Le 24 mai dernier, sur la scène du Palais des festivals de Cannes, le jury présidé par la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion attribuait la Palme d'or de l'édition 2014 à "Winter Sleep" de Nuri Bilge Ceylan. Une consécration pour le réalisateur turc, habitué de la cérémonie de clôture puisqu'il avait décroché à deux reprises le Grand prix (en 2003 pour "Uzak" et en 2011 pour "Il était une fois en Anatolie") ainsi que le prix de la mise en scène en 2008 pour "Les Trois Singes".
Deux mois et demi plus tard, "Winter Sleep" sort en salles aujourd'hui. Le film raconte l'histoire d'Aydin, un comédien à la retraite, qui tient avec son épouse et sa soeur un petit hôtel en Anatolie centrale. Cloitrés chez eux à cause de la neige qui a envahi la steppe, les personnages vont se déchirer...
La presse française est très partagée sur ce film qui dure la bagatelle de 3h16. Ce matin, dans les colonnes de la presse, les ardents défenseurs de "Winter Sleep", qui n'hésitent pas à crier au génie, s'opposent vivement aux sévères réfractaires au style du Turc.
"Télérama" fait partie des titres les plus charmés. "Un film superbe, dont on sort pas indemne, qu'on emporte avec soi, pour ne le quitter jamais", estime Pierre Murat pour qui le film est "un choc esthétique et moral". Le journaliste voit une filiation entre Nuri Bilge Ceylan et l'auteur russe Anton Tchekhov (dont des nouvelles auraient inspiré le scénario) mais aussi avec le cinéaste Ingmar Bergman. Même ressenti pour Eric Libiot dans "L'Express" qui a été touché par la "force majestueuse" d'un "beau et long film bergmanien", "radical" mais "ni autiste ni pompeux".
Avis radicalement différent dans "Le Figaro". Dans un article au vitriol, le toujours très sévère Eric Neuhoff avoue s'être profondément ennuyé. Il n'hésite pas à dénoncer un film "qui dure trois heures et quelques et ne raconte pas grand-chose". Reconnaissant tout de même que les décors enneigés sont à "couper le souffle", le journaliste s'agace d'un cinéaste qui "se regarde filmer et filme des gens qui s'écoutent parler". "Beaucoup de bla-bla et peu de suspens", résume-t-il.
"Libé" est plus mitigé. Julien Gester salue un film "ambitieux" avec une "composition sophistiquée", une "maîtrise instruite" et des plans dignes de tableaux de maître. Mais le journaliste dénonce, en assumant le cliché, "d'interminables plans ensommeillés sur des visages à imposante moustache, burinés par l'âpreté de la vie dans la nuit orageuse des idées". Bref, selon lui, "Winter Sleep" est un film "académique et intelligent". "Le Parisien" est à peu près du même avis. Yves Jaeglé a été scotché par la beauté de la "nature sauvage et altière" et par les décors "grandioses et désolés" mais n'a pas été vraiment convaincu par le film, notamment à cause d'un personnage principal antipathique.
"Le Monde" résume assez bien l'avis de l'ensemble de la presse française. Le quotidien estime que "Winter Sleep" "génère autant de fascination que de frustration" en raison de sa beauté formelle et de la difficulté de s'identifier à des personnages ambigus. Mais Thomas Sotinel encourage tout de même ses lecteurs à passer plus de trois heures en salles afin d'admirer "l'ambition du projet", "la sûreté de la manière", "la beauté saisissante des paysages de Cappadoce" et "la justesse du regard" de Nuri Bilge Ceylan.