Veillée d'armes. À quelques heures de deux journées de mobilisation à l'appel des syndicats de France Télévisions et Radio France contre le projet de fusion de l'audiovisuel public au sein de France Médias le 1er janvier 2026, 1.100 salariés de la Maison ronde, parmi lesquels les journalistes et animateurs Nicolas Demorand, Léa Salamé, Sonia Devillers, Nagui et Rebecca Manzoni, s'y opposent publiquement. Ils signent une tribune, ce mercredi 22 mai 2024 dans "Le Monde", pour mettre en garde les auditeurs de France Inter, France Info ou encore France Musique du "risque avant tout démocratique" que ferait peser la proposition de loi de Laurent Lafon. Adoptée au Sénat le 13 juin 2023, celle-ci sera examinée à partir de ce jeudi 23 mai 2024 à l'Assemblée nationale.
Ce texte, validé le 15 mai 2024 en commission au palais Bourbon, prévoit la création d'une holding de l'audiovisuel public en 2025, qui concernerait ses quatre entités (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA), avant une fusion au 1er janvier 2026. Les députés ont, à ce stade, retiré France Médias Monde (RFI et France 24) de ce regroupement.
"Nous craignons pour l'indépendance de vos médias de service public lorsque l'on nommera, pour cette superstructure, un ou une PDG unique, aux pleins pouvoirs", expliquent les signataires issus de tous les secteurs d'activité de l'entreprise publique. Le président-directeur général de cette holding serait en effet nommé pour cinq ans par l'Arcom, dont le président est nommé directement par le président de la République. L'Assemblée a retoqué en commission la nomination du PDG par décret du président de la République.
"Rappelez-vous, la suppression de la redevance a été votée un été, quasi sans débat. Depuis, le financement de l'audiovisuel public n'est plus sanctuarisé, et donc plus garanti. Il ne faut pas placer les radios et télévisions publiques en situation de dépendance directe du pouvoir politique", alertent les signataires dans la tribune.
Pour rassurer sur le plan financier en parallèle du projet de fusion, le gouvernement soutient un texte sur le financement de l'audiovisuel public préparé par les députés Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (LR), qui acte un fléchage pérenne depuis le budget de l'État au profit de l'audiovisuel public ("prélèvement sur recettes"), sur le modèle du financement des collectivités.
"L'idée qu'une fusion-absorption de nos médias permettrait de faire des économies est un leurre. La création d'une entreprise unique coûtera très cher (...) La fusion des régions, en 2016, n'a pas fait baisser le budget de ces collectivités, au contraire", rétorquent les signataires, qui s'inquiètent enfin d'une uniformisation des productions.
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"Le risque est de voir toujours les mêmes visages, d'entendre toujours les mêmes voix vous délivrer les mêmes contenus recyclés indifféremment à la télé, à la radio et sur le Web. Ajoutez à cela la volonté de déplafonner la publicité sur les antennes de Radio France, et nous verrons les revenus publicitaires dicter nos choix de programmes et nos offres de podcasts".
Et les signataires de conclure : "Vouloir fusionner tout l'audiovisuel public nous semble démagogique, inefficace et dangereux. Nous sommes tous très attachés au travail de nos collègues de la télévision publique, avec lesquels certains d'entre nous produisent déjà des contenus au quotidien. Mais nul besoin de nous regrouper. Cinq anciens ministres de la culture dénoncent l'absurdité de ce projet flou et précipité".
Emmanuel Macron avait prôné un rapprochement dès 2017 en dressant un constat sévère sur l'audiovisuel public. Franck Riester, prédécesseur de Rachida Dati, avait porté en 2019 un projet de holding stoppé par le covid-19. Pourquoi cette réforme maintenant ? La ministre de la Culture assure qu'il faut la faire au plus vite, avant la fin du mandat de la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, en 2025.
"Le moment politique est venu" pour une "fusion" de France Télévisions et Radio France en 2026, avait martelé la ministre de la Culture, Rachida Dati, en ouvrant l'examen législatif de ce big bang de l'audiovisuel public en commission à l'Assemblée nationale le 14 mai 2024. D'après elle, l'audiovisuel public dispose de "forces indéniables" mais aujourd'hui "dispersées", ce qui l'expose à un "risque d'affaiblissement" face à la concurrence des plateformes internationales comme Netflix. La société géante France Médias aurait un budget de quatre milliards d'euros et la réforme concernerait 16.000 salariés.