France Inter avait-elle connaissance de supposés liens entre l'une de ses pigistes et Daesh ? Telle est la question depuis la condamnation à 12 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d'amende de Céline Martelet le 22 mars dernier. Le tribunal correctionnel de Paris reproche à cette journaliste indépendante des faits qualifiés de complicité de financement du terrorisme et complicité de corruption de fonctionnaire étranger.
Philippe Val a son avis sur la question. L'ancien directeur général de France Inter (2009-2014) et désormais chroniqueur dans la matinale d'Europe 1 de Dimitri Pavlenko a affirmé avec certitude, dans sa chronique du 25 mars dernier repérée par "CheckNews", que "plusieurs confrères, spécialistes du Moyen-Orient, (avaient alerté) le Syndicat des journalistes, la société des journalistes, le secrétariat général de la rédaction et la direction de la rédaction de France Inter" au moment où il avait été question "d'embaucher" Céline Martelet qu'il présente comme "une journaliste de 'Mediapart'".
"La journaliste en question aurait des liens avec Daech et serait mêlée à un transfert d'argent en vue d'exfiltrer de Syrie des femmes jihadistes et le terroriste français Maximilien Thibaut", assure-t-il, déplorant que "les avertissements des collègues sont balayés d'un revers de manche et on signe un contrat en bonne et due forme à Céline Martelet qui part donc, en Syrie (à Idlib), pour le compte de France Inter", ajoute le chroniqueur.
Deux ans plus tard, cette affaire dans laquelle un ancien avocat de jihadistes ainsi que trois parents de jihadistes sont aussi impliqués, a donc été jugée. Céline Martelet et Édith Bouvier, toutes deux journalistes spécialistes du jihadisme, ont interjeté appel bien qu'elles ont reconnu, au cours de l'audience, être "sorties du cadre de leur métier" et avoir agi pour "sauver des vies", notamment celles des enfants.
Dès ce lundi 25 mars 2024, la radio publique a "décidé de suspendre la réécoute de ce reportage conséquemment à cette décision de justice", a-t-elle annoncé dans un communiqué publié sur X. Elle a précisé en outre que "(ces) faits ne sont pas en lien avec (le) reportage" qu'elle a réalisé pour "Interception", l'émission de reportages de France Inter le 24 avril 2022.
Les faits reprochés à la journaliste remontent en effet aux années 2016 et 2017. Céline Martelet était alors journaliste à RMC et pas à "Médiapart", qui a contesté l'affirmation de Philippe Val sur ce point dans un article de "CheckNews" publié ce jeudi 28 mars 2024. De la même manière, selon les informations du média de fact-checking de "Libération", Céline Martelet n'aurait pas été "embauchée" par France Inter, comme le prétend Philippe Val. Il s'agissait d'une "collaboration ponctuelle sur un reportage de 45 minutes" entre les deux parties.
Dans son enquête, "CheckNews" révèle, par ailleurs, que la Société des journalistes de France Inter a bien été saisie en mars 2022 mais "les démêlées judiciaires" de la journaliste – mise en examen en 2021 –, connus au sein de la rédaction depuis la publication d'un article du "JDD" en février 2019, n'était alors pas le fond du problème. La saisie relevait davantage de questions de "sécurité" ou de... "jalousie", raconte un membre de la SDJ.
De son côté, la station publique a livré sa version à "CheckNews". "Lorsque l'ancienne direction (Catherine Nayl était encore en poste, ndlr) a eu connaissance des faits reprochés, elle a décidé d'arrêter la collaboration. Aucun élément matériel ne permet à ce stade de dire que la direction était au courant des faits avant la diffusion du reportage sur 'Interception'", explique-t-on du côté de la Maison de la radio. Certaines sources de "CheckNews" en doutent.
Catherine Nayl n'a pas répondu au média en ligne contrairement à Céline Martelet, qui a profité de la tribune qui lui était offerte pour dénoncer la chronique de Philippe Val. "J'ai reçu des menaces de mort de la part de Daech par le passé, mais là ça dépasse tout ce que j'ai connu. Les gens ne se cachent plus. Et c'est cette instrumentalisation par l'extrême droite qui me fait peur. Car des médias nous lâchent à la suite de la chronique de Philippe Val, alors qu'ils étaient au courant de l'affaire auparavant et que cela ne leur posait pas de problème. Les sociétés des journalistes ne disent rien alors que tout le monde sait que l'on ne finance pas le terrorisme".