Et de onze ! Nans Thomassey (37 ans) et Guillaume Tisserand-Mouton (36 ans) - dit Mouts - inaugurent ce lundi 10 juillet à 21h10 leur onzième salve de films "Nus et culottés" sur France 5 avec un épisode intitulé "Objectif volcans d'Auvergne". Ils seront de retour les deux lundis suivants avec "Objectif Dordogne" et "Objectif Lot". Depuis dix ans, le duo de vagabond parcourt la France et le monde sans argent... ni vêtement pour réaliser des rêves. Grâce à la générosité des personnes qu'ils rencontrent, ils sont parvenus au bout d'une quarantaine d'objectifs et ont su conquérir les téléspectateurs, franchissant régulièrement la barre du million de téléspectateurs.
Pour leur retour, les deux compères se confient à puremedias.com sur plus de dix ans d'expériences sur les routes. Ils évoquent la place de leur émission dans le PAF et celle des vagabonds dans la société.
Propos recueillis par Maxime Fettweis
puremedias.com : On pourrait croire que le fait de partir nu est une ficelle pour attirer le téléspectateur. C'est le cas ?
Mouts : On n'avait pas du tout envie de faire un buzz là-dessus. C'était vraiment le délire de se dire : "Ça donne quoi si on part avec rien ?".
Nans : (Rires) Ça rajoute une note insolite mais la véritable nudité qui existe dans le programme c'est celle du coeur et c'est au moment des rencontres. On a une place privilégiée en tant que vagabonds parce qu'on est de passage et que les gens peuvent se livrer comme ils se livrent rarement. Ce n'est pas propre à notre duo, n'importe qui qui voyage sans argent raconte que les gens se livrent de manière assez extraordinaire. Nous, comme on a des caméras on vient recueillir ces témoignages-là.
Lors du lancement de l'émission en juillet 2012, imaginiez vous encore vous balader à poil, baluchon sur l'épaule 11 ans plus tard ?
N : Pas du tout. À la base ce n'était même pas une envie de créer une émission. C'était notre quête de dépouillement qu'on a un jour décidé de filmer quand on est partis à poil mais on ne voulait pas en faire une émission. Quand on a ramené cette vidéo, qu'on l'a partagée avec des copains, ils nous ont dit : "C'est incroyable, vous devriez en faire quelque chose !" Alors on l'a envoyée à une boîte de prod pour délirer, ils l'ont eux-mêmes envoyée à France 5 qui a dit : "Aller bingo, on fait un film." Après ils nous en ont commandé deux autres, et puis trois autres et là on est bientôt à 50 films. Pour moi c'était toujours un CDD d'un an renouvelé et en fait, ça fait maintenant quasiment 12 ans qu'on fait ça.
M : J'ai l'impression que notre leitmotiv c'était de se dire tant qu'on se marre, on continue. Qu'on arrive à réaliser un rêve ou qu'on y arrive pas, il y a la joie du chemin parcouru.
"C'est un effeuillage assez lent qui a mené jusqu'à 'Nus et culottés'"
Comment avez-vous poussé cette idée à l'extrême ?
N : À l'époque, on avait soif de plus d'irrationnel. On sortait d'une école d'ingénieur où tout était compilé dans des tableaux Excel. On voulait sortir du paradigme qui dit que pour être heureux, il faut posséder, tout acheter... On a commencé à se dire : "Tiens, et si on voyageait avec le moins possible." C'est un effeuillage assez lent qui a mené jusqu'à "Nus et culottés". On s'est aperçu que plus on fait confiance à la route, la vie, les gens et plus le voyage se charge en magie.
M : On s'est vite rendu compte qu'on avait mis le doigt dans quelque chose de beaucoup plus grand que nous. On retrouvait localement des sensations qu'on avait pu vivre à l'autre bout du monde, d'être libre, d'avoir un rapport aux choses différent. On osait pousser la chansonnette, aborder des sujets plus délicats, poser la main sur l'épaule des gens. Il y avait cette audace révélée du fait de partir sans rien et du coup, il y avait beaucoup plus cette relation de coeur à coeur.
