Depuis le début de la saison et son arrivée à la tête de "Culture médias", diffusée du lundi au vendredi entre 9 et 11h sur Europe 1, il est l'une des voix de la station de radio du groupe Lagardère. Choisi pour succéder à Philippe Vandel en juin, Thomas Isle est devenu celui qui décortique les médias et se penche sur la culture sur les ondes de la radio aux bonnettes bleues. Un mission parfois périlleuse lorsqu'on sait que la station appartient au groupe Bolloré, également propriétaire de Canal+, C8, CNews et désormais du "Journal du dimanche". Choix des invités, traitement des polémiques, arrivée de Philippe Vandel sur Franceinfo... Thomas Isle fait le bilan de son premier mois d'antenne et tente de poser son empreinte sur ce rendez-vous incontournable de la grille d'Europe 1.
Propos recueillis par Maxime Fettweis.
Vous avez fêté votre premier mois à la tête de "Culture médias", comment avez-vous vécu vos débuts dans ce rendez-vous désormais emblématique d'Europe 1 ?
C'était un honneur. Quand on m'a appelé pour me proposer de remplacer Philippe Vandel dont j'étais déjà le joker, j'étais très heureux. Le premier mois c'est un tunnel, je suis rentré dans une autre dimension. Je ne pense plus qu'à "Culture médias", je passe ma vie, mes week-ends à réfléchir à l'émission. J'essaye de tout voir, de tout lire et ça prend énormément de temps puisqu'on a plusieurs invités par jour. C'est un très très gros boulot, très intense mais en même temps, tellement passionnant. J'espère qu'on est partis pour une aventure qui durera.
Avant de débarquer à la radio, vous avez travaillé plusieurs années dans les coulisses d'émissions télé. Est-ce que ces expériences vous aident à aborder les sujets médiatiques ?
Je me suis toujours intéressé à la télévision. Je me souviens que très jeune, quand j'allais chez mes grands-parents le week-end, j'allais ouvrir "Le Figaro" parce que c'était le seul endroit où on donnait les audiences à l'époque. Il n'y avait pas encore puremedias.com donc je n'avais pas encore cette drogue quotidienne des audiences mais j'avais envie de faire partie de ce monde-là. J'ai eu la chance de participer à "Médias le magazine" sur France 5 et d'être producteur de plusieurs émissions, notamment "N'oubliez pas les paroles". J'ai cette connaissance des coulisses et j'ai envie de montrer comment ça se passe.
"À la télévision, je me rends compte à quel point les audiences me collaient une pression quotidienne"
En vous installant à la tête de l'émission, l'objectif de la chaîne est-il de faire remonter les audiences d'Europe 1, en déclin depuis plusieurs mois ?
Evidemment. Je suis là aussi pour trouver les clés qui vont faire revenir plus de gens sur cette tranche horaire. Il y a une volonté, qu'on ressent dans les couloirs d'Europe 1, de créer une dynamique de groupe. Ça me plaît parce que je suis quelqu'un qui aime travailler en équipe. J'essaye de donner un ton nouveau à "Culture médias". Le fond compte autant que la forme et donc j'essaye de faire en sorte qu'on apprenne plein de choses, que sur le fond ce soit béton, mais je m'intéresse aussi à la forme que ça prend pour donner l'impression d'écouter une discussion entre amis.
Le couperet tombera en novembre lors de la prochaine salve d'audiences radio. Attendez-vous ce moment avec impatience ?
Ça me fait très bizarre parce que je n'ai pas du tout l'habitude de ça. J'étais habitué à avoir la petite note qui tombe chaque matin à 9h02 en télé. Je me rends compte à quel point ça me collait une pression quotidienne. Je suis beaucoup plus à l'aveugle aujourd'hui mais en même temps je trouve ça assez sain. Certes, ça va être une très grosse pression le jour où ça va arriver mais en attendant, je n'ai pas la courbe quotidienne qui peut être assez nuisible.
