Interview
Bibiane Godfroid (Newen) : "Notre plus belle victoire, c'est d'avoir appris à travailler avec toutes les chaînes"
Publié le 29 mars 2019 à 16:32
Par Pierre Dezeraud
puremedias.com s'est entretenu avec la présidente de Newen, la filiale de production du groupe TF1.
Bibiane Godfroid est présidente de Newen depuis juillet 2018 Bibiane Godfroid est présidente de Newen depuis juillet 2018© CAPA PICTURES
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Elle discute aussi bien avec France Télévisions qu'avec Netflix, Amazon et Apple. À la croisée des chemin entre les diffuseurs traditionnels et les plateformes de SVOD, Bibiane Godfroid est à la tête de Newen, filiale à 100% du groupe TF1, qui affiche ses ambitions à l'international mais qui est aussi le premier producteur de séries en France en termes de volume. Il faut dire que Newen est aussi bien derrière "Demain nous appartient", "Plus belle la vie", "Deutsch-Les-Landes" que... "Osmosis", la troisième création originale française de Netflix. Alors que la série d'anticipation portée par Hugo Becker est mise en ligne ce vendredi, puremedias.com s'est entretenu avec Bibiane Godfroid.

Propos recueillis par Pierre Dezeraud.

puremedias.com : Ce vendredi 29 mars, Netflix a mis en ligne "Osmosis", sa troisième série originale française après "Marseille" et "Plan Coeur". "Osmosis" est produite par Capa Drama, l'une des filiales de Newen. Vous vous sentez plus fébrile que lorsqu'un de vos contenus débarque sur l'antenne d'un diffuseur traditionnel ?
Bibiane Godfroid
: Pas particulièrement. J'ai plutôt un formidable sentiment d'infini puisque l'on vient d'apprendre que la série va être diffusée dans 190 pays. On a travaillé pratiquement de la même manière que pour une série destinée à une chaîne locale alors que potentiellement, plusieurs dizaines de millions de personnes vont pouvoir regarder en même temps la série. C'est vrai que c'est assez impressionnant.

Est-ce que l'enjeu pour "Osmosis", c'est aussi d'éviter la déception publique et critique qu'avait pu être "Deutsch-les-Landes" sur Amazon ?
L'enjeu est toujours de faire une bonne série. Naturellement, j'espère qu'"Osmosis" plaira au public puisque c'est lui qui est notre principal juge. En ce qui concerne "Deutsch-les-Landes", il s'avère que, tant en Allemagne qu'en France, et de l'avis des deux plateformes, Amazon et Deutsche Telekom, la série a bien plu au public et qu'il a été nombreux, si on en croit ce qu'elles nous disent. C'est vrai que certaines critiques n'étaient pas bonnes mais je crois que c'est surtout à cause du mode de traduction. C'est une série qui est de facto bilingue puisqu'elle traite de problématiques culturelles entre les Allemands et les Français. Pour profiter pleinement de tout le sel de la série, il faut la regarder en version originale sous-titrée. Ça n'a malheureusement pas été fait par Amazon au début et lors de la présentation à la presse, qui était uniquement en français.

"Une saison 2 de 'Osmosis', ce serait une belle récompense" Bibiane Godfroid

Vous dites que le public a été nombreux selon les plateformes. Elles vous donnent des chiffres ?
Non, malheureusement. C'est dommage car on a besoin d'avoir des résultats chiffrés, surtout quand vous êtes aussi - et c'est le cas de Newen - un distributeur. Nous souhaitons toujours comprendre comment une oeuvre est consommée et appréciée.

Newen est le seul producteur français qui a fourni du contenu à la fois à Netflix et à Amazon.
Sont-ils devenus des interlocuteurs comme les autres ?

