La fiction française, pièce maîtresse de TF1. Si le genre fait partie de l'ADN profond de la première chaîne, il ne s'est jamais autant renouvelé que cette saison. Autrefois friande de comédies familiales et de séries procéduro-policières classiques, la Une se montre désormais plus audacieuse et surtout plus ambitieuse. Entre polars, thrillers, mini-séries historiques et dramédies, Marie Guillaumond, directrice artistique de la fiction française à TF1, dresse avec puremedias.com le bilan de l'année écoulée, détaille le line-up de la saison à venir et évoque le lancement imminent de la saga quotidienne estivale "Demain nous appartient".
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : La saison qui vient de s'achever a été riche. Plus d'une quinzaine de fictions - séries ou unitaires - ont été programmées cette saison. Quel bilan en tirez-vous ?
Marie Guillaumond : Très positif. On totalise 27 des 30 meilleures audiences de fiction française cette saison. C'est bien sûr très satisfaisant. Ces succès, nous les devons autant à nos franchises bien installées comme "Profilage", "Alice Nevers", "Clem" ou "Camping paradis" qu'à des nouveautés qui viennent valider notre politique de pilotes. Je pense notamment aux succès de "Munch" et de "Louis(e)". Je remarque aussi que, comme chaque année, nos unitaires sont parvenus à créer l'événement. Ça a notamment été le cas avec "Entre deux mères" ou "La main du mal".
Si le bilan est positif, il y a eu une petite déception avec "Emma", la série policière sur une policière androïde qui n'a pas été reconduite...
D'abord, je suis très fière parce que nous avons porté à l'antenne ce projet que je trouvais ambitieux et réussi. On revendique vraiment "Emma". On a fait le choix d'arrêter alors qu'on était leader. Le score était peut-être un peu décevant mais loin d'être mauvais. On va poursuivre notre politique de pilotes en 2x52 minutes pour tenter de nouvelles choses auprès du public.
On va poursuivre notre politique de pilotes en 2x52 minutes
Qu'est-ce qui fait que vous vous dites que vous avez arrêtez "Emma" mais que vous reconduisez "Munch" et "Louis(e)" en séries régulières ?
On évalue le potentiel au-delà des chiffres. Pour "Emma", le score était relativement correct mais on s'est dit qu'on touchait du doigt quelque chose que l'on aurait du mal à inscrire dans la durée à la différence de "Louis(e)". Pour le coup, avec "Louis(e)", on est sur un sujet très incarné qui s'inscrit dans une problématique actuelle. À cet égard, on s'est dit que "Louis(e)" avait une ampleur et des ressources qui nous permettront de développer des choses. Une saison 2 est d'ailleurs en écriture.
"Juste un regard" vient de s'achever sur un bilan très inférieur à celui d'"Une chance de trop". C'est une petite déception ?
Non, nous sommes très contents de "Juste un regard". C'est une proposition qui est très différente de celle d'"Une chance de trop". Par ailleurs, en audiences consolidées, nous gagnons plus de 700.000 téléspectateurs en première semaine et 800.000 en seconde. C'est très satisfaisant et ça nous renforce dans notre idée de continuer à collaborer avec Harlan Coben. Nous continuons de discuter avec lui d'autres projets...
"Nos chers voisins" en prime ? Nous y réfléchissons
"Nos chers voisins" s'arrête dans sa version quotidienne. Isabelle Vitari a récemment laissé entendre que la série pourrait revenir en prime. Est-ce le cas ?
Nous y réfléchissons. Nous avons pris la décision d'arrêter le tournage dans sa version sketchs parce que nous avons un stock qui permet d'alimenter la grille pour longtemps. En revanche, c'est effectivement une marque à laquelle on tient. Nous travaillons avec le producteur et les auteurs sur une déclinaison en prime-time qui ne serait pas une succession de sketchs mais de vraies histoires avec une narration sur 52 minutes qui nous permettrait de retrouver la marque dans un contexte différent.
"Une famille formidable" est diffusée sur TF1 depuis 1992. La série reviendra-t-elle la saison prochaine ?
