Mylène Farmer a filé. Et elle doit sacrément s'ennuyer en Californie. Peut-être chante-t-elle le soir, toute seule dans le noir, "Je t'aime mélancolie" ? Elle nous avait pourtant bien fait comprendre, avec son single "California", que l'endroit l'angoissait : "Sous ma peau, j'ai L.A en overdose", susurrait-elle, en porte-jarretelles, entre deux dédoublements de personnalité. Eh bein alors Mylène ! Optimistique-toi, pleure pas ! Au premier coup de mou, remballe tout et viens vivre à Chatou !
Mylène a toujours été une princesse de glace. Il faut dire que les plaines enneigées de son enfance au Québec l'ont rendue un peu givrée. Il n'y a qu'à voir Giorgino , le film réalisé par son jumeau diabolique Laurent Boutonnat ! Vous ne faites pas partie des 60 000 spectateurs qui se sont précipités dans les salles obscures en 1994 ? C'est bien dommage... Car ce clip de 3 heures est un régal, pour qui aime les cannibales, les enfants morts et les pendus. Mylène, plus rousse que jamais, est folle à lier dans cette mélopée baignée d'inquiétante étrangeté. Jouer un fantôme autiste ? Pas vraiment un rôle de composition pour la chanteuse spectrale de Comme j'ai mal... Un film culte, donc, à partager avec ses amis névrosés, dans un vieux grenier, entre deux PLV d'Anamorphosée.
Les fans de Farmer ont bon dos : on leur reproche d'aduler une icône un peu coconne alors que tout le monde, au fond, aime Mylène. N'ayez pas honte de le dire : les 30 millions de disques ne se sont pas vendus tout seuls, si ? Grâce à vous, la pleurnicharde gothique, aussi vivace qu'un chrysanthème, est devenue l'artiste féminine ayant vendu le plus d'albums en France. Et non, ce n'est pas Jenifer... Bien sûr, la poupée suturée a commis quelques impairs. Mais qui n'a pas fait une seule erreur en trente ans – de vie ou de carrière ? Peu importe qu'elle ait enregistré une chanson aussi niaise qu'Appelle mon numéro – désolé Mylène, j'ai plus de forfait – ou qu'elle entonne ses faux tubes de RedOne affalée dans un fauteuil Maisons du Monde. Sans elle, pas de coup de bouteille dans la gueule pendant une partie de cartes, pas de cafard dans la soupe, pas de dame blanche attachée à une locomotive, pas de prostituée schizophrène sur Sunset Boulevard, pas de Bouddha volant à Bercy, pas d'Alizée , pas de chute sur les marches de l'Elysée. Et a-t-on déjà trouvé un titre plus cul-culte que "Pourvu qu'elles soient douces" ? Quant au fameux "je, je suis libertine, je suis une catin", il fait encore hurler plus d'une demoiselle d'honneur éméchée à des mariages complètement ratés !
Le génie, c'est l'intemporalité. Bravo, Mylène, tu as gagné : tu t'es imposée, tu es même vénérée. Tu es la Madonna française, sauf que toi tu ne sors pas avec des toy boys de dix-huit ans. Et Lady Gaga peut t'envoyer un bon gros chèque de royalties – elle n'a qu'à demander l'adresse à Kate Ryan. Tes fans te pardonnent tout, même tes larmes de crocodile en live sur "Ainsi soit je"... Tu as prêté ta voix à un minimoy et ils te prennent toujours au sérieux. Tu fais même encore de belles choses car ton dernier clip n'est pas loin d'être sublime. Une machine à voyager dans le temps qui fait aussi office de cabine d'UV, un dromadaire étoilé, de la terre craquelée qui se fond sur une montagne enneigée, des danseuses immaculées aux oeillères matelassées, un enfant top model qui patauge dans une flaque de crème glacée : c'est de toute beauté. Une question, donc : pourquoi refuses-tu encore de te montrer ? Tu as tout gagné...et je ne parle pas que des NRJ Music Awards. N'est-ce pas le moment de lâcher prise et de t'ouvrir et de sourire... ailleurs que dans une séance photo grand-guignolesque pour TV Magazine ?
Un espoir, peut-être, pour tous ceux qui espèrent encore entendre sa voix ailleurs que sur un album disque de platine : sa participation, il y a quelques jours, au défilé haute couture de Jean-Paul Gaultier. Quelle joie de revoir Tristana ! Même si, habillée en pigeon, elle s'est encore pris les pieds dans le tapis. La collection n'a d'ailleurs pas vraiment convaincu : Tim Blanks, le plus lettré des hommes de mode, a écrit sur l'impeccable Style.com : "Plus ça change, plus c'est la même chose". Tu m'étonnes... Mais Mylène s'en fout. Elle n'en fait qu'à sa tête (de mort ?). Et, au fond, elle a peut-être bien raison. Finalement, Mylène lit peut-être Proust en Californie. Elle a même dû surligner cette phrase des Plaisirs et des Jours : "L'absence n'est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ?"