Il y a un an, TF1 surprenait la concurrence et se lançait dans la bataille des matinales, case historiquement dévolue aux dessins animés. Le 8 janvier 2024, Bruce Toussaint, débauché de BFMTV, retrouvait ainsi un exercice qu'il affectionne, vingt ans après sa première expérience à Canal+. Écriture de titres, vérification des ouvertures des JT, mise en scène de l'arrivée des invités : entre 5h et 6h30 ce vendredi 20 décembre 2024, le journaliste et présentateur est dans les starting-blocks. "À 6h30, je m'accorde cinq minutes pour un bref petit-déjeuner. Ensuite, je file au maquillage. J'ai un dernier petit moment de brief avec mon assistante et je pars en régie, me faire équiper. On m'installe des micros et puis je suis en plateau 2 ou 3 minutes avant le direct", confie-t-il. 2 heures et 36 minutes de direct plus tard, l'homme pivot du 3e programme d'information de la Une a accepté de remplacer l'habituel "moment d'échange" avec son équipe par une interview à Puremédias.
Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret
Puremédias : Comment allez-vous un an après votre retour en matinale ?
Bruce Toussaint : J'ai la chance de faire ce métier depuis longtemps. Le lancement de 'Bonjour !' a été dingue, une aventure hors normes, une sorte de "Koh-Lanta" du matin avec beaucoup d'émotions. Et puis, il a fallu construire ce rendez-vous, l’installer, accepter de devoir faire des réglages et des ajustements et que cela prenne du temps…
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À 30 ans, vous décrochiez la matinale de Canal+, à 40, celle d’i>Télé, à 50, présenter une troisième matinale télé était-il une suite logique ?
Oui, un dernier tour de piste avant de devenir trop vieux (rires). C'était bien pour moi que ce projet arrive pour mes 50 ans parce que mine de rien, j'ai emmagasiné pas mal d'expériences et de vécu. J'ai l'habitude de dire que quand je sors de l'émission, il y a une espèce de compte à rebours qui s’enclenche dans ma tête. Je sais qu'il me reste 21h30 pour préparer la suivante. Cela m'a permis de mieux affronter cette responsabilité et mieux la vivre sans doute aussi.
"Un matinalier est une sorte de roc, une espèce d'autoroute d'humeur égale"
Bruce Toussaint
20 ans après Canal+, qu'est-ce qui a changé dans votre façon d'appréhender l'exercice de matinalier ?
J'ai compris beaucoup de choses. Quelles que soient les qualités des équipes, quel que soit le format, il y a des fondamentaux à respecter : la météo, les informations de la nuit. Il est absolument essentiel de ne pas se rater sur cette base-là. Une fois que vous avez donné ces essentiels, vous pouvez passer à la phase suivante, celle consistant à créer des rendez-vous avec des personnalités de caractère, des invités, des rubriques, du direct etc... J'ai aussi compris en 20 ans que la principale qualité d'un matinalier, c'est d'être en forme. C'est cela aussi que vous transmettez à l'auditeur ou au téléspectateur. Vous devez être une sorte de roc, une espèce d'autoroute d'humeur égale. Et ça, ça se joue beaucoup sur le physique, le sourire, le regard.
Être d'humeur égale ne va pourtant pas toujours de soi en matinale. Les comportements de Thomas Sotto, William Leymergie ou encore Marc Fauvelle ont pu heurter leurs équipes respectives par le passé. Il n'y a donc pas de tensions de ce genre à "Bonjour !" ?
Il y a deux choses qui me paraissent importantes. La première, c'est ce que j'appelle la solidarité matinalière. Les gens se lèvent très tôt. Donc, on s'épargne au maximum les mouvements d'humeur, les petites vacheries, etc. Pourquoi ? Parce que quand on se retrouve à 4 heures, 5 heures du matin, honnêtement, ça va, on n'a pas besoin de rajouter ça. Partout où je suis passé, j'ai constaté cette solidarité. Et je peux certifier que c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. La deuxième chose, j'attends des gens qui travaillent autour de moi d'avoir du caractère, de la personnalité. Il n'y a pas de fadeur. Ce n'est pas possible. Il faut donc des gens qui aient parfois des emportements, de l'enthousiasme, des déceptions, etc. Mais c'est normal. C'est ce que j'attends de chacun d'entre eux. Quant à moi, mon boulot, c'est d'y répondre. Si ce sont des gens lisses et froids, cela ne m'intéresse pas.
