Sartrouville, puis avec Roger Planchon au Théâtre national populaire, il se passionne déjà pour Marivaux, William Shakespeare, Molière ou Henrik Ibsen ainsi que pour l'opéra. En 1976, il met en scène pour le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez la Tétralogie de Richard Wagner, pour le centenaire du Festival de Bayreuth. Il ne cessera depuis de mettre en scène des opéras comme cet été, sa création d'"Elektra" de Richard Strauss pour le Festival d'Aix-en-Provence.
Devenu une des figures les plus renommées du théâtre européen, Patrice Chéreau prend en 1982 la direction du théâtre des Amandiers de Nanterre où il alterne les classiques et les pièces contemporaines, comme celles de son ami Bernard-Marie Koltès dont il créa en 1985 "Dans la solitude des champs de coton". C'est à cette époque qu'il débute en parallèle une riche carrière au cinéma, n'hésitant pas à filmer l'homosexualité à une époque où le sujet était encore tabou, puis à s'intéresser au corps et à la sexualité.
Patrice Chéreau réalise en 1974 son premier film, "La Chair de l'orchidée", avec Charlotte Rampling et Bruno Cremer. En 1983, dans "L'Homme blessé" il n'hésite pas à traiter la prostitution masculine. Ce film avec Jean-Hugues Anglade vaut au metteur en scène un César du meilleur scénario. Il en décrochera un second en 1999 pour le testamentaire "Ceux qui m'aiment prendront le train". Entre temps, le sanguinolent et romanesque "La Reine Margot", avec Isabelle Adjani et Daniel Auteuil, obtient un succès mondial. En 2001, "Intimacy", tourné en anglais, lui vaut un Ours d'or à Berlin. On pourrait aussi citer de nombreuses oeuvres comme le "Phèdre" de Racine monté en 2003 au théâtre de l'Odéon.
Patrice Chéreau a surtout fait émerger une bande de comédiens dont il a accompagné les débuts et qu'il a retrouvée tout au long de sa carrière : comme Dominique Blanc, Pascal Gréggory, Valeria Bruni Tedeschi, Jean-Hugues Anglade, Vincent Pérez ou Bruno Todeschini. Le thème de la famille, de sang ou de coeur, était d'ailleurs omniprésent dans son oeuvre comme dans "La Reine Margot", "Ceux qui m'aiment prendront le train" ou dans le touchant "Son frère", où un homme atteint d'un cancer tente de se réconcilier avec son frère.
Malgré la maladie, Patrice Chéreau préparait une nouvelle mise en scène de "Comme il vous plaira" de William Shakespeare qui devait être jouée au printemps au théâtre de l'Odéon avec d'autres membres de sa "famille" Gérard Desarthe, Laurent Grévill et Clotilde Hesme.