Pari réussi puisque les audiences de l'émission n'ont fait que croître depuis son arrivée sur France 5, comment envisagez-vous ce succès ?
M : On a tous vécu ce sentiment de se sentir à poil. Pas seulement en sortant de chez soi nu mais dans la situation d'un nouveau job, d'une nouvelle classe, de déclarer sa flamme à quelqu'un qu'on aime sans savoir comment ça va être reçu... Ces situations font peur mais aussi terriblement envie parce que c'est là que l'on se sent vivant. Quand on met le focus sur les gens qu'on rencontre, il s'agit de personnes qui témoignent d'histoires de vies. Ça aide à se sentir moins seul et parfois à mieux comprendre celles et ceux qui vivent des histoires similaires.
N : Ça redonne aussi confiance en soi quand parfois on a des rêves un peu bizarroïdes. Voir deux gars qui partent à poil et sans argent pour réaliser des rêves, tout à coup ça peut permettre à beaucoup de gens de se rendre compte que ce n'est pas impossible. C'est comme une bouffée d'air frais qui dit : "Vas-y, crois en tes rêves."
"'Nus et culottés' est un médicament à tout ce qu'on voit en ce moment, notamment sur les chaînes info."
Certains médias décrivent "Nus et culottés" comme "l'antidote aux chaînes d'info en continu". Partagez-vous ce constat ?
N : Oui mais ce n'était pas notre intention à la base. On ne s'est pas positionnés contre les chaînes d'information en continu, on s'est positionnés pour aller chercher nos propres nouvelles du monde. En ce moment dans les médias, à la radio, il y a des questions de guerre, il y a des enfants qui sont tués par des policiers, il y a des mutineries... Ces nouvelles qui peuvent nous encourager petit à petit à fermer notre coeur. Voir deux mecs partir à poil et être accueillis chez les gens, ça rassure. C'est un médicament à tout ce qu'on voit en ce moment, notamment sur les chaînes info.
M : Mais ça voudrait dire que les chaînes info en continu sont un poison... On ne veut pas prendre position là-dessus.
Quelle place occupe votre programme dans le paysage audiovisuel français ?
N : C'est difficile à dire. Certaines personnes nous disent qu'ils allument la télé une seule fois dans l'année pour regarder "Nus et culottés". Pour elles et eux, c'est un programme à part et c'est très flatteur. Ce n'était pas une intention au début de faire une alternative mais on a réalisé qu'en faisant quelque chose qui nous faisait beaucoup de bien avec ces voyages, un des effets c'est d'apaiser les gens.
M : En tout cas beaucoup de gens nous disent que "Nus et culottés" devrait être remboursé par la sécu. Ce que je trouve assez culotté de leur part. Comme c'est diffusé sur le service public, c'est gratuit (rires).
L'actualité perturbe aussi vos voyages, on l'a vu avec le Covid lors de la dernière saison. Est-ce aussi le cas avec l'inflation ou la guerre en Ukraine ?
N : Pendant le Covid, ça a été parfois très compliqué d'arriver à faire du lien dans une période où on nous demandait de prendre nos distances. Donc il a parfois fallu être très créatifs. Mais nos voyages ne sont pas vraiment l'endroit où on va rencontrer les gens sur les idées politiques ou les opinions. On rencontre les gens sur leur histoire de vie, leurs témoignages. Ils nous parlent de ce qu'ils vivent politiquement mais ce n'est qu'une porte d'entrée pour aller les rencontrer dans leur intimité.
M : Ce qui est intéressant dans ces voyages, c'est qu'ils ramènent à des choses tellement ordinaires comme les gens qu'on aime, les plats qu'on aime, les difficultés qu'on a au quotidien...
Quel rapport nouez-vous aujourd'hui avec les personnes rencontrées au bout de 11 ans de voyages caméra à la main ?
