Chaque vendredi, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interroge une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce 12e numéro, Julien Bellver reçoit Bruce Toussaint, matinaliser sur iTELE. Il revient sur la folle semaine vécue par sa chaîne, après les attentats à Paris du 13 novembre dernier.
Est-ce que vous venez de vivre la pire semaine de votre vie de journaliste ?
En tous cas la semaine la plus intense, probablement. Je n'ai pas d'équivalent, même si ce qui s'était passé en janvier était déjà très frappant. Cette semaine a été d'une intensité inouie, on a été très marqué par le nombre de victimes. Il y a eu une très, très grande émotion. Ce que je veux dire, c'est qu'on est journaliste bien sûr mais on n'en reste pas moins un être humain, un père, un mari, un ami... J'ai été d'abord touché en tant que citoyen, en tant que Français.
On va refaire le fil des événements. Mercredi, 4h58, iTELE est la première chaîne à annoncer une opération à Saint-Denis. Vous prenez l'antenne à 7h. L'opération est toujours en cours. Comment s'organise le dispositif d'iTELE ? Vous avez des plans d'action définis à l'avance pour envoyer des journalistes sur le terrain ?
Il y a des journalistes qui ont été dépêchés très, très vite sur place. Certains qui étaient déjà en train de se rendre sur certains lieux ont été réorientés sur Saint-Denis. On avait aussi notre spécialiste police-justice qui a fait un travail incroyable depuis le début des événements, Jean-Michel Decugis, qui nous informait minute par minute de l'opération et qui nous a dit tout de suite "C'est une opération de la plus haute importance" - parce qu'il y a beaucoup de perquisitions depuis le week-end dernier. Tout s'est déployé assez vite. L'avantage d'une chaîne comme iTELE, c'est qu'on a l'habitude de gérer des événements comme ça et de se déployer très vite. Je crois qu'au final, il y avait trois équipes sur place qui se sont déployées assez vite et en plateau, on a très vite géré cette situation. On a surtout cassé entre 6h et 7h tout ce qu'on avait prévu pour s'orienter vers une édition spéciale.
Des tonnes d'information arrivent de toutes parts, sur les réseaux sociaux, par les canaux officiels, avec vos journalistes sur place... Qui fait le tri ? Vous en plateau ?
C'est un travail qui se fait conjointement avec la rédaction en chef. Honnêtement, à ce moment-là, j'ai un oeil sur Twitter parce que j'ai mon téléphone sur la table, mais je n'en tiens pas compte.
Ce n'est pas une source d'information ?
Non, à aucun moment.
Ca avait été un peu plus le cas pendant les attentats de janvier, non ?
Pas vraiment, non. Je crois que vraiment, on a décidé de se fier à notre spécialiste police-justice qui a des informations, qui a de très bonnes sources et surtout à ceux qui sont sur place. Un peu avant 7h30, Djamel Mazi, l'envoyé spécial le plus près de l'action, entend des explosions, il nous en parle tout de suite... Dans ces moments-là, on ne s'occupe pas des confrères...
On ne regarde pas ce que fait la concurrence ?
Non, pas dans ces moments d'extrême urgence. Le reste du temps, oui, je l'avoue ! (Rires) Mais là, ce n'est pas un sujet ni un enjeu. On fait vraiment confiance à nos infos. En revanche, on essaie d'être le plus rapide possible. Que cette info recoupée, vérifiée, on puisse la donner le plus vite possible et qu'elle arrive en premier sur iTELE.
L'une des particularités de cette matinée, c'est l'absence d'images dans un premier temps. Alors beaucoup de vidéos amateurs ont été diffusées. Et sur place, certains journalistes sont prêts à les payer très cher. Est-ce qu'iTELE a acheté des images ?
Je ne crois pas. Je dis ça parce que je n'étais pas sur le terrain et que je ne dirige pas iTELE. Mais à ma connaissance, il n'y a pas eu ce genre de transactions, et on a diffusé très, très peu d'images amateurs.
Vous êtes pour ou contre ce genre de procédés ? On sait que médias anglo-saxons le font... On voit une journaliste de la très respectable BBC le faire...
Je suis plutôt contre parce qu'on n'a pas à monnayer ce genre de choses. C'est une espèce de business assez malsain...
Jeudi matin, vous aviez la première interview du patron de la BRI qui vous a raconté dans les moindres détails l'opération. Les scoops, dans cette période trouble, ça compte quand même ?
