"Notre sujet est d'accompagner les Français dans leurs nouvelles attentes en tant que consommateurs, et les marques en matière de responsabilité environnementale", expliquait en décembre dernier Gilles Pélisson, dans une interview à puremedias.com. Alors qu'une interdiction de la publicité pour les produits polluants est évoquée dans le cadre de la discussion de la loi de Barbara Pompili voulant lutter contre le dérèglement climatique, le PDG du groupe TF1 résumait ainsi les enjeux de son groupe et du marché publicitaire français tout entier. Soucieux de s'adapter aux nouvelles préoccupations environnementales des Français, l'ensemble des acteurs, dont les chaînes de télévision, est désormais engagé dans une série d'initiatives visant à responsabiliser davantage une publicité qui s'est longtemps souciée de la planète comme d'une guigne.
"La publicité est le reflet des évolutions de la société et il ne faut pas être en retard", prévient Sébastien Granet, responsable de l'innovation chez TF1 Pub. Le leader du marché télé a décidé de prendre à bras le corps ces problématiques environnementales et se fait accompagner par une agence de communication spécialisée, baptisée Sidièse. Objectif : établir une feuille de route pour les cinq prochaines années afin "de définir des offres de communication responsables et durables" en faveur d'annonceurs particulièrement en demande de changements. "Sur les 3.200 spots diffusés sur les antennes de TF1 entre septembre et fin novembre 2020, 20% des messages traitaient déjà de sujets autour de la Transition écologique. Le mouvement est en marche. Il nous faut l'accompagner", estime ainsi le cadre de la régie de la Une, disant vouloir éviter le greenwashing.
France Télévisions l'a bien compris aussi et développe de son côté de nouvelles offres dédiées depuis plusieurs années. Alors que les communications responsables représentent déjà 15% de son chiffre d'affaires, la régie publique a décidé de créer en 2020 un écrin spécifique baptisé "Territoire responsable". Il s'agit de spots de 60 secondes mettant en avant les actions responsables des annonceurs et qui sont produits par France Télévisions selon une charte d'éco-production.
En 2021, le groupe compte aller encore plus loin en sanctuarisant pour certains annonceurs un écran dit "green spirit" de 2 minutes, programmé le dimanche à 13h23, soit juste après "13h15, le dimanche", le magazine de Laurent Delahousse". "Il sera dédié aux marques responsables et précédé d'un jingle spécifique", décrit Virginie Sappey, Directrice marketing et études de FranceTV Publicité. Pour savoir si un produit est éligible ou non à cet écran, France Télévisions a décidé de s'en remettre à un tiers de confiance : l'Agence de la transition écologique (l'Ademe). Seuls les produits labélisés par cet organisme public pourront ainsi intégrer son "green spirit".
Le groupe M6 veut pour sa part particulièrement articuler ses initiatives dans le domaine avec les programmes diffusés à l'antenne. Dans le cadre de sa récente "Semaine Green", la Six a ainsi pris pour parrain Carrefour, qui bénéficiait de jingles pub verdis pour l'occasion, et du premier spot diffusé dans les écrans publicitaires pour faire la promotion de son programme de transition alimentaire baptisé "Act For Food".
Les messages publicitaires et leur représentation en images sont aussi sur le point de changer. "Nous travaillons pour que tous les messages publicitaires des marques intègrent désormais une représentation favorable à la Transition écologique", annonce ainsi Jean-Luc Chetrit, directeur général de l'Union des marques (UDM). "Nous devons veiller à la quantité de produits montrés dans les annonces. Nous devons montrer davantage les gestes de tri, les produits en vrac, le covoiturage ou l'utilisation des transports en commun", cite-t-il en exemple, annonçant que l'UDM vient de créer un guide de bonne conduite à destination des marques.
Outre une plus forte exposition et une meilleure construction des messages responsables, les régies des chaînes de télé veulent aussi revoir leurs méthodes de travail en interne. Aidée par l'agence EcoAct, la régie de TF1 entend par exemple mettre en place un outil de mesure de l'impact carbone des campagnes de publicité qu'elle diffuse sur ses antennes afin de le réduire dans les cinq ans. Cet indicateur prendra aussi bien en considération la consommation d'énergie de la régie pour son travail au quotidien - du chauffage des bureaux au déplacement de ses collaborateurs - que l'énergie nécessaire aux infrastructures de diffusion et de stockage des spots.
Groupe mondial et digital, Canal+ planche aussi sur la réduction de l'impact carbone de ses campagnes télé. "Nous développons notre propre calculette pour passer d'un média planning traditionnel à un éco planning qui nous permette, à puissance égale pour la campagne de l'annonceur, de réduire ses externalités environnementales négatives", résume Fabrice Mollier, le boss de la régie de Canal+. La filiale de Vivendi veut même aller plus loin dans les mois à venir et proposera de compenser l'impact carbone résiduel de ses campagnes. Pour ce faire, Canal a déjà sélectionné deux programmes de développement des énergies propres, l'un au Sénégal et l'autre au Vietnam.
S'ils multiplient les initiatives, tous les acteurs interrogés s'accordent cependant sur le refus d'un bannissement des annonceurs jugés trop polluants. "Il faut davantage faire de la communication un levier pour rendre désirable la transition écologique", préconise Jean-Luc Chetrit, résumant la position partagée par l'ensemble du marché. L'UDM préfère ainsi proposer une réforme de l'autorégulation de la publicité en France avec parmi les mesures envisagées, un contrôle avant diffusion de l'ensemble des campagnes de pub contenant une allégation environnementale. Ce dernier serait assuré par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui accorderait en son sein une place plus grande aux associations environnementales.
Cette proposition est actuellement en discussion dans le cadre de la préparation du Contrat climat, dont l'écriture a été confiée au Conseil supérieur de l'audiovisuel. Prévu par le projet de loi de Barbara Pompili, sa signature par l'ensemble des acteurs du marché de la publicité devrait intervenir en avril ou mai prochain.