Ce soir, TF1 lance "Taxi Brooklyn", nouvelle série originale produite par Luc Besson mais tournée aux Etats-Unis par des réalisateurs français. La série, adaptée de la franchise "Taxi", est emmenée par un duo composé de Chyler Leigh, connue pour son rôle de Lexie Grey dans "Grey's Anatomy", et de Jacky Ido, Français aperçu dans "Inglourious Basterds" et "Radiostars", entre autres. Aux commandes, Gary Scott Thompson, créateur et showrunner de la série "Las Vegas" et scénariste des premiers "Fast & Furious".
Il évoque pour puremedias.com ce projet ambitieux, la révolution du paysage audiovisuel américain et la multiplication des chaînes, l'évolution des séries et le racisme qui aurait rendu impossible "Taxi Brooklyn" il y a encore dix ans, ainsi que les difficultés du métier et la façon originale dont il a casté Chyler Leigh.
Propos recueillis par Charles Decant.
Cela faisait quelques temps que vous n'aviez pas travaillé sur une série. Qu'est-ce qui vous a fait revenir sur ce projet en particulier ?
Je travaillais toujours sur des projets en développement pour la télé, mais aussi sur des films. Ce qui m'a fait sauter le pas, c'est Luc Besson ! (Rires)
Il vous a appelé et ça a suffi ? C'est une proposition qu'on ne refuse pas ?
Non, je ne pouvais pas lui dire non ! Peut-être que d'autres en sont capables, mais je suis un très grand fan. On s'était rencontré pour la première fois à Los Angeles il y a trois ans je crois, on essayait de trouver un projet sur lequel travailler ensemble aux Etats-Unis. On est resté en contact, et un jour, on m'a appelé pour me demander si j'étais occupé et si je voulais m'installer à New York. J'ai dit "non" ! (Rires) J'ai demandé à ce qu'on m'envoie ce qu'ils avaient, j'ai répondu ce que j'en pensais...
Et ils avaient quoi au juste ?
Ils avaient des scripts pour une série qu'ils voulaient tourner à Toronto, mais ils trouvaient ça trop léger, et ils envisageaient de le faire à New York. Ils avaient Olivier Megaton, qui avait signé pour réaliser les deux premiers épisodes. Ils avaient besoin de plus d'action dans les scripts, Olivier est un réalisateur de films d'action. Ils voulaient plus de comédie, ils voulaient que ce soit plus réaliste - ce sont leurs mots, pas les miens. Et que le tout ait une sensibilité plus américaine et prouver qu'ils étaient capables de faire aussi bien que les Américains. Et a priori, on y est arrivé, c'est le retour qu'on a de toutes les chaînes américaines qui l'ont vu.
Ils ont été surpris ?
Oui, ils ont trouvé la qualité de la réalisation incroyable, et ils ont été choqués de voir tout ce qu'on a réussi à obtenir de New York. C'est une ville où il est très difficile de tourner, surtout des scènes de courses-poursuites en voiture.
Vous avez signé pour ce projet sans avoir de diffuseur américain. Ce n'est plus inédit, mais ça reste rarissime...
Ca reste très rare, oui. L'idée était de faire un produit de qualité qu'on pourrait ensuite ramener aux Etats-Unis.
C'est une nouvelle façon de produire une série, et il y en a de plus en plus !
C'est vrai, tout simplement parce qu'il y a de plus en plus d'acheteurs ! Netflix fait ses propres séries comme "House of Cards", "Arrested Development" et "Orange Is the New Black". Tu as Amazon qui fait ses propres séries, et tellement d'autres ! On m'a dit qu'il y avait désormais 56 acheteurs différents de séries aux Etats-Unis. Avant, il y en avait trois, puis avec Fox, ça faisait quatre ! C'est très intéressant ! Il y a eu une explosion de la quantité produite, parce qu'on consomme de plus en plus de contenu. On regarde beaucoup plus, sur tous les supports. Et on regarde des saisons entières à la fois...
C'est une bonne chose ? Vous mettriez les douze épisodes de "Taxi Brooklyn" en ligne en même temps ?
On pourrait le faire oui, ça aurait un vrai sens. Il faut prendre ça en compte désormais. Comment une personne qui regarde les douze à la suite va-t-elle voir la série par rapport à quelqu'un qui la regarde une fois par semaine ? Les mêmes règles s'appliquent, il faut leur donner envie d'en voir plus à la fin de chaque épisode. En tout cas, c'est une période formidable pour quelqu'un comme moi. Il y a énormément d'opportunités, et j'ai énormément d'idées !
Ce n'est pas trop compliqué de tourner une série française, aux Etats-Unis, avec les exigences de TF1 tout en gardant en tête ce que les chaînes américaines et d'autres pays peuvent souhaiter ?
C'est un vrai défi, mais c'est précisément ça que j'aime. Trouver le bon équilibre. Mais ça a été moins compliqué que de produire une série directement pour une chaîne américaine, où tout le monde a un avis sur tout. Ici, le contact était direct avec TF1.
Donc moins de pression ?