Oui, bien sûr. Avoir des témoignages qui éclairent d'une façon inédite sur la réalité de ces événements, bien entendu que ça compte. Là, en l'occurrence, le patron de la BRI vient chez nous parce qu'il a confiance en nous, en notre journaliste police-justice. C'est quelqu'un que j'avais déjà rencontré, il avait sorti un polar il n'y a pas très longtemps, j'avais trouvé ça intéressant donc on l'avait reçu pour son actualité littéraire, ce qui est un peu original ! Il s'en est souvenu. Ca concerne le patron de la BRI mais ça concerne tous les invités que vous avez en exclusivité, c'est un lien que vous créez sur du long terme.
Vendredi, à 1h12, vous êtes en édition spéciale sur iTELE et vous apprenez en direct le bilan du carnage au Bataclan. On sent votre émotion. Il se passe quoi dans la tête du journaliste à ce moment-là ?
Là, je vais vous dire, franchement, c'est un coup de poing dans le ventre. Quand je prends l'antenne vers minuit, j'ai parfaitement conscience qu'on est face à quelque chose d'une extrême gravité mais honnêtement, c'est une prise d'otages, on se dit qu'il va y avoir une intervention, qu'il y aura peut-être des victimes bien sûr, on ne peut pas l'exclure, mais à aucun moment je n'imagine qu'il y aura 100 morts - en l'occurrence ce sera 89 au final au Bataclan. C'est une surprise terrible et c'est un choc. Et je me mets aussi tout de suite dans la tête du téléspectateur qui reçoit cette information comme ça. Je pense que ça a été un choc pour tout le monde.
Tout le monde a salué la prudence des médias d'informations en direct ces derniers jours. Après les polémiques de janvier, vous travaillez dans la crainte d'un raté, d'une erreur ?
Ce n'est pas exactement comme ça que ça se passe. Charlie Hebdo et l'Hypercacher nous ont apporté une expérience, ce sont des événements auxquels nous n'avions pas forcément été confrontés précédemment, donc on vit maintenant avec cet "enrichissement professionnel" - c'est terrible de dire ça - d'avoir vécu ces événements, d'avoir été confrontés à une prise d'otages, à une tuerie, à un massacre, à un terrorisme nouveau. Du coup, on a tous intégré ça et je pense que c'est ça que le public a ressenti quand on parle d'une attitude plus prudente. On a fait notre boulot avec autant de sérieux en janvier, c'est ça que je voudrais dire. Mais là, peut-être qu'effectivement, on avait intégré ces nouveaux éléments.
Les relations avec les autorités se sont améliorées, normalisées, est-ce qu'il y a des procédures entre les médias et les autorités ou pas plus qu'avant ?
Que ce soit en temps de paix, en temps de crise ou en temps de guerre, il y a toujours eu des contacts. Les spécialistes police-justice, chez nous comme dans d'autres chaînes, sont en contact régulier avec les autorités. Oui, il y a un travail qui se fait conjointement, mais il n'y a pas le ministère de l'information comme c'était le cas jusqu'au milieu des années 70. Il n'y a pas de consigne, et heureusement ! On est dans un pays où la presse est totalement libre !
Depuis lundi, on voit beaucoup de témoignages à la télévision ou dans la presse de personnes qui ont vécu le drame. Y-a-t-il un excès de sensationnalisme de la part des médias ?
Je crois qu'on découvre jour après jour l'ampleur de cette tragédie. Comment peut-on mieux comprendre ce qui s'est passé qu'en écoutant ceux qui l'ont vécue ? Les témoins, ceux qui étaient à l'intérieur, les rescapés, les forces de l'ordre... Je crois que c'est important, qu'on a encore besoin de comprendre et qu'il va nous falloir du temps. Honnêtement, l'interview du patron de la BRI se fait jeudi matin, on est cinq jours après les attentats et j'en sais encore plus au moment où il nous raconte en détail le déroulement de l'opération et je comprends encore mieux la folie meurtrière de ces terroristes et l'épouvantable carnage dont ont été victimes les spectateurs de cette salle. Et ça ne va pas s'arrêter là. Ce n'est pas du sensationnalisme, c'est la vérité qu'on montre.
Dimanche, moins de 48 heures après le drame, M6 a diffusé un documentaire au plus près de l'horreur avec les pompiers quelques minutes après l'attaque du bar "La Belle Equipe". Si vous aviez eu ce document entre les mains, est-ce que vous l'auriez diffusé ?
Je ne sais pas. Je me pose la question. J'ai envie de regarder cette émission pour m'en rendre compte et me faire une idée précise. Mais il y a depuis des mois un bashing des chaînes info, qui sont irresponsables, qui font mal leur boulot et ne se rendent pas compte de ce qu'elles font. Mais je crois qu'à l'occasion de ces tristes événements, chacun aura pu constater qu'à iTELE - et je vais même faire de la pub à mes amis de BFMTV -, on a fait un boulot digne. Je crois que c'est important de le rappeler parce que cette espèce de refrain commençait sérieusement à m'agacer.