Il est important pour toute société de production de se développer. On continue à se développer sur la France mais on est déjà, en heures de séries produites, le plus gros producteur du pays avec 2 séries quotidiennes et des séries récurrentes comme "Cassandre" et "Nina", produites par Barjac, ou comme "Candice Renoir" qui revient prochainement à l'antenne. Les chaînes ne se démultiplient pas, contrairement aux plateformes. Pour nous, ce sont des clients potentiels supplémentaires. En tant que productrice, je suis forcément contente d'avoir de nouveaux interlocuteurs. En tant que société de distribution, j'espère que, dans les années à venir, on parviendra à trouver de meilleurs moyens de partager les droits après la diffusion de nos séries sur les plateformes.

Il y a d'autres projets qui sont actuellement en discussions avec Netflix et Amazon ?
On espère déjà qu'il y aura beaucoup de gens à travers le monde qui vont regarder "Osmosis", de manière à ce que la série puisse avoir une saison 2. Ce serait une belle récompense. On a plusieurs projets qui sont présentés aux différentes plateformes, pas seulement Netflix et Amazon. Orange vient d'ailleurs d'annoncer "L'Opéra", une série en 8x52 minutes produite par Victoria Production au sein de notre filiale Telfrance. "L'Opéra" sera l'une des premières grandes séries d'Orange en tant que plateforme.

"On a rencontré Apple et on leur a remis des projets. Nous attendons de savoir s'ils donnent suite" Bibiane Godfroid

Apple vient d'annoncer TV+, son service de SVOD qui sera lancé dans plus de 100 pays. Des discussions avancées sur une série française que vous produiriez pour eux ont été évoquées. Vous en êtes où ?
On a rencontré Apple et on leur a remis des projets. Nous attendons maintenant de savoir s'ils donnent suite.

Le marché de la SVOD va entrer dans une période charnière. Outre Apple, Disney et Warner vont chacun lancer leur propre plateforme. Vous avez déjà pris contact avec eux ?
Pas encore mais nous avons bien noté que Warner va faire des séries françaises.

Avec tous ces acteurs qui se bousculent au portillon et la législation européenne qui les contraindra à relativement court terme à développer des contenus locaux, vous anticipez une forte hausse des besoins ?
J'en suis certaine. Je pense que nous ne sommes qu'au tout début de cette démultiplication des plateformes. Netflix vit avec un catalogue qui dépend encore beaucoup de Fox et Disney. Ils ont dépensé 100 millions de dollars rien que pour garder "Friends" pendant un an supplémentaire dans leur catalogue. Tout va être recomposé, même la manière de travailler avec eux. J'espère aussi que nous irons dans le sens d'une vraie évolution de la chronologie s'appliquant aux médias linéaires traditionnels avec, dans le même temps, des plateformes qui investissent plus dans les formats qu'elles achètent ou pré-achètent. Les diffuseurs traditionnels, comme TF1, France Télévisions et M6 ont aussi besoin de séries innovantes avec autant de moyens que les plateformes et ne peuvent pas toujours les produire seules. Voyez, par exemple, ce que fait TF1 avec "Le Bazar de la charité".

"Nous travaillons sur plusieurs acquisitions" Bibiane Godfroid

C'est donc ce contexte qui justifie l'internationalisation de Newen via de multiples acquisitions à l'étranger ?
L'objectif de l'internationalisation, c'est de donner la possibilité à des formats de chez nous d'être adaptés à l'international et, en ce qui nous concerne, de pouvoir adapter des formats internationaux en France. Dans les différents pays internationaux où nous choisissons d'aller, il y a d'autres manières de produire et je pense que le partage des best practices de manière transversale apportera beaucoup à chacun de nos producteurs. L'internationalisation permettra aussi de développer de nouveaux projets pour nos équipes de distribution.

