Mélissa Theuriau préfère réaliser des documentaires dans l'ombre qu'animer des émissions dans la lumière. À la tête de sa société, 416 Prod, l'ex-animatrice revient régulièrement sur le devant de la scène avec des documentaires engagés. À l'occasion de la diffusion - dans le cadre de la soirée "Rire pour un toit" - du documentaire "Leur combat pour un toit", consacré aux parcours de mal logés, ce soir sur M6, puremedias.com s'est entretenu avec Mélissa Theuriau.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Comment est né ce projet de documentaire ? C'est vous qui l'avez proposé à M6 ?
Mélissa Theuriau : Non, en fait, je travaille avec la Fondation Abbé Pierre depuis près de cinq ans. Chaque année, je produis des petits portraits de mal logés qu'ils diffusent dans le cadre de la présentation de leur rapport. Quand M6 a voulu s'engager sur cette grande soirée caritative il y a un an, la Fondation s'est dit que c'était l'occasion. Il a donc fallu obtenir l'autorisation de ces personnes car beaucoup ne veulent plus apparaître, il y a malheureusement beaucoup de honte. Je suis très honorée de la confiance qu'ils m'accordent en mettant à nu leur combat pour la dignité.
En revanche, c'est dans le cadre du documentaire que vous êtes retournée voir ces personnes trois ans plus tard ?
Oui, même si, personnellement, je n'avais jamais perdu le lien avec eux.
Pourquoi avoir choisi ces personnes-là ? Leur parcours était plus représentatif de ce que vous désiriez montrer ?
Je me suis attelée à essayer d'avoir un panel représentatif des Français qui sont frappés par la crise du mal-logement et qui sont tous dans des situations très diverses. Il peut y avoir des femmes seules, comme Anne-Marie dans le documentaire, ou des familles nombreuses. Il faut aussi mettre un visage sur ces étrangers qui peuvent effrayer et alors que les poncifs accablent sur les demandeurs d'aide. Moi, je peux vous dire qu'il n'y en a aucun qui est là pour essayer de juste toucher des aides. Je ne suis qu'avec des gens qui veulent juste avoir un toit sur la tête, un métier ou pouvoir envoyer leurs enfants à l'école.
"Je veux vraiment qu'on change d'avis sur les Français mal-logés"
Dans le documentaire, on découvre le portrait d'une mère de famille, Bouchra, qui est obligée de marcher dans le froid toute la journée pendant que ses enfants sont à l'école parce que son domicile est à plus de deux heures. En tant que citoyenne, comment vous réagissez face à cela ?
Je ne dors pas. Cette histoire m'a beaucoup ébranlée. Je connais très bien la famille que vous citez. Je n'ai jamais pu les abandonner au-delà de mon métier car je ne me suis jamais faite à cette situation. Voir des enfants être réveillés à 4h du matin pour faire 2h30 de transport pour seulement aller à l'école, c'est quelque chose que je ne peux pas accepter. Je fais ce métier pour ces oubliés-là. C'était fondamental pour moi de les rendre visibles. Je vis mieux depuis que je sais que leur situation s'est améliorée. Je veux vraiment qu'on change d'avis sur ces Français-là.
Qu'est-ce que vous voulez combattre ? L'indifférence ?
Pas seulement. Il y a tellement de faux procès qui sont faits. Notamment, j'y reviens, tous les poncifs sur les gens qui vivraient sur les aides. Je n'en peux plus de ce discours ! Moi, je n'en connais pas un seul ! Vous prenez l'exemple de Nicolas, qui est dans le documentaire, il ne perçoit aucune aide. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'aides pour les jeunes entre 18 et 25 ans. À 25 ans, vous pouvez toucher le RSA, mais avant, vous n'avez rien. Pour tous ces jeunes en rupture familiale, qui sont de plus en plus nombreux, il n'y a absolument rien ! D'où l'importance du relais associatif car les politiques publiques ne prévoient pas cette situation.
Votre objectif, c'est aussi de rappeler que les aides sont indispensables pour ces gens en situation désespérée ?
Oui parce que si elles n'existaient pas, ces gens mourraient. C'est pour ça qu'une soirée comme celle-ci est importante. Alors oui, on commence par le rire avec "Rire pour un toit" mais j'espère que les gens auront envie de rester devant ce document. Je ne vais peut-être pas faire faire changer d'avis sur le mal-logement mais si je pouvais nuancer ces avis, ce serait déjà une victoire. Le mal-logement, ce n'est pas le cliché - faux qui plus est - du SDF qui boit du rouge dans la rue. C'est quelque chose qui peut nous arriver à tous.
"J'aurais aimé que le documentaire soit programmé en access"
Comment est venue cette idée de raccrocher ce documentaire à un spectacle d'humour ? Les deux projets étaient corrélés ?
Oui, ils sont nés en même temps. La Fondation ne pouvait pas accepter un prime uniquement sur le rire sans montrer le travail de fond qui est mené derrière. Je pense qu'on pourrait même aller plus loin. J'aurais aimé que le documentaire précède le prime et soit programmé en access mais je fais partie des utopistes (rires).
