Édito
Denise Glaser, une femme discrète
Publié le 4 décembre 2011 à 13:00
Par Jacques Sanchez
Je n'ai pas eu la chance de rencontrer Denise Glaser qui, je dois vous l'avouer, m'a toujours fasciné. Par Jacques Sanchez.
Denise Glaser Denise Glaser© Ina
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Je n'ai pas eu la chance de rencontrer Denise Glaser qui, je dois vous l'avouer, m'a toujours fasciné. Je me souviens, enfant, avoir regardé certains de ces "Discorama" dans les années 70 et j'enchaînais avec "La séquence du spectateur" pour entendre la voix charmeuse de Catherine Langeais.

Denise Glaser, chroniqueuse dans "Soir 3"

Mais je me souviens aussi et surtout de cette femme discrète, ressemblant étrangement à Barbara, à la fin de sa vie dans "Soir 3", journal de milieu de soirée de la troisième chaîne créé en 1978 par Jean-Marie Cavada.

Je me souviens parfaitement de cette femme élégante un soir de 1982 aux alentours de 22h30. Elle présente sa toute première chronique dans "Soir 3" présenté en alternance par Geneviève Guicheney et Jean-Jacques Peyraud. Un journal que je n'avais pas le droit de regarder pour cause d'horaire tardif. Mais ma fascination pour Denise Glaser est telle que je dois ruser pour ne pas la rater le lundi soir sur FR3.

Denise Glaser doit son retour à la télévision, après 7 ans d'absence, à Maurice Seveno, directeur de la rédaction de FR3 nommé par mon ami André Holleaux, président de FR3 entre 1982 et 1985.

Ses courtes apparitions m'enchantent. Une fois par semaine, elle évoque ses coups de coeur et ses souvenirs avec un enthousiasme inouï. Avec la complicité d'Henry Chapier, elle nous fait revivre les meilleurs moments de "Discorama".

J'apprends un an plus tard qu'elle s'en est allée discrètement, seule, abandonnée de tous ou presque et sans argent. Seules Catherine Lara et Barbara se déplacent jusqu'à Valenciennes pour lui rendre un dernier hommage et l'accompagner dans sa dernière demeure. C'est aussi cela la télévision. Ce n'est pas toujours la grande famille que l'on imagine. Cette femme m'a toujours bouleversé et je suis heureux de pouvoir lui rendre hommage aujourd'hui.

Denise Glaser, illustratrice sonore

Denise Glaser commence sa carrière en 1948 à la discothèque de la RDF (Radio Diffusion Française) qui deviendra la RTF puis l'ORTF. Elle devient rapidement illustratrice sonore notamment pour le journal télévisé.

Le nom de Denise Glaser est étroitement lié à celui de son émission "Discorama". Un nom et une émission que personne n'a oublié. J'entends souvent les artistes qui ont connu cette période en parler avec émotion.

Je ne sais pas pourquoi parler de Denise Glaser m'émeut au plus haut point. Certainement parce que j'ai toujours lu dans son regard une certaine mélancolie et beaucoup de mystère. La télévision dans ces années-là était encore une entreprise qui fabriquait du rêve...

Discorama, une émission culte

Après une carrière d'illustratrice sonore, elle propose, au milieu des années 50, au directeur de la RTF, Jean d'Arcy un magazine sur le disque et la chanson. Elle se bat durant quelques années avant que Jean d'Arcy, un des plus plus grands patrons de la télévision française, cultivé et audacieux, ne finisse par accepter l'idée de Denise Glaser. Cela donne "Discorama".

Dans les premières années, elle ne présente pas l'émission. Elle en est seulement la productrice. Plusieurs présentateurs se succèdent aux commances de ce premier magazine consacré à l'actualité du disque. Le comédien Jean Desailly est le premier présentateur en février 1959. Après plus 2 années, il cède sa place à un vrai présentateur de télévision qui participe dès 1949 à l'aventure du premier journal télévisé, le "Monsieur Cinéma" de la télévision, Pierre Tchernia. Les humoristes Jean-Pierre Darras et Philippe Noiret qui forment un célèbre duo de chansonniers dans les années 50 et 60 deviennent les animateurs de "Discorama" fin 1961.

Mais l'émission réussit à imposer véritablement sa marque à partir du moment où Denise Glaser en devient le visage et la voix. C'est en 1964 que les téléspectateurs découvrent la chaleureuse et fascinante Denise Glaser. Son physique proche de celui de Barbara est inclassable. Sa voix grave impressionne. Denise est une femme lumineuse. Elle est à l'écoute, très à l'écoute, donnant la parole à ses invités comme personne ne l'avait encore jamais fait. Elle se met entièrement à leur service. Denise Glaser laisse s'exprimer ses invités dans ce magazine musical diffusé le dimanche après la messe. On sent qu'elle aime véritablement les artistes. Pour la première fois, on a aussi droit à de vrais silences à la télévision.

