Enquête. "La rédaction est au bord de l'implosion", s'attriste-t-on à France Télévisions. Depuis plusieurs semaines, des journalistes pointent du doigt "la mauvaise gestion humaine" au sein de la rédaction du groupe audiovisuel dirigé par Delphine Ernotte. Avec l'annonce des 50 millions d'euros d'économies voulues par le gouvernement, la situation ne s'arrange guère et les rédactions s'inquiètent de la réduction des moyens et de la dégradation de la qualité de l'information des journaux et des magazines.
En réaction, un préavis de grève a d'ailleurs été déposé par plusieurs syndicats du groupe audiovisuel (CGT, CFDT et FO) pour le 17 octobre prochain. Pour rassurer ses troupes, la présidente de France Télévisions, qui tente toujours de convaincre le gouvernement de revenir sur son coup de rabot, a reçu hier la Société des journalistes (SDJ) de France 2.
Cette dernière n'a pas manqué de lui faire remonter le sentiment de malaise régnant au sein de la rédaction. "La plupart des journalistes sont au bord du craquage. Les piges ont disparu... Les arrêts-maladies qui explosent ne sont pas remplacés. Les amplitudes horaires sont dingues. Les personnels n'ont qu'une envie : partir. C'est la crise", résume un salarié présent depuis plusieurs années à France Télévisions, contacté par puremedias.com.
Parmi les points de crispation, "le non-renouvellement des CDD". "La baisse des effectifs précaires a des conséquences graves sur le travail de la rédaction", a ainsi noté récemment la SDJ de France Télévisions dans un courrier transmis à Delphine Ernotte le 3 octobre dernier. "Aujourd'hui, on se sépare des jeunes journalistes que nous avons formés, sur lesquels nous avions investi. On est en train de les perdre et c'est dramatique" raconte un rédacteur en chef contacté par puremedias.com. Au total, 64 CDD des rédactions de France 2 et France 3 sont concernés, dont la plupart ne devraient pas être renouvelés.
Contactée par puremedias.com, la direction de l'information de France Télévisions assure de son côté qu'il y aura toujours des renouvellements de CDD, mais qu'ils seront en effet moins nombreux en raison du budget alloué pour l'année 2017 et de la "suractivité liée à la séquence électorale au premier semestre". "Pour être vertueux, il faut resserrer les choses au second semestre. On est dans une situation conjoncturelle", souligne-t-on.
Concernant la réduction de la durée des journaux, autre piste d'économies qui inquiète également la SDJ, France Télévisions explique vouloir simplement "revenir à des durées équivalentes à 2016". "Il n'a jamais été envisagé de diminuer les journaux", explique-t-on au sommet du groupe audiovisuel.
Autre point de blocage : la situation des journalistes reporters d'images de France Télévisions, qui ont connu "un arrêt brutal des piges dans les plannings". Ces derniers dénoncent notamment les "tournages annulés au service des sports" et le "recours aux JRI extérieurs pour les magazines de la rédaction", et ce afin de boucher les trous au sein d'effectifs internes insuffisants.
Interrogée à ce sujet, France Télé affirme qu'elle continuera à acheter des reportages pour certains magazines. "On ne va pas s'interdire d'en acheter. Cela fait vivre un tissu de producteurs", explique-t-on au sommet de l'entreprise. Concernant l'externalisation des JRI dont certains s'inquiètent en interne, France Télévisions précise qu'elle "ne le souhaite pas" et que "ce n'est pas son intention". Enfin, sur les tournages annulés au service des sports, la direction de l'information nous déclare que "des arbitrages" ont été réalisés dans les magazines. "La direction de France Télévisions a travaillé avec le service des sports afin de leur donner des garanties", a-t-on poursuivi.
Certains journalistes s'inquiètent aussi de la gestion de Pascal Doucet-Bon, directeur éditorial des journaux de France Télé. "Depuis sa nomination, ça ne s'est pas arrangé du tout. Il déteste les magazines et préfère travailler avec des boîtes de production", nous explique un journaliste. Une phrase de Pascal Doucet-Bon avait d'ailleurs choqué plusieurs salariés lors d'une édition spéciale de franceinfo : "180 personnes pour faire cette merde", aurait-il lâché à son entourage. "Cette phrase est fausse", nous assure la direction de l'info de France Télé.
Quoi qu'il en soit, une partie des journalistes a l'impression que la "rédaction s'agrandit par le haut" avec "plus d'encadrants" et s'amaigrit par le bas avec "moins de reporters." De cette situation est né ce que certains journalistes ont appelé "le mur des cons", dont puremedias.com a pu vérifier l'existence.
Très éloigné dans son esprit de celui du Syndicat de la magistrature qui avait fait scandale en 2013, ce mur regroupe les nouvelles nominations à la direction de France Télévisions, accrochées quasiment chaque semaine par les journalistes sur un placard situé près des couloirs des syndicats. Les noms, les visages et les fonctions de chacun y sont ainsi affichés. Sont principalement concernées les directions déléguées aux ressources humaines et à l'organisation, au secrétariat général, au réseau France 3, à la communication, et également à la stratégie et aux programmes.
"France Télévisions, c'est une sorte de Tour Eiffel à l'envers. On ajoute des têtes en haut, on en coupe en bas. Ce mur des cons montre le ras-le-bol de tous ces gens qui sont nommés. C'est un acte de journalistes qui sont au bout du rouleau", explique-t-on à puremedias.com, avant de développer : "Il y a 10 ans, il y avait près de 12.000 salariés, aujourd'hui moins de 10.000. Donc ce n'est pas comme si France Télévisions n'avait jamais fait d'efforts. On exprime le ras-le-bol de cette hiérarchie pléthorique en haut, alors que ceux qui fabriquent l'information en bas se réduisent comme peau de chagrin."
Contactée par nos soins, la direction de l'information assure "ne pas être au courant" de l'existence de ce mur et "douter de la réalité des faits". Au sujet des nominations, France Télévisions confirme qu'il y a des "nominations régulièrement", et précise qu'elle sont parfois "internes".