Parmi ces acquisitions, il y a Nimbus au Danemark, Pupkin et Tuvalu au Pays-Bas, De Mensen en Belgique. Qu'est-ce que vous recherchez dans une société de production ?
Nimbus est une belle société de production qui a fait "The Bridge", série qui a été la plus adaptée à travers le monde. On a aussi Tuvalu que l'on vient de compléter avec l'achat de Pupkin qui fait une série de 26 minutes pour Netflix. Nous venons enfin de prendre une participation majoritaire dans De Mensen qui fait la série à grand succès "Undercover" qui fait plus de 50% de part de marché en Belgique. Ça fait rêver, non ? Quant à ce que nous recherchons, ce sont des structures qui ont globalement le même ADN et qui sont susceptibles de travailler en grande proximité avec nos producteurs. C'est le cas par exemple de De Mensen avec qui nous avions déjà des projets en commun.

Faut-il s'attendre à d'autres acquisitions dans les mois à venir ?
Romain Bessi, directeur général délégué de Newen, est en charge de développer ces acquisitions. Il est en train de travailler sur plusieurs acquisitions dont j'espère que l'une sera annoncée au trimestre prochain.

"Nous regardons de très près le sud de l'Europe" Bibiane Godfroid

Mediawan vient de racheter l'italien Palomar. Vous regardez du côté des pays latins ?
Je pense que c'est très important. On a beaucoup regardé le nord de l'Europe mais ça ne veut pas dire que, dans nos approches, nous ne regardons pas aussi de très près le sud.

Quel est le rôle de votre actionnaire, le groupe TF1, dans ces acquisitions ?
Nous avons le grand avantage d'avoir un actionnaire qui est là pour longtemps. Sous la houlette de Gilles Pélisson, TF1 a complètement transformé sa stratégie. Ils ont des stratégies parallèles et complémentaires avec les chaînes d'un côté, le digital de l'autre, et enfin la production. Sur le rôle de TF1 dans les acquisitions, il est clair que chaque fois que nous avons l'intention d'acheter une société, nous en parlons à la direction de la stratégie de TF1, et bien sûr avec Gilles Pélisson. Ils nous accompagnent dans le process mais le choix des sociétés nous appartient. Un jour, TF1 pourrait nous dire non mais pour l'instant, ce n'est pas arrivé.

En France, Newen ne s'est pas positionné sur le rachat de Lagardère Studios. Vous considérez que vous avez atteint votre taille critique et que vous n'avez plus de potentiel de croissance ?
On pourrait toujours produire plus en France. Mais nous ne sommes pas seuls sur ce marché et n'avons pas l'intention de le devenir. Racheter une société de production de cette taille augmenterait encore la nôtre. J'ai pour habitude de dire, qu'en France, "big is not beautiful". On préfère donc s'agrandir à l'international où, en plus, les relais de croissance ne manquent pas.

"La mondialisation des contenus, c'est peut-être l'occasion pour l'ensemble de la télévision de passer à la VOST" Bibiane Godfroid

Newen vient de se doter d'une nouvelle identité visuelle et d'un slogan : "All about stories". Là encore, c'est un marqueur de votre internationalisation ?
Oui, ce slogan a été lancé dans le cadre de Series Mania qui est d'ailleurs plus international que jamais. L'avantage de ce slogan, c'est qu'il s'applique à la fois aux documentaires, aux séries, à l'animation et même aux magazines de santé. C'est la preuve de notre grande diversité.

Les plateformes vont miser de plus en plus sur les contenus patrimoniaux, dans le sillage de ce qui s'est passé notamment autour de "La Casa de Papel". Est-ce que cette opportunité pour la fiction française signe la fin de l'hégémonie des séries américaines ?
Cela fait déjà cinq ou six ans que les séries américaines se raréfient sur les chaînes comme TF1 et M6. Elles sont devenues, d'une certaine manière, de plus en plus "locales" aux États-Unis. Les séries américaines les plus intéressantes sont le plus souvent celles du câble américain comme "Game of Thrones" ou "The Affair", sans parler des séries issues des plateformes comme "The Handmaid's Tale". Ce sont des séries formidables mais elles ne peuvent pas passer en prime-time sur des chaînes comme TF1 ou M6. Face à cette raréfaction, les chaînes françaises, composant avec leur budget, ont augmenté leur production de fictions françaises.

