Une semaine avant l'ouverture du 66e Festival de Cannes, qui sera présidé par le réalisateur américain Steven Spielberg, Michel Hazanavicius fait un implacable bilan de la situation économique du cinéma français. Six mois après la tribune assassine du distributeur Vincent Maraval qui dénonçait les abus de certaines stars du cinéma français, le réalisateur oscarisé pour "The Artist" a publié ce week-end une longue tribune dans "Le Monde" où il donne des pistes pour améliorer la qualité du cinéma français.
Michel Hazavicius, qui s'exprime en tant président de la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP), alerte sur la "crise profonde" traversée par le cinéma français. Il estime que celle-ci est d'autant plus préoccupante qu'elle est masquée par de bons résultats économiques. "Pourtant, sur le papier, tout va bien. Avec plus de 200 films français par an et plus de 200 millions d'entrées en 2012, le cinéma a atteint des résultats jamais égalés depuis les années 1960. Quelques films hexagonaux s'exportent à nouveau et certains sont dignement reconnus internationalement. Cette singularité du cinéma français s'explique moins par la supériorité de ses talents que par la subtilité de son mode de financement. Nos voisins européens nous l'envient depuis bien longtemps", écrit-il en rappelant la spécificité d'un financement assuré par le CNC et par les importantes contraintes de productions auxquelles sont soumises les chaînes de télévision, Canal+ en tête.
Le réalisateur de "OSS 117" commence par dénoncer les "dérives" d'un système "qui est train de se gangrener", en paraphrasant la réplique du film "La Haine" de Mathieu Kassovitz : "A force de dire que tout va bien, on ressemble de plus en plus à ce type qui saute du douzième étage, et qu'on entend dire à chaque étage : 'Jusqu'ici tout va bien. Jusqu'ici tout va bien. Jusqu'ici tout va bien'."
Selon lui, le principal problème vient de l'absence de prise de risque de la part de l'ensemble des professionnels du secteur qui préfèrent, comme l'a montré la polémique autour du cachet reçu par Dany Boon pour "Un Plan Parfait", prendre un gros cachet pour faire un film plutôt que d'indexer leur salaire sur un hypothétique succès en salles. "Le fait que les gens qui fabriquent les films - réalisateurs, auteurs, acteurs, techniciens, et producteurs dans certains cas - ne soient plus intéressés financièrement au succès des films provoque des comportements qui pervertissent le système, écrit-il. Tous préfèrent gagner de l'argent en amont de la sortie, sur le financement et la fabrication même du film, puisque l'espoir d'en gagner dans la phase d'exploitation est quasi nul dans l'immense majorité des cas.(...) Il faut évidemment que nous soyons, nous fabricants, intéressés au succès de nos films. Nous aurons d'autant plus intérêt à en faire de bons, et pour moins cher s'ils peuvent rapporter de l'argent."
Le réalisateur explique qu'une bonne partie du budget d'un film sert à payer les têtes d'affiche (réalisateur compris) et que les techniciens sont sous-payés, les tournages délocalisés et les scénarios choisis pour de mauvaises raisons. "La qualité des films en fait souvent les frais", lâche-t-il. "La prise de risque a laissé place au préfinancement assuré et encadré", insiste-t-il en déplorant que la majorité des financement va vers les mêmes superproductions en délaissant les "films du milieu", tournés avec des moyens raisonnables et capables de séduire le grand public
Michel Hazanavicius propose de revoir les conventions "obsolètes" qui encadrent le financement du cinéma par les télévisions. Il déplore que Commission européenne s'oppose à la participation des FAI au financement du cinéma et appelle à "repenser le lien" avec les diffuseurs. "Il faut sans doute renégocier avec les chaînes de télévision et (...) accepter de se dire qu'internet c'est de la télévision, et que la télévision c'est de l'internet, et tirer les conséquences de ces nouvelles définitions, notamment pour le financement de nos oeuvres." "Un fournisseur d'accès est aussi un diffuseur, une plateforme de vidéo en ligne est aussi une chaîne, et que sont les tablettes, sinon des écrans qui ne disent pas leur nom ?", estime Hazanavicius en appelant à revoir la chronologie des médias en y intégrant les nouveaux acteurs de la vidéo à la demande.
Pour ce faire, Michel Hazanavicius interpelle les pouvoirs publics. "Il est vital que le président de la République ainsi que le gouvernement continuent à affirmer avec force notre vision si l'on veut éviter que notre cinéma s'effondre comme quelques-uns de ses cousins européens", conclut-il.