L'ébullition autour du marché du podcast ne faiblit pas. Alors que Sybel, le "Netflix du podcast", vient de se lancer il y a près d'un mois, c'est au tour de Mathieu Gallet, ex-patron de Radiofrance, de présenter sa propre plateforme. Baptisée Majelan et accessible dès aujourd'hui, celle-ci propose de retrouver l'ensemble des podcasts de rattrapage et natifs gratuits, mais aussi d'accéder à des podcasts originaux en échange du paiement d'un abonnement mensuel de 4,99 euros. A l'occasion de la présentation à la presse de Majelan, puremedias.com a pu poser quelques questions à Mathieu Gallet.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Les plateformes ou réseaux de podcasts se multiplient depuis plusieurs mois en France, de Binge Audio à Sybel, en passant par Tootak, Nouvelles écoutes ou la défunte BoxSons de Pascale Clark. N'arrivez-vous pas un peu tard avec Majelan ?
Mathieu Gallet : Non. Notre modèle hybride nous différencie des autres. Nous sommes d'abord un agrégateur qui vous permet de retrouver tous les podcasts gratuits produits en France et à l'étranger. Majelan met ainsi à disposition de ses utilisateurs, via son player, tous les podcasts natifs - comme de rattrapage -, des chaînes de radios et plateformes françaises comme internationales. C'est le gros de l'application, soit 99,9% de Majelan. On a ainsi 280.000 programmes rien qu'à notre lancement, soit plus de 13 millions d'épisodes, en multilingue. A côté de cette partie "Agrégateur", nous avons une partie payante, baptisée Majelan+, où, via un abonnement de 4,99 euros par mois ou un paiement à l'acte, vous pouvez écouter des contenus originaux produits, co-produits ou distribués par Majelan. Nous sommes donc à la fois un agrégateur et un studio de production. Dans l'expérience, Majelan sera un mélange entre Spotify, Netflix et Molotov.
Comment pouvez-vous mettre à disposition gratuitement les podcasts des autres radios comme RTL ou Europe 1 ?
Nous reprenons simplement le flux RSS (son, image et métadonnées) tel qu'il est. Ce sont des flux publics. Ce qu'on va essayer de faire, c'est de convaincre les utilisateurs que c'est plus sympa de venir les écouter chez nous parce que l'expérience est meilleure et parce qu'ils vont en plus découvrir de nouveaux contenus. Ce qui est compliqué aujourd'hui en matière de podcasts, ce n'est pas tant l'offre, qui est pléthorique, que de s'y retrouver et de découvrir.
Les radios ont-elles accepté facilement cette agrégation de leurs contenus ?
Plutôt positivement oui, car c'est pour eux une fenêtre d'exposition de plus.
Avec Majelan, on ne pourra pas accéder aux lives des chaînes de radio ?
Non, que du rattrapage.
Dans cette même partie "Agrégateur", trouvera-t-on des podcasts natifs des radios française comme RTL Originals par exemple ?
Comme tous les podcasts qui sont disponibles en flux RSS, on pourra les retrouver. Le vrai travail qu'on va avoir, c'est de convaincre un certain nombre de créateurs de développer une offre premium avec une exploitation qui peut se faire en deux temps, en étant d'abord réservée à des abonnés et qui, ensuite, une fois que cette fenêtre d'exclusivité est passée, bascule en gratuit. Une sorte de chronologie des médias pour l'audio.
"D'entrée, nous nous pensons 'international'"
Glisserez-vous de la pub dans les podcasts disponibles gratuitement dans cette partie "Agrégateur" ?
Non. Nous ne monétisons pas cette partie-là. Il pourra cependant y avoir de la pub si l'éditeur du contenu l'a décidé. Mais nous, nous n'en rajouterons pas. On prendra le flux tel qu'il est, sans rien ajouter ni retirer.
Qu'est-ce qui rendra votre expérience-utilisateur meilleur ?
Il y a plusieurs éléments qui doivent permettre de favoriser la découverte. Le premier, c'est le choix que nous avons fait d'effectuer un travail humain de curation et d'éditorialistion. Nous allons créer des playlists, qui sont des regroupements thématiques de plusieurs épisodes venant de plusieurs sources. Deuxième axe, l'algorithme. Nous avons créé nos propres algorithmes. Grâce à eux, plus vous allez utiliser le player Majelan, plus l'algorithme va devenir pertinent en matière de recommandation. Nous avons aussi développé notre propre moteur de recherche pour aider nos utilisateurs à découvrir de nouveaux contenus. Nous avons aussi créé 63 catégories de contenus, comme "Histoire" ou "Cuisine" par exemple, pour mieux s'y retrouver. Quand on prend les applications de podcasts existantes, les moteurs de recherche et les catégories de recommandation sont souvent décevantes. On a donc beaucoup travaillé sur l'interface, pour la rendre à la fois belle et pratique, et faciliter la découverte.
