Pour la première fois hier, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a activé l'article 47-5 de la loi Léotard de 1986 qui lui donne le pouvoir de "retirer" aux présidents de l'audiovisuel public le mandat qu'il leur a confié. Dans son viseur, Mathieu Gallet, PDG de Radio France condamné en première instance pour favoritisme, une décision dont le jeune patron a fait appel. Après environ trois heures d'un débat contradictoire jugé "serein" par l'un des participants, les Sages de l'audiovisuel se sont finalement mis d'accord à la majorité pour ouvrir "une procédure" contre Mathieu Gallet. De nature inédite, cette dernière pose un certain nombre de questions.
D'abord des interrogations... de procédure justement. Non définie par un décret spécifique, cette dernière reste floue pour l'instant. Sans se prononcer sur le fond de l'affaire, le régulateur devra répondre à la question suivante : Mathieu Gallet peut-il encore diriger sereinement Radio France ? En charge des fonctions d'instruction comme de jugement, les Sages de l'audiovisuel devront faire vite, puisque leur décision est attendue dès la semaine prochaine, mercredi au plus tôt.
Mathieu Gallet devrait disposer de deux à trois jours pour constituer sa "défense". Celle-ci pourrait être présentée sous forme écrite ou orale, cela reste à définir. En application du principe du contradictoire, le régulateur devrait aussi entendre des parties tierces, dont les identités ne sont pas encore connues. Les syndicats de Radio France devrait en être mais quid d'un représentant de la tutelle ? Mystère.
Un autre motif d'interrogation réside dans l'attitude changeante de l'Etat dans cette affaire. Après avoir rappelé lundi au "Monde" que les dirigeants de l'audiovisuel public "doivent bénéficier de garanties d'indépendance", la ministre de la Culture Françoise Nyssen a brusquement durci le ton mardi en exigeant le départ du PDG de Radio France. "Le problème pour Mathieu Gallet, c'est la tutelle !", résument certains dans les couloirs du CSA. S'il venait à être soutenu par les syndicats de Radio France devant le CSA, il reste toujours difficile d'imaginer un dirigeant public frappé d'un tel désaveu par sa tutelle négocier "sereinement" avec elle la réforme inédite de l'audiovisuel public qui s'annonce.
S'il était confirmé, le départ de Mathieu Gallet ne serait pas non plus sans poser de questions dont une : quel sera le mode de nomination de son successeur ? L'Elysée n'a en effet pas caché son intention de confier aux conseils d'administration de Radio France et France Télévisions le pouvoir de nomination de leur patron. Cette réforme devrait a priori attendre l'adoption de la grande loi sur l'audiovisuel promise par Emmanuel Macron et attendue d'ici la fin de l'année.
Un délai peut-être trop long pour s'appliquer à la nomination du successeur de Mathieu Gallet qui bénéficierait alors de l'ancienne formule, celle d'une désignation par le CSA justement décriée par l'Elysée. A moins que le CSA choisisse de laisser plusieurs mois en fonction un patron intérimaire, le temps que la grande loi sur l'audiovisuel public soit adoptée... Le régulateur prendrait alors le risque de paralyser Radio France à un moment crucial de son histoire. Rien n'est donc sûr dans toute cette affaire, si ce n'est le fait que l'audiovisuel public et plus particulièrement Radio France entrent justement dans une zone d'incertitude...