Oui ! C'est marrant, on parlait récemment avec les scénaristes de tous ces showrunners qui ont fait des dépressions nerveuses à cause du stress. Quand on est showrunner, on est responsable de tout. J'ai reçu des coups de fil à 4h du matin d'un patron de chaîne pour me hurler dessus. Quand ils appellent, ils s'attendent à ce que tu décroches ! Et tu attrapes des cheveux gris aussi. Ca m'est arrivé du jour au lendemain !
On a parlé de la manière originale dont la série a été produite, sans le soutien d'une chaîne. C'était impensable il y a dix ans. Mais côté contenu, est-ce qu'on aurait pu proposer cette série-là à une grande chaîne il y a dix ans ?
Non, jamais. D'abord, parce qu'on a un héros noir. Aux Etats-Unis et ailleurs aussi, ce n'était pas imaginable. Quand je faisais "Las Vegas", il y a moins de dix ans, dès qu'un noir sortait avec une blanche ou inversement, je recevais des lettres de menace anonymes. C'était terrible !
Les chaînes étaient-elles effrayées par ce type de relations à l'écran ? Ou juste les fans ?
C'étaient surtout les fans. Mais les chaînes en ont conscience et l'intègrent dans leur réflexion... Depuis dix ans, depuis la sortie des premiers films "Taxi", énormément de choses ont changé dans le monde. Pas seulement en France. Le mariage gay, tout ça... Tout est allé si vite ! Le monde a changé. Et les premiers "Taxi" ont pris un coup de vieux d'ailleurs à ce niveau. J'ai dû prendre ça en compte. Mais il y a dix ans, vendre une série où un flic fait équipe avec un taxi, on m'aurait dit "C'est ridicule". Comme "Mentalist". On aurait dit "Ce n'est pas un flic, il ne peut pas faire ça". La mondialisation a tout changé. On est tous connecté. On travaille différemment. Avant, on faisait une série à LA et on l'envoyait dans le monde entier. Et maintenant, il y a des gens du monde entier qui font des séries dans le monde entier.
Vous avez signé en sachant une seule chose : que vous seriez diffusé sur une chaîne française...
...Même ça, ce n'était pas une certitude ! On aurait pu se planter au point qu'ils décident de ne pas nous diffuser ! Il y avait énormément d'incertitude. Mais sachant qui était impliqué, qu'il y avait EuropaCorp, Luc Besson, que c'était adapté d'une franchise... Et puis on tournait douze épisodes, on avait douze épisodes finis à montrer aux autres pays. C'est une offre solide. C'est rarissime.
Les épisodes ressemblent à des petits films d'action. C'était difficile de tourner des films de 45 minutes avec un budget télé ?
A la télé, on se bat toujours avec le budget. C'est une tâche quotidienne. On arrive le matin, quelqu'un dit "On ne peut pas se permettre ce truc-là". Alors qu'on devait tourner dans dix minutes. Donc il faut se débrouiller, faire des sacrifices. Surtout pour un projet comme celui-ci. Il faut trancher, même si ça met quelqu'un en colère. Il n'y a pas un jour qui passe sans que quelqu'un soit en colère contre moi. Mais la pire chose qui puisse arriver, c'est de ne pas prendre de décision. Parce que tout va tellement vite... On tourne tous les jours ! On n'a pas le temps de prendre le temps de la réflexion.
Vous avez travaillé sur des centaines d'heures de télévision. Comment trouvez-vous encore l'envie et la motivation ?
J'adore être sur un plateau. J'adore les équipes, j'adore travailler avec les acteurs. On s'amuse énormément. C'est tellement dur qu'il ne faut pas rendre les choses encore plus dures. Si on ne s'amuse pas, ça ne vaut pas la peine. Et puis si on s'amuse sur le plateau, ça se verra à l'écran. Et chaque jour quelque chose de nouveau arrive... On a cassé le pied de Chyler par exemple ! Tout le monde était paniqué ! J'ai dit "On lui roule dessus !" On peut faire ce qu'on veut ! Donc dans l'épisode, on lui roule sur le pied. Je lui ai dit "Il faut que tu nous vendes ça comme quelque chose d'extrêmement douloureux, tout en étant drôle". J'ai vu cette scène une centaine de fois, et je ris à chaque fois !
A propos de Chyler, elle dit qu'elle n'a pas passé de casting pour le rôle. Comment l'avez-vous choisie ?
On avait une liste de gens qui nous plaisaient, et quand son nom est arrivé, j'ai commencé à passer des coups de fil aux gens avec qui elle avait travaillé ou qui la connaissaient. Je connaissais des acteurs, des réalisateurs, des scénaristes qui l'avaient côtoyée. J'ai appelé tout le monde, j'ai expliqué le rôle, j'ai demandé si elle pouvait assurer, et tout le monde m'a répondu oui.
Donc son comportement était important aussi ?
Absolument. Je crois que la question que j'ai posée était "Est-ce que c'est une emmerdeuse ?". Je n'ai pas besoin de ça.
Mais il existe des emmerdeurs qui permettent de vendre des séries... !
Il en existe plein, oui ! Et j'en ai côtoyé pas mal ! (Rires)