Votre choix du multilinguisme veut témoigner de votre ambition internationale ab initio ?
Oui, d'entrée, nous nous pensons "international". C'est aussi une de nos différences avec les autres acteurs.
"On a un programme dans lequel des stars de la télé lisent des nouvelles de Guy de Maupassant. Il y aura Michel Drucker, Alessandra Sublet, Claire Chazal, Jean-Luc Reichmann ou encore Laurence Ferrari"
A quoi ressembleront vos productions originales payantes disponibles dans Majelan+ ?
On a 20 programmes dans la partie Majelan+, dont 7 qui sont des productions "maison". Les autres programmes seront ensuite en distribution, comme des podcasts de l'INA, un podcast "Clique TV" par exemple, produit par l'équipe de Mouloud Achour de Canal+. On a aussi un podcast intitulé "Tu deviendras grand" dans lequel Franck Ferrand racontera l'enfance d'un grand personnage historique.
Voulez-vous créer un "ton Majelan" avec vos podcasts natifs ?
On teste éditorialement trois axes. Un axe "Enfants" auquel on croit très fort. Un axe plus "entertainment", avec quelque chose de léger mais qui nous fait quand même apprendre des choses. Enfin, un axe davantage dédié à l'apprentissage, le savoir et le développement personnel. Dans ce domaine, on a été assez inspiré par ce qui se fait en Chine, où le marché du podcast génère déjà 7 milliards de dollars de chiffre d'affaires, essentiellement via le payant par abonnement ou à l'acte. Là-bas, ce sont les thématiques liées à l'amélioration de soi, le développement personnel, le renforcement de sa culture générale, qui fonctionnent le mieux. Concernant le ton, on essaye d'en avoir un pas plombant. On veut montrer qu'on peut apprendre les choses sans se prendre la tête.
A l'image de Franck Ferrand, voulez-vous mettre en place pour Majelan+ une logique de signatures, de grandes voix ?
Il y aura des voix, oui. Outre Franck, on a un programme dans lequel des stars de la télé lisent des nouvelles de Guy de Maupassant. Il y aura Michel Drucker, Alessandra Sublet, Claire Chazal, Jean-Luc Reichmann ou encore Laurence Ferrari. Avec Majelan, on veut parler à tous les publics, qu'il soit de niche ou plus large.
A terme, combien de podcasts natifs voulez-vous proposer sur Majelan+ ?
C'est un peu tôt pour le dire. Si nos premières saisons marchent bien, on en fera de nouvelles. On a aussi plein de projets dans les tuyaux.
Ca coûte chez à produire un podcast ?
Non, même si ça dépend ensuite du type de podcast. Pour nos podcasts "maison", qui sont donc payants, il faut se différencier de ce qu'on trouve gratuitement. Nous serons donc sur de "l'audio-narratif", autrement dit des productions avec des auteurs, très écrites, très produites. On ne va pas faire de talks, sauf de manière exceptionnelle. Le talk est beaucoup moins cher à produire, mais se destine davantage à la partie gratuite. Pour nos productions payantes, il y a eu un gros travail de "sound design", de post-production, d'insertion d'archives et de musiques. On essaye de se rapprocher du livre audio, même si nos productions seront plus chapitrées et plus courtes.
"On sera toujours dans une format de série, avec plusieurs épisodes"
Pourquoi avoir fixé à 4,99 euros le prix d'abonnement de Majelan+ ?
Très honnêtement, on a copié ce qu'on a vu aux Etats-Unis, avec 4,99 dollars (Rires).
Combien coûtera le paiement à l'acte dans cette partie payante de la plateforme ?
Il variera selon la série de podcasts. Ce sera entre 1,99 et 2,99 euros la série.
Pourra-ton écouter gratuitement des extraits des podcasts avant de passer au paiement ?
Dès aujourd'hui et pendant une semaine, vous pouvez déjà tester gratuitement. Nous avons aussi créé des bandes-annonces qui permettent de se faire une petite idée d'un programme.
On retrouvera toutes les durées de podcast ?