Dans le même temps, grâce à la mondialisation des contenus, des Américains peuvent maintenant regarder beaucoup plus facilement une série française comme "Osmosis"...
Ça, c'est l'immense plus-value des plateformes. C'est formidable de se dire que "La Casa de Papel", une série espagnole qui n'avait pas marché sur Antena 3, a été diffusée partout à travers le monde, en version sous-titrée. Ce sera aussi le cas pour "Osmosis" qui est doublée dans huit langues et sous-titrée pour les autres. C'est peut-être l'occasion pour l'ensemble de la télévision de passer à la VOST. La jeune génération est de plus en plus bilingue. Je crois qu'on va vraiment vers cette mondialisation des séries que vous venez d'évoquer. Je ne dis pas qu'avant, une bonne série française pouvait ne pas se faire connaître à l'international mais ça aurait pris beaucoup plus de temps. Je comprends Delphine Ernotte quand elle dit qu'il est gênant que "Dix pour cent" se retrouve aussi rapidement sur Netflix. Mais, en même temps, ça aurait pris beaucoup plus de temps sans Netflix...

"Je ne pensais pas que les chaînes allaient trouver l'équilibre de grille permettant de faire autant de séries françaises" Bibiane Godfroid

Est-ce que la Bibiane Godfroid de 1996, qui avait mis "Urgences" en prime sur France 2, aurait cru à tout ce qui se passe aujourd'hui ?
Sincèrement, je ne crois pas. Pour reparler un peu d'"Urgences" et faire le parallèle avec aujourd'hui, c'était révolutionnaire à l'époque. Mettre une série américaine en première partie de soirée, surtout sur le service public et dans la case du sacro-saint film du dimanche soir, c'était tout sauf évident. L'affaire avait même été traitée au niveau de la présidence de France Télévisions, avec Jean-Pierre Elkabbach. Je pensais, notamment durant mes nombreuses années passées à M6, que les séries américaines allaient durer peut-être plus longtemps. Le coût de la fiction française a longtemps été un frein. Je ne pensais pas que les chaînes allaient trouver l'équilibre de grille permettant de faire autant de séries françaises et c'est une grande chance pour la Bibiane Godfroid, productrice, de 2019. Après avoir beaucoup programmé de la série américaine, je fabrique maintenant, avec mes équipes, de la fiction française.

Depuis votre arrivée, vous avez réorganisé Newen en mettant en place plus de transversalité entre les différentes entités françaises. Vous allez reproduire ce dispositif à l'échelle internationale pour éviter de vous retrouver avec un patchwork de sociétés ?
Je souhaite que nous gardions une transversalité entre l'international et la France. Les synergies et le partage des ADN des différentes sociétés sont essentiels. Après, il est clair que si nous achetons encore une ou deux sociétés à l'international, nous devrons réfléchir à nous organiser de manière plus structurée. Ce n'est pas encore à l'ordre du jour mais nous étudions la possibilité de former plusieurs comités stratégiques, dont un pour l'international.

En France, qu'a donné la mise en place du comité exécutif de Newen, que vous avez renforcé en novembre, et qui se réunit toutes les semaines ?
J'ai eu la chance d'hériter d'une très belle société de production avec Newen. Mais du fait qu'elle appartenait à des associés, elle était logiquement gérée en silo. Étant donné notre évolution récente, je pense que tout le monde apprécie aujourd'hui une meilleure circulation de l'information. Je crois que l'échange d'informations fait toujours gagner du temps et le temps est quelque chose de rare.

