C'est une longue enquête signée par la cellule investigation de Radio France, avec le consortium Forbidden Stories. Les journalistes se sont penchés sur les soupçons d'ingérence à BFMTV et notamment comment Rachid M'Barki, figure historique de la chaîne, en est arrivé à diffuser à l'antenne des informations biaisées, orientées et non vérifiées par le circuit habituel de la rédaction. Des informations portant sur des oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Sahara "marocain" et le Cameroun ont été présentées et fournies clés en main pour le compte de clients étrangers. Après ces révélations début février, le présentateur a été suspendu d'antenne et une enquête interne a été diligentée à BFMTV.
Selon Radio France, interrogé par la direction de BFMTV, celui qui anime "Faites entrer l'accusé" sur RMC Story a admis des opérations "d'entrisme" et une éventuelle "erreur de jugement journalistique". Il aurait "rendu service à un ami".
Et comme le révèle l'enquête de la cellule investigation, c'est Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France, qui a alerté Marc-Olivier Fogiel, directeur de BFMTV, de ces soupçons d'ingérence. Cette vaste enquête intitulée "Story Killers", en collaboration avec le consortium Forbidden Stories, a réuni 100 journalistes de médias internationaux pour se pencher sur une structure israélienne spécialisée dans l'influence, la manipulation électorale et la désinformation.
Ayant découvert ces soupçons d'ingérence, l'enquêteur de Radio France a fait part de ses découvertes au patron de la première chaîne d'information de France. "Il m'explique que des brèves lui sont proposées par un intermédiaire et que cela relève de son libre arbitre éditorial. C'est suffisamment problématique pour que nous lancions un audit interne pour comprendre comment ces brèves arrivent à l'antenne, comme elles sont illustrées et par quel biais la hiérarchie a été contournée", raconte Marc-Olivier Fogiel.
L'origine de cette affaire se trouve ainsi en Israël. Durant plusieurs mois, Frédéric Métézeau, accompagné de deux journalistes d'investigation israéliens, ont infiltré l'agence de désinformation baptisé Aims, dont l'équipe a été nommée "Team Jorge". Ses employés sont notamment composés d'anciens membres de l'armée israélienne et des services de renseignements du pays. La société se permet d'intervenir dans tous les pays du monde, sauf la politique nationale américaine, la Russie et Israël.
Et cette entreprise douteuse revendique de recruter des journalistes au sein de grands médias étrangers, facturant à un client 20.000 euros une publication, dont 3.000 seraient reversés en espèces au journaliste. Présents au sein de la société de désinformation, les trois enquêteurs de "Story Killers" découvrent une vidéo datant du 19 septembre 2022 dans laquelle Rachid M'Barki évoque les difficultés de l'industrie du yachting à Monaco après la mise en place des sanctions contre les oligarques russes. L'extrait a ensuite été diffusé sur les réseaux sociaux via la plateforme Aims.
L'enquête révèle par ailleurs l'un des hommes-clé de ce scandale, Jean-Pierre Duthion, qui est désigné comme celui qui aurait fourni les textes et les images à diffuser sur BFMTV. Joint par Forbidden Stories, il s'est présenté comme "lobbyiste" et "mercenaire" : "BFMTV est devenu l'agneau sacrificiel. On est en train de découvrir que des agences de com' dont l'objectif est de placer des sujets, arrivent à faire leur travail". Il a toutefois démenti avoir payé Rachid M'Barki et a assuré ne pas connaître le commanditaire : "Je n'ai jamais et ne rémunérerai jamais un journaliste. Aucune preuve, aucun élément ne permet d'affirmer le contraire".