"Culture médias" repose sur ses invités. Est-il toujours facile de trouver des nouvelles personnes à recevoir sans tomber dans une promo décomplexée ?
Les invités, c'est le nerf de la guerre. On a une très très bonne programmatrice qui a travaillé en télé, notamment avec Laurent Ruquier à l'époque d'"On n'est pas couchés". Elle se bat chaque jour, et c'est une bataille entre toutes les émissions radio et télé. Il faut convaincre les invités, qu'ils acceptent de venir, et si possible, les avoir en premier. Ça permet de leur faire dire des choses qu'on n'a pas entendues ailleurs. Pour moi une émission réussie c'est quand on a réussi à les faire sortir de leurs éléments de langage. Ça m'est arrivé de sortir d'une émission en me disant : "Là je n'ai pas réussi, il ou elle m'a dit la même chose que ce qu'il avait dit à un autre journaliste". Dans ces cas-là je suis déçu.
"On a invité les dix personnalités françaises les plus connues de Twitch. Ils ont tous refusé."
Face à l'érosion des audiences de la télévision au profit de nouvelles plateformes telles que Twitch, avez-vous pour ambition de couvrir tous ces nouveaux supports ?
Oui. On s'y intéresse déjà beaucoup et je pense qu'on va s'y intéresser de plus en plus. C'est une autre forme d'émissions télévisées, il y a des caméras, des invités, un décor mais la liberté est différente, le ton aussi. On peut se permettre de boire de l'alcool, d'être grossier, ce qu'on ne ferait pas forcément à la télévision. La durée est aussi illimitée. En télé, et encore plus en radio, on est tellement habitués à un rythme serré avec des timings. Encore plus sur une radio privée où il y a de la publicité, de la musique à envoyer, donc des séquences qui sont assez courtes !
Pensez-vous que ces plateformes peuvent encore gagner du terrain sur les médias traditionnels ?
C'est un peu ce qu'a dit Squeezie dans "Télérama", que la télé n'avait pas suffisamment innové... Je le rejoins là-dessus.
Avez-vous déjà tenté de recevoir certaines personnalités de Twitch ?
C'est simple, vous prenez la liste des dix personnalités françaises les plus connues sur Twitch, on les a tous sollicités dernièrement pour un débat. Ils ont tous refusé. Seul Samuel Etienne a répondu présent. C'est difficile de les faire venir sur un média traditionnel comme le nôtre. Ils sont leur propre média, leur propre diffuseur, ils ont leur communauté et ils estiment qu'ils n'ont pas besoin d'aller chercher un autre public.
"J'ai peur de la redite et qu'on n'apporte rien de plus sinon du brouhaha autour du brouhaha"
Aujourd'hui, de nombreuses polémiques rythment la vie de la télévision. Comment les traitez-vous dans "Culture médias" ?
J'ai une certaine distance vis-à-vis de ça. Je me méfie un peu de l'écume du moment où tout le monde va s'exciter ou tomber sur un truc. Je trouve que dans ces cas-là, on est un petit peu à la bourre, on arrive généralement trop tard. À moins que ça se passe à 8h58 mais c'est assez rare (rires). Ce sont des choses qu'on va tous voir sur notre téléphone, sur les réseaux sociaux, les images fortes du moment, la dernière petite polémique, le happening, ce qu'il s'est passé dans telle émission, j'ai peur de la redite et qu'on n'apporte rien de plus sinon du brouhaha autour du brouhaha.
Plusieurs polémiques ont récemment éclaboussé le groupe Lagardère, propriétaire d'Europe 1 et appartenant au groupe Bolloré. On pense notamment au mouvement de grève de la rédaction du "Journal du dimanche" après l'annonce de l'arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du journal. Cette image du groupe est-elle un frein pour recevoir certains invités ?
Il peut y avoir des invités qui, d'eux mêmes, décident de répondre qu'ils ne peuvent pas venir et je ne peux jamais savoir la raison cachée derrière. À côté de ça, on a énormément d'appels pour participer à l'émission. C'était un des enjeux pour moi, de rendre cette émission crédible et sympa pour que tout le monde ait envie de venir et aujourd'hui on a très peu de refus. Si vous regardez notre programmation des dernières semaines, c'est assez large.