Oui, nous sommes en plein tournage de la quatorzième saison à Lisbonne. Le public retrouvera donc "Une famille formidable" pour trois nouvelles soirées. C'est une série importante pour nous, c'est la marque de fiction française la plus ancienne de TF1. Cette famille, c'est aussi celle des téléspectateurs, ils ont le sentiment de grandir avec eux, de vraiment les connaître. Il n'est donc pas question d'arrêter.
Que deviennent "Prof T" et "Contact" ? Les deux séries avaient été annoncées à la rentrée dernière...
Il y a eu décalage pour des raisons de programmation. On vient de terminer la post-production de "Prof T" qui sera diffusée, la saison prochaine, en 6x52 minutes. Concernant "Contact", nous avions diffusé une première soirée pilote en décembre 2015 qui avait très bien fonctionné. La saison prochaine, le public retrouvera la série pour une saison complète de six épisodes et, comme pour "Munch" et "Louis(e)", nous sommes déjà en train d'écrire la suite.
Vous allez donc continuer à parier sur les mini-séries la saison prochaine ?
Plus que jamais. Nous proposerons plusieurs mini-séries de 6, 8 voire 10 épisodes. L'un de nos gros événements de la saison sera "Le tueur du lac". Il s'agit d'un spin-off en 8x52 minutes dans lequel nous retrouverons les personnages du "Mystère du lac". L'idée étant pour nous de raconter une nouvelle histoire. Le personnage de Lise sera désormais incarné par Julie de Bona. Le cast est d'ailleurs incroyable : il y a Lannick Gautry, Marie-Anne Chazel, Annie Duperey, Julie Depardieu, Cécile Rebboah, Romane Bohringer et Sophie de Furst. Nous sommes également en train de terminer la production de "Insoupçonnable", adaptation en 10x52 minutes de la série anglaise "The Fall", avec Emmanuelle Seigner, Melvil Poupaud et Claire Keim. Et dans un genre plus polar, nous tournons actuellement "Les innocents", une mini-série en 6x52 minutes avec Tomer Sisley, Odile Vuillemin, Barbara Cabrita et Olivier Marchal.
"La mante" sera l'événement de la rentrée
Qu'en est-il de "La mante", la mini-série avec Carole Bouquet et Fred Testot ?
Et réalisée par Alexandre Laurent avec lequel nous avions travaillé sur "Le secret d'Élise" ! "La mante" sera la mini-série événement de la rentrée. Nous y croyons beaucoup. C'est la première fois que nous proposerons au public un pur thriller de 6x52 minutes et c'est très reussi.
C'est un enjeu important pour vous ces mini-séries ?
Oui, nous sommes les seuls sur ce créneau et c'est un format qui nous permet d'assumer des paris artistiques forts et je crois que les comédiens sont en demande de cela. On aime créer l'événement et surprendre. Ce sera par exemple encore le cas la saison prochaine avec "Les bracelets rouges", une mini-série réalisée par Nicolas Cuche, qui a un talent et une finesse incroyables et avec lequel nous avions travaillé sur "Après moi le bonheur". On a, encore une fois, un cast très prestigieux - Michaël Youn, Pascal Elbé, Cécile Rebboah ou encore Cristiana Reali - qui entoure de jeunes comédiens formidables qui font pour la plupart leurs premiers pas devant la caméra.
Vous avez d'autres projets de mini-séries ?
Oui, nous sommes en train de développer deux mini-séries historiques dans l'esprit de "Downton Abbey". L'idée c'est de raconter des histoires très romanesques à travers des destins de femmes qui ont vécu au XXe siècle. Ce seront des personnages historiques forts et identifiants dont nous raconterons la vie dans un cadre spectaculaire et patrimonial. Même si le polar est l'ADN de la fiction, nous avons envie d'explorer un genre nouveau et de diversifier notre offre.
Alexandra Lamy a été l'une de vos actrices fétiches la saison dernière. On pourrait la retrouver sur l'un de ces projets ?
Entre Alexandra et nous, c'est une évidence. Bien sûr que nous allons retravailler ensemble, nous discutons régulièrement, mais ce ne sera pas forcément sur ces deux projets.
