Bientôt deux ans que l'oiseau LCI tente de faire son nid en clair. Isolée sur le canal 26, enclouée par les multiples contraintes imposées par le régulateur, la doyenne des chaînes d'information tente de faire entendre sa partition dans un univers concurrentiel surpeuplé et largement dominé par BFMTV. Alors que LCI cherche désormais à conforter durablement son statut de deuxième chaîne info, puremedias.com s'est entretenu avec Éric Monier, directeur de la rédaction de la chaîne, et son adjointe Valérie Nataf.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : À l'instar des autres rédactions, LCI a vécu une semaine particulière la semaine dernière, après les décès consécutifs de Jean d'Ormesson et Johnny Hallyday. Comment avez-vous appréhendé la gestion de ces événements ?
Éric Monier : C'est la vie normale d'une chaîne d'information. Concernant Johnny, il y avait déjà une certaine préparation de nos équipes, pour les raisons que l'on connait. Ce n'est pas un secret, comme toutes les rédactions, nous avions déjà anticipé cette information. Un certain nombre de sujets étaient prêts. Pour Jean d'Ormesson, nous y étions aussi plus ou moins préparés du fait de son âge. Ce sont les précautions habituelles que prennent toutes les rédactions. Il y a des choses plus imprévues qui sont éminemment plus difficiles à gérer.
Valérie Nataf : Pour Johnny, on a pris l'antenne dès 3h25. On a mis en place un studio flash. C'est une vraie nouveauté qui nous a permis d'être les premiers à prendre l'antenne en pleine nuit. C'est une des particularités de LCI, nous essayons d'être le plus astucieux possible.
Cette réactivité de LCI s'impose naturellement malgré les contraintes structurelles imposées par le CSA ?
Éric Monier : LCI est avant toute chose une chaîne d'information. Et nous avons la possibilité de "breaker" en cas d'événement majeur. Le régulateur regarde principalement les journées sans information majeure. Dès lors que nous sommes en breaking, nos contraintes sont moins grandes. Dans une chaîne info, il y a une petite zone grise entre 00h30 et 5h du matin, où les équipes sont moins nombreuses. C'est la raison pour laquelle on a mis en place une possibilité légère mais réelle de prendre l'antenne directement en pleine nuit avec activation du bandeau et mobilisation d'un journaliste présentateur en studio flash. C'est ce que nous avons expérimenté avec Johnny.
L'autre nouveauté, c'est que la matinale de Pascale de la Tour du Pin sur LCI a été basculée sur TF1.
Éric Monier : Une première à cette heure-ci, oui. Mais l'antenne de LCI avait déjà basculé sur TF1 au moment des attentats du 13 novembre 2015.
Dans ces circonstances particulières, qui prend la décision d'opérer la bascule ?
Éric Monier : C'est une décision qui se prend au niveau de Thierry Thuillier, Ara Aprikian et Gilles Pélisson. Ça ne change pas grand chose, si ce n'est que nous avons la contrainte de ne pas pouvoir citer notre chaîne lorsque nous sommes en diffusion sur TF1 en raison de l'interdiction de la promotion croisée. Cela nous oblige à supprimer le logo et la marque.
"Nous allons rediscuter de notre convention avec le CSA"
Vous ne bénéficiez pas de la promotion croisée TF1/LCI. À quel point est-ce préjudiciable ?
Éric Monier : Nous avons en effet cette contrainte dans notre convention. Nous en rediscuterons avec le régulateur le moment venu.
LCI a opéré une rentrée très ambitieuse en septembre avec une grille profondément remaniée et les arrivées de figures de premier plan comme David Pujadas, Pascale de la Tour du Pin ou Natacha Polony. Trois mois plus tard, quel premier bilan en tirez-vous ?
Éric Monier : Le défi a été relevé. Nous sommes satisfaits de l'ensemble des nouveaux rendez-vous qui se sont bien installés. Mais également des rendez-vous existants comme celui d'Arlette Chabot qui est passé à un rythme quotidien. David Pujadas a totalement renouvelé le genre et a ajouté beaucoup de pédagogie à cette émission de débat d'idées. Le matin, Pascale est formidable avec son côté chorale. Sur le news, quand l'actualité est moins chaude, l'émission est très conviviale. Et dans les chiffres, l'ensemble est très encourageant.
Valérie Nataf : Parmi les anciens rendez-vous, qui ont été transformés et adaptés, il y a également "Le Débat" d'Adrien Gindre qui est devenu incontournable. La semaine dernière, il a même enregistré sa meilleure semaine depuis la rentrée avec près de 120.000 téléspectateurs et 1,3% de PDA.
La progression n'est-elle pas plus lente que ce que vous espériez ? Avec 0,6% de PDA, en novembre, LCI est au même niveau que l'an dernier...