N : Notre façon de voyager nous met en lien avec l'humain et on remarque qu'il y a toujours un désir d'hospitalité. Parfois il est un peu encrouté, un peu désactivé et c'est aussi à ça que servent les vagabonds, on vient activer quelque chose qui est déjà présent. C'est un patrimoine humain cette capacité à s'entraider. "Nus et culottés" c'est l'art de venir réactiver ces capacités humaines que l'on a déjà en nous. Ce que j'aime dans ces expériences de voyage c'est que ça vient dépoussiérer nos croyances, nous mettre en lien avec pas juste l'homme riche ou l'homme pauvre, ou le citadin ou le campagnard...
Quels préjugés vos expériences vous ont-elles permis de déconstruire ?
N : Nos expériences remettent tout le temps en question les croyances qu'on a. On entend parfois qu'en ville, les gens sont moins hospitaliers qu'à la campagne. La plus belle expérience d'hospitalité que j'ai vécue c'était en ville. Un jour, on rencontre une personne dans la rue qui nous dit au bout d'une demi-heure de conversation : "Prenez les clés, allez vous installer chez moi, je vous rejoins ce soir." Je n'ai jamais vécu ça autre part et c'était à Paris. Pareil pour l'idée reçue que les personnes pauvres hébergent et les plus riches n'hébergent pas. On a reçu de très très beaux accueils de gens qui étaient millionnaires comme de gens qui étaient pauvres.
Cette émission a eu un impact pour normaliser notre manière de voyager.
Est-il plus facile aujourd'hui de faire du stop en France ?
N : Oui. C'est de plus en plus simple de faire du stop, de dormir chez l'habitant. On a pris l'habitude, on gagne en confiance mais j'entends aussi les gens dire : "Venez dormir chez moi car j'ai vu un jour un film avec des gens qui voyageaient nus et qui dormaient chez l'habitant." Ça nous a fait prendre conscience que cette émission a eu un impact aussi de normaliser notre manière de voyager.
Avec votre façon de voyager, il est difficile de ne pas aborder les questions environnementales. Avez-vous l'impression que vos voyages sont politiques ?
N : Ça fait des années qu'on se dit qu'on arrête de prendre l'avion. Cette forme de militantisme peut paraître assez naïve en disant qu'on ne s'engage pas. Ça a été un choix de ne pas mettre ça en avant en racontant notre bilan carbone mais je pense que dans toutes les émissions du PAF, on doit avoir le bilan carbone le moins élevé. Mais on n'en fait pas un argument. Notre pari c'est que si tu te reconnectes à ton coeur, il y a une liberté qui est ouf qui se crée.
M : C'est vrai que ça fait écho dans la tête des gens. Je tilte sur le mot politique car ce n'est pas ce qu'on ressent. De mon côté, je me sens plus obéir à du bon sens. Je suis le premier frustré et contraint par cette réalité climatique mais c'est notre réalité. Si tu as 100 euros, tu ne vas pas acheter un truc qui en vaut 150, ce n'est pas possible. Du coup si on a deux tonnes de carbone par individu, on ne va pas en dépenser 18 tonnes. C'est purement arithmétique. Mais c'est un exercice plus complexe car on peut quand même émettre des tonnes de carbone donc ça implique de s'auto-discipliner, de se dire qu'on va voyager autrement.
"On n'a pas été au bout de nos processus créatifs donc on part pour la saison 12 et pour le reste, on verra"
Pensez-vous que le programme a encore de beaux jours devant lui ?
N : Plus le temps passe et plus je me dis que ce type de programme est nécessaire. Pour moi c'est important que ça existe et même si un jour on arrête avec Mouts, j'aimerais bien que ça continue ou qu'un programme similaire permette de témoigner par l'expérience que d'autres manières de vivre sont possibles et sont potentiellement aussi très joyeuses.
M : La joie étant un processus sauvage et indomptable, je suis incapable de répondre à cette question. Mais je sens que la vie elle en a sous le pied et que nous on a pas été au bout de nos processus créatifs donc on part pour la saison 12 et pour le reste, on verra.