"Personne à TF1 ne m'a passé commande d'une chronique ou d'un sujet sur la chaîne"
Bruce Toussaint
Alba Ventura, transfuge de RTL, a rejoint l'équipe à la rentrée 2024 en qualité d'éditorialiste politique. Avez-vous imaginé recruter Caroline Roux, avec laquelle vous avez travaillé à la matinale de Canal+ mais aussi sur France 5 ? N'était-ce pas l'occasion de reformer le tandem?
Nous sommes très proches avec Caroline Roux. Je l'aime beaucoup. C'est pour moi une formidable journaliste. Honnêtement, elle a aujourd'hui une place de choix à France Télévisions.
Cette idée ne m'a pas effleuré mais j'adorerais retravailler avec elle un jour.
Arrêtons-nous encore un instant sur la politique. La bienveillance avec les invités, le côté feel-good dans le traitement de l'actualité dont vous vous revendiquez ne revient-il pas à "dépolitiser la politique" ?
Je comprends la question, elle est tout à fait légitime. Mais je ne crois pas. Pendant l'interview politique d'Adrien Gindre, chef du service politique de TF1, je le laisse prendre la main et je pense que c'est un moment où il faut poser les questions parfois de façon un peu dure. Je m'autorise simplement de temps en temps un petit clin d'œil, souvent en fin d'interview. Sur l'édito, c'est pareil. Il faut que l'on montre parfois une forme de gravité sur des sujets qui peuvent être difficiles. Mais je crois aussi qu'il faut être sérieux sans se prendre au sérieux. Nous ne sommes pas obligés d'avoir une tête d'enterrement pour parler de ces sujets-là. Nous pouvons avoir un moment de sourire et enchaîner avec une séquence un peu plus difficile. Il ne faut pas s'interdire de faire les deux. C'est juste une question de dosage et de moments.
Vous recevez aussi dans la matinale un invité culture qui a parfois des intérêts communs avec TF1 : Arnaud Ducret pour "Panique au 31", Miss France... Une chronique a été consacrée le 19 décembre à "Love Actually", alors que le film était diffusé le soir même. Cela ne vous gêne-t-il pas en tant que journaliste d'être autant associé à votre employeur dans cette émission ?
C'est intéressant que vous me disiez cela parce que, pour le coup, on ne me demande rien. Jamais rien. Jamais personne à TF1 ne m'a passé commande d'une chronique ou d'un sujet sur la chaîne. En revanche, je considère que quand on est sur la chaîne leader, qui crée l'événement très régulièrement, notre boulot est de mettre en valeur ce qui se passe sur la chaîne. Mais pas de façon promotionnelle, bête. Il faut accompagner ces événements.
"Conquérir la deuxième place occupée par BFMTV est notre prochain objectif"
Bruce Toussaint
"Bonjour !" va-t-elle à terme débuter à la même heure que "Télématin" ? Vous vous disiez "prêt à avancer (votre) réveil d’une demi-heure pour commencer (votre) direct dès 6h30" dans "Le Parisien".
Permettez-moi de faire une mise au point importante. J'ai voulu rappeler que contrairement à nos concurrents, nous n'avions pas de pré-matinale qui nous permette de débuter à un plus fort niveau d'audience. C'est tout. Il n'y a pas de projet d'avancer l'émission ni à moyen ni même à long terme.
La transition est toute trouvée pour évoquer les audiences. Au début, vous vous montriez assez critique à l'égard des papiers qui analysaient les scores de "Bonjour !". Sur le plan des chiffres, "Bonjour !" a fédéré 274.000 téléspectateurs et 8,9% du public en moyenne entre le 8 janvier 2024 et le 6 janvier 2025, 290.000 téléspectateurs et 9,5% du public depuis le 19 août 2024 et 303.000 téléspectateurs et 9,6% du public entre le 4 novembre et le 20 décembre 2024. Avec un an de recul, quelle analyse vous faites de la courbe ?
Nous avons atteint un premier palier, les 10 points de part d'audience et la troisième place en nombre de téléspectateurs. Si j'analyse autrement les choses, un an en arrière, il y avait des dessins animés qui réunissaient 120, 130, 150.000 téléspectateurs. Mais ces téléspectateurs-là, compte tenu des programmes qu'ils consommaient dans cette case, ils sont partis quand "Bonjour !" est arrivée. J'ai le sentiment que nous sommes passés de 0 à 300.000 téléspectateurs en un an. J'entends l'attente, on peut trouver ces scores trop justes. Toujours est-il que je ne vois pas d'autres matinales qui ont gagné 300.000 téléspectateurs en un an. Mercredi 18 décembre 2024, le pic de l'émission a été atteint à 9h10 avec 575.000 téléspectateurs. Ça fait du monde quand même ! Je suis très satisfait et surtout, je crois que la chaîne est satisfaite.