"Gilles Pélisson est mon patron mais, quand je rencontre les équipes d'Ara Aprikian, ce sont des clients que je vois" Bibiane Godfroid

Ces deux dernières années, vous avez beaucoup martelé l'idée de autonomie de Newen vis-à-vis de TF1 et l'établissement d'un "Chinese Wall" entre les deux. La bataille est gagnée et les concurrents de TF1 ont retrouvé confiance en Newen ?
Le "Chinese Wall" a été réclamé par l'Autorité de la concurrence lorsque TF1 a racheté 70% de Newen. Comprenant que c'était une condition sine qua none à notre bon fonctionnement, Fabrice Larue (fondateur de Newen, ndlr) et TF1 ont respecté cela de très près. Aujourd'hui, Gilles Pélisson et son comité exécutif ont très bien compris qu'il était important que Newen travaille avec toutes les sociétés et toutes les chaînes. Je dirais d'ailleurs que notre plus belle victoire collective ces trois dernières années, avec les équipes de Newen, c'est d'avoir appris à travailler avec toutes les chaînes. Avant le rachat par TF1, Newen travaillait essentiellement pour France Télévisions et Canal+. Aujourd'hui, nous travaillons vraiment pour tout le monde. D'où l'intérêt de conserver notre indépendance. Gilles Pélisson est mon patron mais quand je rencontre les équipes d'Ara Aprikian, ce sont des clients que je vois.

En termes de volume, France Télévisions est toujours le principal client de Newen ?
France Télévisions représentait deux tiers du chiffre d'affaires de Newen. Aujourd'hui, c'est environ un tiers. Grâce à "Demain nous appartient", nous avons équilibré le poids de "Plus belle la vie".

En revanche, vous avez beaucoup perdu avec Canal+, qui a mis un terme à ses magazines.
Canal+ a arrêté de travailler avec toutes les sociétés extérieures. Ils produisent désormais en interne. Nous faisons de temps en temps des choses pour eux, comme le très beau documentaire de Capa Presse sur Jean-Paul Gaultier qui s'est vendu à travers le monde. J'espère que nous aurons d'autres projets ensemble.

"On pourrait avoir un projet de série en costumes en développement" Bibiane Godfroid

En matière de séries, en revanche, il y a des opportunités avec Canal+.
On a plusieurs projets en développement et, parmi ces projets, il pourrait y avoir une série en costumes.

Vous produisez un peu moins pour M6. Est-ce que le rachat de Gulli par le groupe de Nicolas de Tavernost peut-être une opportunité pour votre filiale Blue Spirit, spécialisée dans l'animation ?
Nous avons déjà produit, via Capa Drama, la mini-série "Souviens-toi", qui a d'ailleurs bien marché, pour M6. Toujours avec Capa Drama, nous venons de commencer pour eux le tournage d'une série en 4x52 minutes avec Arnaud Ducret et Emilie Dequenne. Concernant l'animation, il est vrai que Blue Spirit n'a jamais travaillé pour Gulli. Peut-être qu'un marché va s'ouvrir et, si c'est le cas, à condition que le rachat soit validé, nous seront ravis de faire des propositions en la matière au groupe M6. Les équipes de Blue Spirit ne manquent pas de talent et nous avons beaucoup de potentiel en France et à l'étranger.

Newen est le seul producteur qui produit deux feuilletons quotidiens en France, "Demain nous appartient" sur TF1 et "Plus belle la vie" sur France 3. Les deux marques sont pérennisées ? Jusqu'à quand durent les contrats ?
Jusqu'à ce que les téléspectateurs décident d'y mettre un terme. Sur "Demain nous appartient", nous sommes maintenant bien implantés à Sète puisque nous avons acquis les terrains. Grâce au travail des équipes de Vincent Meslet, le succès ne se dément pas. Nous avons encore battu un record sur la cible commerciale la semaine dernière. Concernant "Plus belle la vie", grâce au travail de Sébastien Charbit, le succès est aussi au rendez-vous. Alors que nous allons fêter les quinze ans du feuilleton, nous récupérons chaque semaine des téléspectateurs perdus en septembre dernier. Et "Plus belle la vie" demeure le programme le plus performant de France Télévisions sur les FRDA-50.