L'émission change parfois de jour et d'horaire. Elle est aussi diffusée en deuxième partie de soirée.

Discorama, un rendez-vous incontournable

Toutes les plus grandes stars vont accepter rapidement l'invitation de Denise Glaser. Elle va aussi recevoir et mettre dans la lumière de jeunes artistes. C'est ainsi que vont défiler, durant une dizaine d'années, le dimanche à 12h30 les plus grands artistes de la chanson française. L'émission est diffusée entre "Le Jour du Seigneur" et "La séquence du spectateur". Le générique de l'émission est la célèbre chanson populaire "J'ai du bon tabac...".

De Georges Moustaki à Charles Trenet en passant par Barbara, Georges Brassens, Serge Gainsbourg, Michel Polnareff, Johnny Hallyday, Michel Sardou, Léo Ferré, tout le monde est passé au moins une fois dans l'émission. Denise est aussi à l'origine de nombreuses carrières. Yves Simon, Catherine Lara, Maxime Le Forestier, Herbert Pagani, Robert Charlebois lui doivent beaucoup.

Denise Glaser découvre aussi Jean Ferrat et lui fait chanter contre l'avis de tous "Nuit et brouillard", chanson interdite d'antenne. Elle s'est battue réellement pour tous ces artistes. C'est elle qui découvre véritablement Catherine Lara et qui lui trouve une maison de disques. Elle impose "Le métèque" de Georges Moustaki dont aucune radio ne voulait.

Charles Trenet la remercie un jour en transformant les paroles de "La mer", devenue pour l'occasion "Glaser", "Glaser qu'on voit danser le long des golfs clairs, a des reflets changeants... Glaser a percé mon coeur pour la vie... ". C'est le plus beau cadeau fait à Denise Glaser devant des millions de téléspectateurs.

Pour la première fois à la télévision, les chanteurs ont enfin la parole. Ils ne sont plus seulement des voix capables de chanter mais aussi des voix capables de parler, d'avoir un avis et d'exprimer des sentiments.

En visionnant certaines émissions ces dernières années, je me suis rendu compte à quel point les artistes peuvent être intimidés, effacés ou en retrait. Il faut dire qu'elle est impressionnante Denise Glaser. Si belle, si émouvante et si attendrissante.

Mon souvenir le plus émouvant est celui d'un Serge Gainsbourg embarrassé, réservé, osant à peine parler, ne sachant que répondre à certaines questions de Denise Glaser. Un Serge Gainsbourg tendre et attachant. C'est cela la force de l'intervieweuse Denise Glaser. Plus qu'une intervieweuse ou une animatrice, Denise Glaser était une véritable artiste. Elle les comprenait car elle avait la même sensibilité et la même fragilité qu'eux.

C'est dans un décor étrangement vide et blanc composé de deux chaises Napoléon III et d'échelles que Denise Glaser accueille ses chanteurs. Pour la toute première fois, les caméras sont visibles à l'antenne. La réalisation résolument moderne est le fruit de Raoul Sangla, complice de Denise Glaser à partir de 1964. Il prend le parti de filmer non pas celui ou celle qui parle mais celui qui écoute. Une idée révolutionnaire pour l'époque. Une réalisation à l'image de sa productrice, discrète. Le directeur de la photographie, André Diot, sera choisi par Barbara pour assurer ses lumières sur scène. L'émission est enregistrée au studio 4 de la rue Cognacq-Jay, l'antre de la télévision dans ces années mythiques.

Denise Glaser, femme de gauche

En mai 1968, Denise Glaser, tout comme certains de ses confrères, est interdite d'antenne. En 1974, Valery Giscard d'Estaing est élu président de la république et c'est la fin d'une grande histoire d'amour avec les téléspectateurs.

Le 5 janvier 1975, c'est la dernière de "Discorama". Denise Glaser s'en va sur la pointe des pieds. Elle laisse 350 heures de programmes derrière elle avec "Discorama" et "Comme il vous plaira", une copie de "Discorama" diffusée en deuxième partie de soirée.

Sacrifiée par Valery Giscard d'Estaing pour ses engagements à gauche, elle ne sera pas mieux traitée par la gauche à partir de 1981.

Elle reviendra en toute discrétion pendant quelques mois dans le "Soir 3" en 1982. Mais qui se souvient des derniers instants télévisés de Denise Glaser le lundi en fin de soirée et en fin de journal...

Merci Denise Glaser.

La semaine prochaine : Les speakerines, les premières stars de la télévision

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