L'objectif de devenir un jour première matinale vous titille-t-il ?
Premier ? (rires) Oui, il faut croire en ses rêves. Mais cela me paraît difficile à moyen terme. Commençons par conquérir la deuxième place (celle occupée aujourd'hui par BFMTV, ndlr), c'est notre prochain objectif.
"Après 11 ans de matinale, peut-être que cet exercice résumera ma carrière"
Bruce Toussaint
En 2024, vous n'avez pas été le seul à quitter votre poste précédent pour une matinale. Julien Arnaud a quitté TF1 et LCI pour "Télématin". Il a demandé en plus d'être le joker d'Anne-Sophie Lapix au 20 "Heures" de France 2. Cette double exposition vous a-t-elle tenté à vous aussi ?
Pas du tout. Je n'y ai absolument pas pensé parce que l'ampleur de la tâche est telle que je veux être consacré à 100% à cette matinale. Donc, il n'a jamais été question de faire autre chose. Et pour tout dire, je ne le souhaite pas.
On vous a vu dans plein d'exercices (le talk, l'émission politique, de société, de débats...). Définitivement, la matinale que vous avez présentée pendant 11 ans (Canal+ entre 2004 et 2008, Europe 1 entre 2011 et 2013, i>Télé entre 2013 et 2016, France Info entre 2017 et 2018 et TF1 depuis 2024) résumera-t-elle votre carrière ?
Peut-être. Quand cela se présente aussi souvent, c'est quand même qu'il doit y avoir une raison. Je crois qu'en effet, il y a cette idée, sans vouloir me montrer présomptueux, que je dois peut-être représenter une sorte d'ami du petit-déjeuner. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Mais moi, ça me va très bien. Je suis ravi.
"J'ai noté qu'au moment des 40 ans de Canal+, les actuels dirigeants ne se sont pas trop préoccupés de souhaiter un bon anniversaire à tous ceux qui avaient fait Canal+ précédemment"
Bruce Toussaint
Bien avant TF1, BFMTV et France Télévisions, vous avez présenté... "Nulle part ailleurs" le week-end au tout début des années 2000...
C'est une année où Alain De Greef (alors directeur des programmes de Canal+, ndlr) avait créé une déclinaison de "Nulle part ailleurs". Il y avait "Nulle part ailleurs" le matin, "Nulle part ailleurs" le midi et "Nulle part ailleurs" le soir. Il avait créé le samedi midi une émission qui s'appelait "Nulle part ailleurs Week-end". Il y avait plein de chroniqueurs, ça durait une petite heure. J'ai fait cela pendant une saison en effet. C'était une déclinaison du week-end qui n'avait que le titre en commun avec l'émission originelle.
En tant qu'enfant de Canal+, êtes-vous nostalgique de son esprit subversif ?
J'ai quitté Canal+ en 2011. J'ai passé 17 ans là-bas. C'était des années incroyables. C'est là où j'ai fait mes classes, j'ai appris ce métier à "Jour de foot" en 1993. J'ai eu la chance d'être reporter, de présenter des émissions très jeunes, de travailler avec des gens comme Philippe Gildas, Guillaume Durand, même Nagui à une époque lorsqu'il a présenté "Nulle part ailleurs" pendant une saison. Puis, on m'a confié des émissions : "La matinale", "L'édition spéciale", à la mi-journée, un jeu qui s'appelait "Le News Show". Oui, j'ai une nostalgie, mais une nostalgie personnelle. Si je suis attaché à cette maison, j'ai noté qu'au moment des 40 ans de Canal+, les actuels dirigeants ne se sont pas trop préoccupés de souhaiter un bon anniversaire à tous ceux qui avaient fait Canal+ précédemment.
Pour finir, vous avez aussi présenté "Touche pas à mon poste" sur D8 (ancien nom de C8) pour un soir en 2013 quand Cyril Hanouna présentait "Nouvelle star" en prime time sur la chaîne. Quel regard portez-vous sur la situation de l'émission aujourd'hui ?
Je n'ai pas vraiment de commentaires à faire là-dessus. C'est vraiment pour moi une autre histoire. Je ne me réjouis pas de l'arrêt d'une émission qui emploie des journalistes et des techniciens. Je ne veux pas en dire plus.