Les unitaires événementiels sont aussi l'une de vos forces. On l'a vu encore cette saison avec "Entre deux mères". Que préparez-vous pour la saison prochaine ?
Nous aurons un thriller de 90 minutes très intense, "Quand je serai grande, je te tuerai" avec Laetitia Milot, Marie-Anne Chazel, Antoine Duléry et Nicolas Gob. Dans un autre genre, nous venons de terminer le tournage de "Mention particulière", un téléfilm événementiel réalisé par Christophe Campos, avec Bruno Salomone et Hélène de Fougerolles qui raconte l'histoire d'une jeune fille trisomique qui passe le bac.
Il n'y a pas beaucoup de comédies dans toutes ces nouveautés...
C'est un genre difficile, plus clivant et moins universel que le drama. Faire rire, c'est compliqué. On a pourtant montré qu'on était capable de le faire. Vous savez, la comédie n'exclut pas le drame. "Les bracelets rouges" est un vrai drama mais avec de jolis moments de comédie à l'intérieur. Ce n'est pas un pur mélo ! Mais nous ne laissons pas tomber la comédie pour autant. Nous venons de tourner le pilote des "Chamois", une série très réjouissante autour de François Berléand, Isabelle Gélinas, François Vincentelli et Julie Depardieu . Nous allons aussi continuer à creuser le sillon de la comédie romantique initié par "Coup de foudre à Jaipur". Nous venons ainsi de tourner "Coup de foudre à Noël", avec Julie de Bona et Tomer Sisley. Nous préparons aussi un "Coup de foudre à Bora Bora" et un "Coup de foudre en Afrique du Sud".
"Sam" reviendra pour une saison 2, sans Mathilde Seigner, remplacée par Natacha Lindinger. Vous ne craignez pas que le changement d'actrice principale déstabilise les téléspectateurs ?
Déjà, "Sam" est un personnage que l'on adore. Elle incarne parfaitement notre époque. Est-ce que nous le craignons ? Si on a peur, on ne fait rien. Il est évident que Mathilde était une Sam formidable, sa proposition du rôle était très juste. Mais je suis très heureuse de l'arrivée de Natacha qui fait une autre proposition. Les premières images sont extrêmement prometteuses. Nous faisons le pari que la force du personnage l'emporte sur le changement de comédienne.
"La vengeance aux yeux clairs" réunissait tous les codes de la saga estivale. On peut imaginer que la deuxième saison soit proposée à cette période ?
On peut tout imaginer. La programmation n'est pas encore décidée.
En parlant de saga estivale, vous vous apprêtez à lancer "Demain nous appartient" en avant-soirée. Comment est née cette idée ?
On est dans un contexte où la fiction est porteuse. Nous avons considéré que le moment était propice pour élargir notre offre et il se trouve que nous n'avons pas de fiction quotidienne. Il y a un autre élément fort qui est entré en ligne de compte, c'est que le public nous réclame une vraie offre de fiction inédite l'été. "Demain nous appartient", c'est aussi une façon de répondre à cet appétit. Newen nous a proposé ce projet et quoi de mieux que de s'appuyer sur ceux qui ont la meilleure expérience en la matière ?
Quel est le scénario idéal ? Celui d'aller au bout de la commande de 130 épisodes et d'installer la série à très long terme ?
Nous sommes sur une vraie saga de l'été et il y a une nostalgie du public par rapport aux grandes sagas qui ont fait les belles heures de TF1. Je ne présage pas des résultats mais il y a un appétit qui existe et je suis très fière de ce que nous allons proposer au public. Pour la suite, chaque chose en son temps.
Nous allons nous laisser le temps de voir comment le public réagit avec "Demain nous appartient"
La production d'une telle série coûte extrêmement cher. Vous avez un objectif chiffré pour la rentabiliser ?
Je ne peux pas vous répondre sur ce point. En revanche, je vous confirme que nous allons nous laisser le temps de voir comment le public réagit.
La force de ces sagas de l'été, c'était aussi d'être programmé chaque semaine en prime. Vous ne pensez pas que les gens étaient attachés à l'idée d'attendre une semaine pour connaître la suite ?
