De la certitude au démenti. Vendredi soir, peu avant 20 heures, "Le Parisien" annonce l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès à l'aéroport de Glasgow. Celui qui est porté disparu depuis 2011 et le meurtre de sa femme, leurs quatre enfants et leurs deux chiens aurait été reconnu grâce à ses empreintes digitales, l'homme étant "méconnaissable". Quelques minutes plus tard, l'AFP publie une dépêche, affirmant également que le premier témoin et suspect de la tuerie de Nantes a été arrêté. Dans la foulée, les chaînes d'information en continu basculent en édition spéciale jusqu'à tard dans la nuit. La presse, elle, y consacre une grande place en Une avec l'affirmation de son arrestation. "Le Parisien" utilise l'intégralité de sa Une avec ce titre : "Arrêté". Un seul quotidien doute : "La Provence", qui y ajoute simplement un point d'interrogation.
Mais samedi matin, les certitudes de la veille laissent place à des doutes, minute après minute. Europe 1 est la première à évoquer une possible erreur, avec le témoignage d'un voisin de la maison de Limay, dans les Yvelines, affirmant que l'homme arrêté à Glasgow n'est absolument pas Xavier Dupont de Ligonnès. Tout au long de la matinée, les plusieurs témoignages arrivent, à la fois en radio et en télévision. Parallèlement, BFMTV affirme que la certitude de la veille est clairement remise en doute puisque les empreintes digitales du suspect ne correspondent que "très partiellement" avec Xavier Dupont de Ligonnès, tandis que son visage n'aurait rien à voir avec l'homme recherché depuis huit ans. Et c'est à la mi-journée qu'Europe 1, suivie par BFMTV et l'AFP, annonce que les tests ADN sont désormais formels : contrairement à ce qui a été annoncé, Xavier Dupont de Ligonnès n'a pas été arrêté à Glasgow.
Un revirement de situation, près de 16 heures après l'annonce initiale et presqu'autant d'heures en édition spéciale pour les chaînes d'information en continu. Et surtout, des interrogations pour les lecteurs et téléspectateurs, entre l'affirmation par plusieurs médias du vendredi et le démenti officiel du samedi. Hier, sur son site internet, "Le Parisien", à l'origine de l'annonce de l'arrestation, a fait son mea culpa, "dans un souci de transparence". Le quotidien explique comment il en est arrivé à diffuser cette information erronée, point par point. "Nous, journalistes du Parisien, sommes informés aux alentours de 20 heures par plusieurs sources, cinq au total, de niveaux hiérarchiques différents dont certaines au coeur de l'enquête qui confirment toutes le scénario du signalement anglais, de l'interpellation à l'aéroport de Glasgow et de la validation de l'identité de Xavier Dupont de Ligonnès par la comparaison d'empreintes digitales effectuée par la police écossaise. Ces confirmations nous seront répétées plus tard dans la soirée", expliquent nos confrères. Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, a personnellement présenté ses "excuses à (ses) lecteurs et aux familles" dans un tweet.
Ce dimanche, "Le Parisien" consacre par ailleurs sa Une à l'"histoire d'une méprise". Dans son édito, Stéphane Albouy, directeur de la rédaction du quotidien, revient sur ce raté. "La diffusion d'une information ayant trait à une affaire criminelle revêt toujours une sensibilité particulière. La décision de publier répond aussi à des règles de prudence et de vérifications", débute-t-il, expliquant donc avoir personnellement validé la mise en ligne de l'article de vendredi soir. "Les recoupements nécessaires ont été faits et même multipliés", écrit-il. Malheureusement, cette information était au final fausse. "Malgré le respect de règles de vérifications, cette méprise nous amène évidemment à questionner nos propres modes de fonctionnement. Mais cet enchaînement et, à l'arrivée, la publication d'une information qui s'est révélée être erronée, nous conduisent d'abord et avant tout à exprimer nos plus sincères regrets à l'ensemble de nos lecteurs et à présenter nos excuses à la famille des victimes, à la personne interpellée à tort et à ses proches", conclut Stéphane Albouy.