"Nous allons devoir baisser les budgets des feuilletons" Bibiane Godfroid

Vous parliez de la perte des téléspectateurs en septembre dernier. Elle est liée au changement d'horaire de "Plus belle la vie" suite à l'arrivée d'"Un si grand soleil" sur France 2. Vous n'avez pas peur que ce dernier vous supplante ?
Je ne suis pas naïve mais je crois que les dirigeants de France Télévisions sont largement conscients de l'importance de "Plus belle la vie" pour France 3. Il ne faut pas oublier que ce sont les équipes de la chaîne qui fabriquent le feuilleton. Lors du lancement d'"Un si grand soleil", j'avais reçu des garanties qu'ils étaient très attachés à "Plus belle la vie". Les promesses n'engagent que ceux qui les entendent mais sur ce dossier, je pense que je pouvais les entendre et les croire.

La réforme des aides du CNC va se traduire par une baisse de la dotation aux feuilletons. En quelle mesure êtes-vous touchés ?
Nous le sommes fortement sur "Demain nous appartient" et un peu moins sur "Plus belle la vie". Les chaînes n'ont pas les moyens de compenser la perte. Nous sommes donc en train de travailler avec les équipes pour voir comment nous pouvons baisser les budgets sans toucher à l'excellence des feuilletons.

Vous comprenez le sens de cette réforme qui pénalise la télévision et pas le cinéma ?
Je comprends que l'équation est difficile pour le CNC, qui aura moins d'argent. Mais je constate deux choses en parallèle. Je vois l'énorme apport des feuilletons quotidiens qui forment chaque jour de nouveaux auteurs, réalisateurs et comédiens. C'est une formidable école de formation. Et quand je vois les maires de Sète et de Marseille, ils me parlent des retombées touristiques et des centaines d'emplois générés. Je ne comprends donc pas pourquoi les feuilletons quotidiens sont visés. Est-ce parce que la fiction française a longtemps été considérée comme un parent pauvre ? Il faut faire face à la réalité, aujourd'hui, certaines séries valent largement un certain nombre de long-métrages. La passerelle entre les deux genres est d'ailleurs de plus en plus évidente, même en France.

Quel regard portez-vous sur Salto, le "Netflix à la Française" de TF1, France Télévisions et M6 ? Vous trouvez que c'est une initiative qui a du sens ?
Quand j'en saurai plus sur Salto, je pourrai vous répondre. Là, toutes les chaînes sont tenues à la confidentialité parce que le dossier vient de revenir à l'Autorité de la concurrence en France. Je n'ai donc pas suffisamment d'informations concrètes pour pouvoir m'exprimer sur le sujet.

"La télévision linéaire a encore beaucoup de temps devant elle" Bibiane Godfroid

Les chaînes réclament plus de droits sur les séries. Elles veulent aussi co-produire et distribuer. En fait, elles veulent se substituer à vous ?
L'exemple de Netflix leur donne des idées ! On est dans un monde en train de se reconstituer. Il est naturel que chacun veuille avoir sa part du gâteau. Mais l'équation est simple : les chaînes ont besoin de contenus et nous avons besoin des chaînes. J'espère que la nouvelle loi audiovisuelle établira un équilibre pragmatique et évolutif. Je pense que personne ne sait ce que sera le monde de l'audiovisuel dans 10 ans. La précédente loi a plus de 30 ans, la prochaine ne durera pas aussi longtemps.

La BBC s'entend avec Netflix pour "Bodyguard". TF1 vient d'annoncer un accord avec le même Netflix autour de sa série "Le Bazar de la charité". C'est du pragmatisme comme vous l'aimez ?
Pour pouvoir faire des grandes fictions en costumes ou même des séries de science-fiction, les chaînes vont avoir besoin de l'argent des plateformes. Je crois véritablement qu'il y a un moyen de s'entendre avec les plateformes à condition qu'elles paient le prix. Quand elles achètent et qu'elles laissent des droits sur le territoire natif, il faut qu'elles paient un prix conséquent. On ne connait pas leur chiffre d'audience sur les séries mais on sait qu'ils touchent plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde. Ce manque de transparence est d'ailleurs un problème pour les distributeurs car nous avons besoin de faire des prévisions.