Si on vous suit, on peut dire que c'est un document politique ?
Oui, vous pouvez ! Si je produis des documentaires, c'est parce que je pense que cela relève, au sens large, du projet politique. On a besoin du divertissement et d'un tas d'autres choses bien sûr mais le documentaire relève du politique dans le sens où il aspire à permettre une prise de conscience dans un monde qui est de plus en plus complexe. Et dans ce cas précis, de donner la parole à des gens que l'on voit trop peu dans les JT.
La jeunesse à Gaza, les femmes en prison, l'injustice, c'est votre fil rouge ?
C'est là-dedans que je me réalise, oui. Je suis partie d'une place confortable à M6 pour pouvoir me lever le matin avec un petit sentiment d'utilité. Ça se retrouve dans mes combats et mes documentaires. Ça me répare un peu, c'est peut-être égoïste quelque part.
Il y a aussi eu d'autres documents, engagés d'une autre manière, avec le portrait de Luc Besson sur France 2, "Les Trappistes" ou encore "Liberté, égalité, improvisez !", tous deux sur Canal+...
Oui, les portraits de Luc Besson et des "Trappistes", c'est une manière heureuse de raconter un parcours et l'occasion de dire qu'on n'arrive pas quelque part par hasard. Quant au documentaire sur l'improvisation, il est très politique ! À travers lui, on milite pour que l'improvisation, mouvement initié à Trappes - ça veut déjà dire quelque chose -, puisse arriver dans le plus de collèges possible.
"Je ne crache pas sur le métier d'animatrice"
Ça ne vous frustre pas de ne pas incarner ces combats que vous portez ?
Je l'ai fait pendant plusieurs années et je ne crache pas sur le métier d'animatrice. J'y ai trouvé un combat à mener pendant un moment, d'autant que sur "Zone Interdite", j'étais rédactrice en chef. J'ai ensuite eu besoin d'autre chose car ce n'était pas un cadre suffisant pour ce que j'avais envie de faire. J'avais tellement de sujets à traiter, je me disais que je n'aurais pas assez d'une vie pour tout faire.
Et finalement, le lien particulier qui vous lie à M6 ne s'est jamais défait.
Oui, j'ai eu beaucoup de chance. Vous savez, ce n'est pas pour rien que je continue à produire des documentaires pour M6. Ils continuent de m'offrir des cases hors du cadre. Par exemple, pour le documentaire sur les femmes en prison, j'ai eu une diffusion à part qui ne correspondait pas aux codes de la chaîne. C'est une marque de confiance.
Vous êtes toujours impliquée dans la Fondation M6 que vous aviez contribué à lancer et dont l'objectif est de lutter contre la récidive et permettre la réhabilitation des personnes détenues en préparant leur sortie ?
Oui, je le suis toujours. C'est moins visible parce que je ne suis pas une personnalité de M6. Je travaille notamment pour le relais parents-enfants. On manque d'accompagnants pour ces enfants qui vont visiter leur père ou leur mère incarcérés. C'est toujours bien de le faire savoir.
"Brigitte Macron dans 'Au Tableau !!!' ? Nous en discutons avec l'Élysée"
Parmi l'ensemble de vos productions, "Au Tableau !!!" est une singularité. Qu'est-ce que vous voulez dire avec ce programme ?
C'est Caroline Delage qui est venue me proposer ce concept. On l'a travaillé ensemble. Ça me semblait totalement frais et nouveau. On y trouve une parole un peu plus libre et moins langue de bois. C'était intéressant et le défi de confronter les politiques aux enfants était très excitant. Les questions sont souvent bien plus pertinentes que celles des adultes. Et on peut voir des moments d'authenticité que l'on ne voit pas ailleurs.
La contrepartie, c'est que tous les participants y apparaissent sous un jour sympathique.
Oui et non. Les enfants sont plus durs que cela. Les politiques sont toujours dans le contrôle mais le monde des enfants les amène inexorablement à se lâcher.
Vous êtes parvenue à convaincre Brigitte Macron de participer au prochain numéro ?
Nous sommes en discussions avec l'Élysée. J'espère toujours réussir à la convaincre. Je pense qu'elle serait formidable dans ce cadre-là. Elle pourrait se sentir à l'aise, avec son parcours personnel de prof. C'est maintenant à elle de faire son choix, la proposition a été faite.
"Je pourrais un jour revenir à l'animation"
Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
Dernièrement, j'ai proposé un court documentaire sur les violences faites aux femmes dans "66 minutes" sur M6. J'aimerais que les gens aillent le voir en replay, c'est un document fort pour lequel j'ai réussi à récolter une matière rare, la parole d'un homme violent. J'ai aussi un documentaire sur un enfant placé qui arrivera en début d'année sur Arte.
On imagine que si vous deviez revenir un jour à l'animation, ce serait forcément pour faire quelque chose d'engagé ?
Oui, je garde cette porte ouverte. Si un jour, on me propose un projet en résonance avec mes combats et en cohérence avec ce que je porte, je serai là. L'avenir nous le dira.