Éric Monier : Quatre chaînes d'info dans un pays comme la France, c'est unique au monde. La concurrence est donc très féroce. Logiquement, après une année électorale très favorable aux chaînes d'information, on observe un petit tassement des chaînes d'information, qui est toutefois très peu sensible sur LCI.
Valérie Nataf : LCI est même la seule chaîne d'information qui est actuellement en progression d'audience - à quelques dixièmes près. Ce qui veut dire que le modèle LCI porte une promesse différente de celles des autres chaînes.
"L'objectif est de tangenter les 0,8% de PDA d'ici l'année prochaine"
Comme Thierry Thuillier, vous vous fixez toujours la fin d'année 2018 pour atteindre la barre du 1% de PDA ?
Éric Monier : La route est longue. Nous espérons tangenter les 0,8% de PDA d'ici l'année prochaine. Les chaînes d'information restent des chaînes d'habitude. Les téléspectateurs ont des réflexes. Aller chercher la chaîne 26, qui traite l'information différemment, c'est un environnement inhabituel. D'où l'idée d'avoir des incarnations fortes comme David Pujadas, Pascale de la Tour du Pin, Fabien Namias, Roselyne Bachelot et Natacha Polony. Grâce à eux, on espère amener des téléspectateurs et les fidéliser à notre promesse éditoriale. Notre convention nous a amenés à imaginer une chaîne un peu différente. Nous avons choisi de miser sur le débat d'idées pour combler le vide créé par l'interdiction de faire autant de journaux que les autres chaînes à l'heure. C'est au final une opportunité car le débat crée l'identité de la chaîne.
Avec une grille très axée sur la politique et alors que nous sortons de période électorale, ne craignez-vous pas l'indigestion chez vos téléspectateurs ?
Eric Monier : Précisément, non. On n'est plus dans une période électorale mais cela reste une période très intéressante politiquement. Les Français sont très curieux de ce qu'il se passe autour de leur nouveau président. En termes d'audience, les sujets sur Emmanuel Macron et ses réformes fonctionnent.
Valérie Nataf : Après la vague de "dégagisme" de l'an dernier, on a pu croire que les Français en avaient marre de la politique. Mais c'est le contraire ! Il y a une demande de politique et LCI répond à cela. Chacun a envie d'avoir une opinion. On essaie d'y aider avec nos débats d'idées.
In fine, on peut dire que c'est une chaîne pour les mordus de politique ?
Éric Monier : Oui ! Mais pas uniquement.
Pourquoi ne pas imaginer un talk autour du sport par exemple ? Ce pourrait être fédérateur.
Éric Monier : Il y a des raisons de droit. On fait des journaux de sport, on vient de couvrir le tirage au sort du Mondial. On en aura peut-être un jour mais nous traitons déjà le sujet à travers nos journaux. Nous accompagnerons bien sûr les grands moments de sport. Après il y a des chaînes spécialisées, je pense notamment à L'Equipe. Nous on accompagnera le Mondial à travers notre traitement. On est quand même présent dans le domaine. On ne peut pas tout faire.
"Nos concurrents reconnaissent qu'on se débrouille bien"
Vous auriez pu faire autre chose, de la vie pratique par exemple...
VN : Historiquement, LCI a toujours été référencée pour son offre politique. Cela a été la première chaîne d'information en France. Dès ses débuts, elle était positionnée sur la politique. Il y a une cohérence à poursuivre cela, y compris dans les périodes non-électorales. On est une chaîne très politique mais on essaie de ne pas l'être sur la politicaillerie. Ce qui nous intéresse, ce sont les idées, moins les affrontements de personnes. Et, surout, LCI couvre tous les sujets. Dans la matinale, on aborde des sujets aussi larges que la vie au bureau, la santé, l'impact des nouvelles technologies sur nos vies quotidiennes, la culture... Cette diversité vaut également pour le week-end, notamment dans "Le Brunch" de Bénédicte Le Chatelier. Et "24 heures Pujadas" ne se limite pas aux sujets politiques. On y aborde tous les sujets d'actualité.
Comment on peut lutter quand on a des contraintes imposées par le CSA, celle d'être sur le canal 26 et face à l'existence d'un réflexe BFM qui s'est installé quand LCI était encore en payant ?
EM : En étant meilleur que les autres. Je dis toujours que nous sommes d'abord et avant tout une chaîne d'information. En toutes circonstances, nous y sommes, même si nous avons un peu moins de moyens que le leader. Et je crois que, parfois, nos concurrents reconnaissent qu'on se débrouille bien.
"LCI ne s'alignera pas sur le modèle BFMTV"
Si un jour, vous n'aviez plus de contrainte de format, vous vous aligneriez sur "le modèle" BFMTV ?