Vous qui avez été programmatrice dans plusieurs grandes chaînes de télévision française, croyez-vous, comme Reed Hastings, à la fin de la télévision linéaire ?
Pas du tout. Je pense qu'elle a encore beaucoup de temps devant elle. Si la télévision linéaire continue de s'adapter comme elle est en train de le faire, il n'y a aucune raison que ça arrive. D'ailleurs tout l'écosystème autour s'adapte : Médiamétrie, les agences de pub... Sur le strict linéaire, je crois beaucoup en la force des événements et du local, terme dans lequel je compte la fiction patrimoniale et l'information. Je ne crois pas qu'il faille courir à tout prix après le rajeunissement. Les jeunes sont déjà ailleurs, sur les réseaux sociaux et les plateformes. En revanche, je crois à l'écoute conjointe, qui nous réussit bien sur "Demain nous appartient" et "Plus belle la vie". Et je pense que les événements regardés par la famille entière comme "The Voice" ou "Incroyable talent" continueront d'exister mais seront consommés différemment puisque chacun pourra le regarder sur son device.

"Le genre des programmes de flux peut revenir" Bibiane Godfroid

"Demain nous appartient" et "Plus belle la vie" incarnent la résistance de la télévision linéaire ?
Ils illustrent la capacité de la télévision à se réinventer car ce sont des feuilletons qui sont aussi très consommés en replay. Mais il y a un gros noyau pour lequel ces feuilletons sont un rendez-vous. Cela fait quinze ans que France 3 a pris le risque de faire "Plus belle la vie". À, TF1, Ara Aprikian a pris un risque énorme en lançant "Demain nous appartient", tout comme France 2 avec "Un si grand soleil". Chacun à leur manière, les trois feuilletons sont ancrés dans la réalité française. Ils sont le programme local par excellence. Par contre, ils s'exportent difficilement. Ce sont des programmes qui existent à la rediffusion mais très peu à l'exportation.

Les séries sont le coeur d'activité de Newen. Avec Capa Presse, le groupe est aussi bien positionné sur les reportages et documentaires tandis que Blue Spirit est sur le secteur de l'animation. Vous êtes aussi présents sur le flux via vos filiales 17 Juin, Production Valley et Tooco. Exceptés la plupart des programmes de Michel Cymes qui cartonnent, c'est très compliqué de faire du flux aujourd'hui ?
Tooco a récemment produit le jeu "C'est déjà Noël" pour TF1. Je continue à faire grandir à l'intérieur de Newen un service de développement. Aux Etats-Unis, la fiction est montée d'un coup mais elle a coûté tellement cher que le flux est revenu. Aujourd'hui, je suis prête à faire plus de flux s'il doit redevenir un eldorado. Mais, pour l'heure, il n'y a plus de formats. Ceux qui sont créés à l'intérieur de structures comme la nôtre auront leur chance. Peut-être donc qu'un des prochains grand format international viendra de Newen !

Vous ne croyez donc pas à la mort des programmes de flux ?
Le genre peut revenir. Pour l'instant, la mode est aux formats vintage. On le voit avec le retour de "Qui veut gagner des millions ?". Il y a un potentiel de création mais il y a longtemps, depuis "The Voice", qu'il n'y a pas eu de grande idée novatrice. On verra ce que donne "Masked Singer" sur TF1. Le contexte n'aide pas. Les chaînes consacrent plus d'argent à la fiction, elles en ont donc moins pour le flux et les chaînes françaises n'aiment pas beaucoup la prise de risque dans le domaine. Mais même dans des pays très créatifs comme Israël et les Pays-Bas, les diffuseurs sont plus frileux à la prise de risque. Et dans ces deux territoires, la fiction est aussi en plein essor. Sur les genres, la télévision a toujours été une affaire de cycle.

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