L'AFP a de son côté livré ses explications au travers d'une dépêche, retraçant là aussi la chronologie de l'affaire. Ainsi, lorsque l'Agence publie sa dépêche, une trentaine de minutes après l'article du "Parisien", elle "dispose de quatre sources policières françaises différentes avec lesquelles les journalistes ont l'habitude de travailler en confiance". "Toutes relèvent que 'selon la police écossaise' les empreintes digitales de l'homme interpellé à Glasgow 'correspondent'. Il n'y a pas de conditionnel dans ce que rapportent les Ecossais à leurs collègues français", note l'AFP, précisant qu'à ce moment, les enquêteurs attendent les résultats des tests ADN afin de pouvoir affirmer avec certitude que l'homme interpellé est bien Xavier Dupont de Ligonnès. Mais la suite des événements révèle qu'il n'en est rien. A 12h55, l'AFP publie ainsi une dépêche contredisant sa déclaration du vendredi soir. "Sollicitées par l'AFP, les sources françaises ou écossaises n'ont à ce stade fourni aucune aucune explication sur l'origine de cette erreur", précise l'Agence en fin de dépêche.
Côté télévision, BFMTV, qui a été la première chaîne d'information en continu à titrer sur les doutes samedi matin, a également retracé ces 16 heures sur son site internet, affirmant même avoir l'information avant la publication du "Parisien". "La soirée est ensuite émaillée d'informations contradictoires. Pendant quelques minutes, à 21h23, nous confirmons nous aussi l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès. Des sources policières affirmatives nous ont donc induits en erreur quelques minutes, ce qu'évidemment nous regrettons. Nous nous sommes ensuite rétractés après avoir reçu de nouvelles précisions. L'information sera reprise sur notre compte Twitter avant d'être supprimée", explique la chaîne d'information en continu, soulignant ne pas avoir relayé certaines rumeurs avancées par d'autres médias. "Vers 23 heures, on nous dit que tout ne correspond pas", explique Sarah-Lou Cohen, cheffe du service police-justice de BFMTV, sur le site de la chaîne. Malgré tout, selon nos constatations, la chaîne info du canal 15 maintient son titre sur l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès jusqu'à 9h49 samedi matin. "D'autres interrogations se posent désormais pour comprendre comment cette nouvelle fausse piste a pu être prise aussi sérieusement par les policiers puis relayée auprès des médias", conclut BFMTV.
Chez LCI, également sur le site de la chaîne, l'heure est aussi aux explications. "En plateau, nos journalistes se tiennent au courant des avancées, à 23h30, le présentateur, Damien Givelet, rappelle qu'il faut prendre cette annonce avec précaution", écrit la rédaction de la chaîne. Toutefois, malgré ces précautions orales, le bandeau de la chaîne reste sur l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès toute la nuit et jusqu'en début de matinée, avant de revenir sur les huit ans de cavale. Les doutes, eux, ne font leur apparition en bandeau principal qu'à 10 heures, grâce notamment aux témoignages des voisins de la maison de Limay. Et à la mi-journée, l'information est donc démentie, mettant "un point final à une des nombreuses pistes qui, depuis la disparition de celui que l'on surnomme 'XDDL' en avril 2011, jalonne cette enquête hors normes qui passionne la France", écrit LCI.
Enfin, France Télévisions annonce aussi sur le site de franceinfo faire "amende honorable". "Nous avons eu nos sources et nous partons comme ça, nous nous disons 'zéro souci'", raconte Audrey Goutard, journaliste police-justice côté télévision. Même son de cloche à la radio, avec de "multiples sources catégoriques", selon Delphine Gotchaux, cheffe du service police-justice de la station. Dès que les premiers doutes apparaissent dans les rédactions vers 23h, Franceinfo affirme faire preuve de prudence et, comme ses confrères, mentionne clairement que l'information vient de la police écossaise. Malgré tout, Xavier Dupont de Ligonnès est présenté comme arrêté jusqu'à samedi, 10h, moment où le conditionnel apparaît à l'antenne. Car c'est samedi matin que les nombreux doutes apparaissent, notamment sur le physique de la personne interpellée. "Cela ne colle pas. On ne sait plus quoi penser", explique Audrey Goutard, ajoutant que les journalistes ont donc "avancé au même rythme que les policiers, avec les risques que cela comporte". Reste à savoir maintenant si ces 16 heures autour de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès auront une influence sur la confiance accordée par les Français aux médias.