VN : Je ne crois pas.
EM : Non. L'empreinte politique de LCI fait partie de son identité. Il y aurait peut-être des petites évolutions mais il ne faut pas tout mettre non plus sur les demandes du CSA. Elles existent, il y en a certaines que nous aimerions pouvoir discuter mais nous ne nous renions pas pour autant.
Et si un jour, France 4 ou/et France Ô venaient à disparaître pour des raisons économiques, comment réagiriez-vous si franceinfo se positionnait pour récupérer l'un ou l'autre de ces canaux ?
EM : Je ne sais pas. Je ne crois pas que ce soit dans les tuyaux. Notre priorité, c'est de savoir comment faire exister la chaîne du canal 26. S'il devait y avoir des changements comme ceux que vous évoquez, j'imagine que cela ne se ferait pas sans concertation.
LCI est la seule chaîne d'information qui fait mention au digital dans son habillage permanent. Tout un symbole ?
Valérie Nataf : C'est une offre importante pour nous, oui. Quand Emmanuel Macron a accordé sa première interview télévisée à TF1 et LCI, nous avons enregistré 1,5 million de vues sur le digital. C'est absolument énorme. De manière plus générale, LCI est une offre complète dont le digital fait pleinement partie. On travaille main dans la main avec les équipes dédiées. Ils nous informent sur les sujets qui fonctionnent et il y a des gens du web qui sont chroniqueurs chez nous.
Quel regard portez-vous sur l'évolution des modes de consommation d'une chaîne d'information ?
Éric Monier : Depuis 2005, BFMTV a connu une progression immense. Il existe un réflexe BFM chez beaucoup de téléspectateurs au moindre événement d'actualité. Les gens n'attendent plus de savoir s'il y aura un décrochage sur TF1 ou France 2. Mais ce réflexe BFM est en train de changer pour devenir un réflexe plus global, celui de se diriger vers telle ou telle chaîne d'information. C'est là que nous avons une carte à jouer et que nous devons faire valoir notre différence.
"Le rapprochement des rédactions de TF1 et LCI est un enjeu très important"
Où en est le rapprochement des rédactions de TF1 et LCI ?
Eric Monier : C'est un sujet qui est piloté par Thierry Thuillier. À notre niveau, nous discutons sur la meilleure manière de le faire. L'enjeu est très important. Il y a un dialogue très constructif qui s'est établi entre les deux rédactions. Les gens se connaissent, un certain nombre de journalistes de TF1 sont passés par LCI. L'idée est d'établir des passerelles plus systématiques.
Sur quoi aboutira ce rapprochement ? Une rédaction complètement fusionnée ?
Eric Monier : Il n'y aura pas un grand tout. Il y aura plutôt un partage accru d'expertises et des équipes qui pourront alternativement travailler pour TF1, LCI et le digital. C'est une manière moderne de travailler aujourd'hui, sur un modèle comme celui que la BBC a expérimenté avec succès. Il continuera à y avoir des éditions avec leurs spécificités. Elles garderont leur identité propre. Il ne faut pas imaginer que le JT de Jean-Pierre Pernaut et LCI feront la même chose. Et LCI gardera son entière indépendance.
Mais Jean-Pierre Pernaut est déjà sur LCI !
Eric Monier : Oui, d'ailleurs il fait partie de ceux qui sont ravis de travailler avec nous. C'est également le cas d'Audrey Crespo-Mara, de Julien Arnaud ou François-Xavier Pietri. Il y aussi ceux, comme Patricia Allemonière, Guillaume Debré ou Isabelle Torre qui viennent nous aider ponctuellement. Vous avez aussi l'exemple de George Brenier, spécialiste police/justice, qui travaille beaucoup pour le web. Et nous avons aussi en commun l'agence sport, sous l'autorité d'Anne-Sophie de Kristoffy. Des passerelles se développent un peu partout.
Cela n'implique donc pas de réduction de l'effectif global ?
Eric Monnier : Ce n'est pas l'objet de cette réflexion. L'idée est de nous adapter à la réalité d'aujourd'hui, de ne pas travailler en silo. Les manières de travailler évoluent et cela concernent également les métiers de l'information.
Eric, votre nom a été cité dans une affaire de harcèlement sexuel pour des faits remontant à l'époque où vous dirigiez la rédaction de France 2. La plainte déposée par la journaliste Anne Saurat-Dubois a été classée sans suite pour prescription. Quelle est votre réaction ?
Eric Monier : Ma ligne de défense reste la même et, avec mon avocate, nous avons décidé de maintenir ma plainte pour dénonciation calomnieuse. Je ne fais pas d'autres commentaires sur cette affaire.