Non, le public est moins formaté et plus ouvert que ce que l'on pense. Tout ce que l'on a fait ces dernières années prouve qu'il n'est pas forcément là où on l'attend. Quand on a fait "L'emprise", on n'imaginait pas rassembler près de plus de 10 millions de téléspectateurs. Il faut toujours être humble par rapport au public.
Finalement, vous êtes comme tous les observateurs... Dans l'expectative la plus complète !
Oui mais c'est le principe de notre métier. C'est un défi passionnant. On prend des risques, on imagine des histoires, on crée des personnages. On propose et le public dispose.
Si "Demain nous appartient" ne trouve pas son public, vous devrez prendre la décision d'arrêter rapidement. Le tournage étant très en amont de la diffusion...
Aujourd'hui, toutes les énergies sont avant tout concentrées sur la réalisation d'un succès et les premiers épisodes sont très convaincants.
On sait que la fiction est un genre très dispendieux. Est-ce que vous pourriez envisager un partenariat à long terme avec Netflix pour améliorer la rentabilité de vos fictions ?
Partenariat, c'est un terme un peu fort. Nous étudions les sujets au cas par cas. Nous discutons avec eux, comme avec tous les entrants dans le secteur. C'est effectivement un élément qui entre en ligne de compte dans les discussions sur le financement de la fiction française et sur notre capacité à lui donner du rayonnement à l'international. Et c'est une immense fierté de voir que nos séries événementielles les intéressent, comme "Une chance de trop" qui a été proposée par Netflix dans le monde entier quelques temps après sa diffusion sur TF1.
Nous réfléchissons à de la création propre sur chacune de nos antennes
TF1 s'appuie sur un modèle de rentabilité de ses fictions à l'échelle du groupe. En tout état de cause, c'est plus que jamais d'actualité ?
Nos fictions sont conçues pour s'insérer dans un écosystème multi-antennes et multi-écrans, comme nous l'avons proposé cette saison avec "La vengeance aux yeux clairs" et très récemment "Juste un regard". C'est également le cas sur des franchises plus installées comme le prouve le succès incroyable de "Section de recherches" sur HD1. Cela ne nous empêche pas d'avoir une réflexion sur de la création propre à chacune de nos antennes. Nous avons déjà "Les mystères de l'amour" sur TMC et "Mission : Evelyne" sur HD1, à laquelle succédera bientôt "Séki le patron", un nouveau feuilleton produit par Bangumi.
Le fait que ces chaînes génèrent beaucoup moins de recettes publicitaires, ce n'est rédhibitoire ?
La preuve que non. Vous savez, la fiction est un genre de contraintes. Il est possible de créer dans une économie moindre, il faut juste que les programmes soient conçus en adéquation avec ce paramètre.
De manière globale, la fiction française n'est-elle pas en train de profiter du déclin inéluctable des séries américaines lié à l'évolution des modes de consommation ?
Les séries américaines continuent à être performantes. On l'a vu par exemple avec "L'arme fatale". Il ne faut pas forcément opposer les deux. En ce qui concerne la fiction française, je crois qu'il y a un appétit de plus en plus marqué pour les oeuvres locales et patrimoniales. En même temps, c'est une industrie en pleine transformation. Une nouvelle génération d'auteurs et de producteurs est en train d'émerger. Les exigences du public - et de nous, diffuseurs - ne sont plus les mêmes. Il y a une élévation globale de ce que nous proposons. Et, parce que le succès appelle le succès, nous avons envie d'aller plus loin.
Cette année, M6 a fait un retour remarqué dans la fiction française de prime-time. La concurrence, ça vous stimule ?
Ils auraient tort de ne pas le faire. La fiction est l'un des genres dans lesquels nous ne sommes pas dans un rapport de concurrence. Le succès des uns alimente le succès des autres, c'est un cercle vertueux.
Vous avez de très nombreux projets pour l'année prochaine. Vous conservez deux cases fiction par semaine ou vous en ouvrez une troisième ?
À ce jour, nous conservons les cases du lundi et du jeudi.