Une révélation dont Europe 1 se serait bien passée. Selon "Mediapart", entre 2002 et début 2017, des données relatives à pas moins de 573.315 auditeurs ont été collectées pour alimenter un logiciel interne baptisé "Chamane", mis à jour quotidiennement par les téléopérateurs de la station afin de synthétiser le profil de personnes composant le 3921. C'est un contrôle inopiné de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) qui a permis de mettre à jour l'existence de ce fichier à travers laquelle Europe 1 a enfreint la loi à plusieurs reprises. Le rapport datant de 2017, qui n'a jamais été rendu public, a pu être consulté par "Mediapart".
La radio est accusée d'avoir franchi la ligne rouge d'abord par la durée de conservation de données, celles-ci l'étant depuis 2002, alors que la loi fixe la durée de conservation maximale à deux ans. Ensuite parce que le logiciel concerné ne se contentait pas de compiler l'identité des auditeurs. En première ligne, les téléopérateurs chargés de jouer les intermédiaires avant un éventuel passage de l'appelant à l'antenne, pouvaient compléter les informations recueillies par des commentaires portant sur la santé, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle des personnes.
Des commentaires réalisés dans un langage pour le moins cru comme cela a pu être constaté par l'autorité indépendante sur plus de 483 fiches. Parmi les exemples cités par "Mediapart" : "voix de vieille pédale", "connard qui nous a déjà bien fait chier" ou encore "accent du Maghreb, pas toujours claire, bavarde, a besoin de parler de son cancer". En parallèle, la CNIL a également mis au jour un fichier des auditeurs "interdits d'antenne", sans que ceux-ci ne soient forcément mis au courant, là-aussi à contre-courant de ce que prévoit la loi. 448 numéros interdits d'antenne ont été recensés lors du contrôle ; le plus vieux y ayant été inscrit en 1998, en provenance d'une base plus ancienne.
La constatation de ces infractions n'a entraîné aucune sanction de la part de la CNIL, qui a choisi de ne pas signaler les faits les plus graves à la justice. L'autorité administrative assume être là davantage "pour accompagner les entreprises dans leur mise en conformité" que "pour les sanctionner", comme en témoigne un de ses membres. En 2015, Europe 1 avait déjà été pointée du doigt pour sa pratique de collecte des données, cette fois en lien avec son site internet.
Contactée par "Mediapart", la station du groupe Lagardère, par la voix de sa secrétaire générale Anne Fauconnier, plaide la bonne foi. "Ni la direction de la radio, ni les standardistes n'avaient connaissance de la conservation des données. La conservation des données sur une longue période provient d'une erreur technique", assure-t-elle.
Mais selon des sources internes, il s'agirait également d'un problème de formation des téléopérateurs, souvent des étudiants qui exerceraient ce métier pour avoir un complément de revenus. La baisse d'audience constante réalisée par la station ces dernières années aurait aussi entraîné une baisse des appels, obligeant les personnes en charge du standard à se plonger dans leur fichier pour solliciter certains auditeurs. "Parfois, on se retrouvait avec cinq ou six appels, dont trois personnes bourrées, et une qu'on devait rappeler et qui ne répondait pas", témoigne un salarié sous couvert d'anonymat.
Suite au rapport de la CNIL, Europe 1 a fait le ménage dans son logiciel Chamane et dans celui des "interdits d'antenne" tout en adressant un rappel à l'ordre à ses téléopérateurs. Selon la direction de la radio, il ne resterait aujourd'hui plus que cinq numéros interdits. Sur Twitter, Laurent Guimier, vice-PDG d'Europe 1, a évoqué hier des "pratiques honteuses de fichage des auditeurs" et rappelé que le nécessaire a été fait dans ce dossier.