Oui, il y aura des podcasts pour enfants de 3 à 4 minutes. D'autres monteront jusqu'à 20 à 30 minutes l'épisode. On sera toujours dans une format de séries, avec plusieurs épisodes. Comme pour une offre par abonnement, il n'y aura pas d'unitaire, ou alors exceptionnellement.
Ne misant pas sur la publicité pour aucune des deux parties de Majelan, tout votre enjeu va donc être de faire migrer les utilisateurs de la partie gratuite vers celle payante.
Exactement, de les convertir. Notre enjeu à nous, c'est d'atteindre X centaines de milliers d'utilisateurs gratuits et d'en convertir. Est-ce que c'est 5, 10, 15, 20, 25% ? On ne sait pas car c'est un marché en pleine construction.
Vous n'avez donc pas d'objectif affiché d'utilisateurs payants pour atteindre l'équilibre ?
Non. Nos investisseurs savent très bien que nous sommes sur un marché en construction. On pourrait dire un chiffre mais ce serait vraiment vain. Regardez le streaming musical. Quand on voit qu'en dix ans, Spotify arrive à avoir 50% de ses utilisateurs transformés en abonnés, c'est pas mal quand même ! Je pense qu'il y a dix ans, pas grand monde n'aurait misé sur le fait que les gens paieraient pour de la musique dont ils ne deviennent même pas propriétaires.
Comme Deezer avec Orange, comptez-vous passer des accords avec des opérateurs mobiles pour qu'ils embarquent Majelan dans les abonnements qu'ils proposent ?
Pour l'instant, c'est trop tôt. On a d'abord besoin d'installer une marque, un service, une habitude d'écoute.
Tous les médias se mettent actuellement à faire du podcast : les radios bien entendu, mais aussi les télés comme LCI et même la presse écrite comme "Le Parisien". Comment expliquez-vous la ruée actuelle vers le podcast en France ?
On est en train de voir que l'usage pour la vidéo est en train de se personnaliser, avec des Molotov, MyCanal ou Netflix, qui permettent de picorer des contenus comme on le souhaite, sans passer par les flux en direct. Dans l'audio, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas cette envie. Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y avait pas ce service qui permette de bien le faire. Telle est donc notre proposition : être ce service. Après, l'offre de podcasts s'est aussi considérablement enrichie car ils sont moins chers et plus rapides à produire que la vidéo. Il touche aussi un public plus engagé, qui vient vous chercher. Ce n'est pas un média "broadcast" qu'on subit. Vous avez un usage de masse qui est en train d'émerger. En France, nous ne sommes pas très en avance mais aux Etats-Unis, un tiers des Américains écoutent déjà des podcasts chaque mois. C'est vraiment en train de devenir une nouvelle consommation de la radio.
En France, quel est le nombre de consommateurs de podcasts ?
On situe cela entre 4 et 5 millions de Français selon des chiffres Médiamétrie. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un point faible aujourd'hui : la data. On manque de données autour des audiences, ce que Majelan pourra aussi apporter.
"Je suis très heureux et très fier du dernier résultat de France Inter"
Pourquoi ce nom de Majelan ?
Parce que c'est l'évocation de l'exploration. Magellan est le premier qui a fait le tour du monde, qui a trouvé le bon chemin pour découvrir des continents qui existaient mais que nous n'avions pas trouvés. C'est un peu notre travail.
Avez-vous l'impression d'être un pionnier en lançant cette plateforme ?
Nous avons en tout cas un esprit d'entrepreneur et un esprit défricheur.
France Inter a été sacrée première radio de France lors de la dernière vague d'audiences. On imagine que l'ancien PDG de Radio France que vous êtes n'a pas pu rester insensible à cette nouvelle ?
Je suis très heureux et très fier du résultat d'Inter, surtout que France Inter a atteint ce résultat en restant Inter, c'est à dire en étant à la fois grand public et exigeant. C'est une prouesse !
Ce que vous faites dans vos podcasts natifs, comme les lectures de Maupassant par exemple, ne ressemble-t-il pas d'ailleurs à ce que fait justement le service public radiophonique ?
Ce projet, je n'aurais jamais pu le monter sans mon expérience à Radio France. Avec mon associé Arthur Perticoz, on a envie de faire "oeuvre utile" pour le public. On veut notamment permettre aux auditeurs de découvrir la richesse extraordinaire de tout ce qui est déjà produit à l'heure actuelle en audio, ce que la radio linéaire seule ne permet pas de découvrir. Imaginez toutes les émissions produites depuis des années tous les jours à la radio... Nous sommes là pour aider à la découverte de ces contenus de valeur. On n'est pas très loin d'une mission pour l'intérêt général.