Est-il possible de se protéger d'une forme d'entre-soi quand Canal+, C8 et CNews occupent les mêmes bâtiments ?
On peut avoir des suggestions qui viennent de Canal+ ou de C8, ils nous font des propositions comme le font les responsables communication de toutes les chaînes. À la fin, c'est nous qui choisissons qui on reçoit. On ne m'a jamais forcé la main. J'ai aussi reçu tous les patrons de chaînes, ils sont tous les bienvenus et j'y tiens absolument car il en va de la crédibilité de l'émission.
"Même en interne à Europe 1 j'ai de la concurrence parce qu'il y a d'autres émissions qui reçoivent des artistes"
Les émissions animées par Cyril Hanouna et Pascal Praud ont néanmoins été impliqués dans des polémiques relevant d'une agression sexuelle pour l'une et d'un parallèle entre punaises de lit et immigration pour l'autre. Alors qu'on pense que "Culture médias" aurait été l'endroit idéal pour aborder ces sujets, ils n'ont même pas été évoqués. Pourquoi ?
Ce qui est toujours un peu délicat c'est que je sais qu'avec ce type d'invités, je vais être suspecté d'être trop complaisant car on est dans le même groupe. Quelque part, ne pas rentrer là-dedans c'est presque un soulagement car je sais que ce sera forcément matière à polémique derrière. Cyril (Hanouna, NDLR), on l'a invité pour faire l'émission. On en a discuté ensemble et il a fait le choix d'aller chez Pascal Praud qui est diffusé juste après nous. On aurait pu faire venir Alex Goude. Mais là on entre dans ce que je disais... Devait-on surfer sur la polémique ? Je pense que tout avait déjà été dit, il s'en est expliqué lui-même sur les réseaux sociaux, il est retourné dans l'émission pour en reparler dernièrement... Je ne sais pas s'il y avait beaucoup de choses de plus à dire. On a reçu Pascale de La Tour du Pin dans l'émission, si vous écoutez l'interview qu'on a faite, on a posé toutes les questions qui se posaient et on a rien éludé du tout.
Après avoir animé l'émission pendant quatre ans, Philippe Vandel est arrivé sur Franceinfo la semaine dernière. Il y tient une interview quotidienne. Le considérez-vous comme un concurrent ?
Lui comme tous les autres. Même en interne à Europe 1 j'ai de la concurrence parce qu'il y a d'autres émissions qui reçoivent des artistes. C'est vrai qu'on surveille ce qui se fait ailleurs. Parfois on passe à côté de certains invités ou à l'inverse, on se dit qu'on en a trop vu d'autres. En tant qu'auditeur ça peut m'agacer de me dire qu'on voit toujours les mêmes. Donc parfois on va s'autoriser à justement faire un petit pas de côté, parler de quelque chose que les gens ont peut-être moins vu. C'est bien aussi de fonctionner au coup de coeur.
Vous dites fonctionner au coup de coeur. Quelle est la patte Thomas Isle par rapport à ce que l'émission pouvait être avec Philippe Vandel ?
On n'a pas les mêmes goûts avec Philippe et on l'assume totalement. Il est passionné par le sport alors que j'ai un prisme un peu plus politique. Je pense que la différence se fait aussi à l'écoute et ça, ce n'est pas à moi de le dire. Ce que j'adore avec ce média c'est qu'il permet de se débarrasser de l'image. C'est assez confortable de se concentrer uniquement sur le fond. Je me rends compte qu'on montre plus sa personnalité quand on est dans un rendez-vous comme celui-là par rapport à ce que j'ai pu faire l'an dernier à parler à un prompteur et à présenter des documentaires. C'était intéressant mais en radio, avec un rendez-vous de deux heures, on peut vraiment créer un lien avec les gens.