Retour sur la campagne la plus indécise de la Ve République. Deux jours après la victoire d'Emmanuel Macron au second tour de l'élection pour l'Elysée, France 5 consacre ce mardi une soirée spéciale à la présidentielle de 2017. A 20h50, la chaîne diffuse un documentaire retraçant la folle campagne électorale, réalisé par Camille Girerd, Karim Rissouli et Florent Maillet. Un débat animé par Bruce Toussaint est proposé juste après. A l'occasion de la diffusion de ce documentaire, puremedias.com a interviewé l'un des réalisateurs du sujet, Karim Rissouli.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Le documentaire s'ouvre sur la démission d'Emmanuel Macron du gouvernement. Pourquoi avoir choisi ce moment pour symboliser le début de la campagne présidentielle ?
Karim Rissouli : Il symbolise le début des hostilités. A partir de ce jour, on raconte la chronique de 250 jours de "dégagisme". Et finalement, le "dégagiste en chef", c'est Emmanuel Macron, car c'est lui qui a été élu. Si Marine Le Pen avait gagné la présidentielle, on aurait peut-être commencé avec une autre image. Mais la marche de Macron vers le pouvoir commence vraiment ce jour où il prend la décision de démissionner de Bercy. On démarre par ce moment fort qui va ensuite orienter toute la campagne politique derrière. C'est ce qui va empêcher François Hollande de se présenter, ça va aussi influencer sur le choix du candidat de la droite. C'est un acte fondateur de la campagne et des 250 jours que l'on va vivre derrière.
Au moment de cette démission d'Emmanuel Macron, est-ce que ce phénomène de "dégagisme" était prévisible ?
Non, on a tous été extrêmement surpris. On suit la campagne au quotidien grâce à "C Politique" tous les dimanches. On l'a vu venir, mais petit à petit. Au mois d'août, quand Macron démissionne, tout le monde pense, nous les premiers, qu'on va avoir un duel Juppé et Sarkozy à droite, que Hollande sera candidat et que Marine Le Pen viendra jouer les trouble-fêtes. Personne n'imagine que Macron puisse réussir son pari. C'est une surprise pour nous tous. Le phénomène du "dégagisme", on va le voir monter, prendre de l'ampleur. Dans le film, on suit la campagne de la droite, que l'on appelle "Le crépuscule des titans". Il y aura douze jours fondamentaux, du 20 novembre au 1er décembre, où en trois jours, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande sont au tapis. A ce moment, on comprend qu'on change de monde.
"Le nouveau monde politique a un visage, celui d'Emmanuel Macron"
Les médias n'ont-ils pas eu une part de responsabilité dans ce "dégagisme" ?
Non, ce sont les citoyens français. A chaque campagne présidentielle, il y a des thématiques qui sont imposées. En 2002, c'est l'insécurité. En 2007, Sarkozy a réussi à imposer le thème du pouvoir d'achat et du travail. En 2012, Hollande a imposé celui de la finance folle. En 2017, aucun thème ne s'est d'abord imposé. Ce qui est dingue, c'est que ce sont les Français qui ont finalement imposé le thème du "dégagisme". Les médias ont joué un rôle dans cette campagne, mais je ne crois pas que les médias fassent l'élection. Les médias ont été la caisse de résonance de ce système en bout de course. Après, la campagne s'est faite beaucoup à la télévision. On avait prévu que ça se jouerait uniquement sur les réseaux sociaux et sur internet, mais finalement la télé a gardé un rôle fondamental dans cette campagne.
Votre documentaire parle de "l'ancien monde politique". Aujourd'hui, il ressemble à quoi le "nouveau monde" ?
C'est la question qui est devant nous. Est-ce que le nouveau monde sera meilleur que l'ancien ? Personne ne peut répondre à cette question aujourd'hui et on le sera dans quelques mois ou quelques années. Le nouveau monde, il a un visage, celui d'Emmanuel Macron. C'est à lui de prouver que le nouveau monde est meilleur que l'ancien, que les pratiques sont meilleures qu'avant. Ce qui est vrai, c'est que les trois candidats qui ont réussi à émergé de cette campagne, c'est-à-dire Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont les trois candidats qui ont fait le pari que les deux partis traditionnels allaient mourir, ou en tout cas souffrir terriblement pendant cette campagne. Le nouveau monde de Macron, on le verra dès la semaine prochaine par le choix de son Premier ministre, par le choix de ses candidats aux législatives et par les choix de ses premières mesures.
"J'ai vécu plus de violences en faisant 'L'Emission Politique' sur France 2 qu'en réalisant ce documentaire"
Quelque chose a donc changé dans la société française ?
Ce qui est sûr est qu'on vient de vivre une révolution démocratique et un changement d'époque qui ont bousculé tous nos repères. J'ai 35 ans, depuis que je suis né, c'est toujours un match entre le PS et le mouvement de droite issu du RPR, avec le FN qui gravite autour. Dix ans que je suis journaliste politique, dix ans qu'on me dit qu'on ne peut pas être élu président de la République si on n'a pas fait 30 ans de carrière politique et qu'on n'a pas été élu local, député, sénateur, etc. Ce qu'on vient de vivre a tout mis par terre. En revanche, je pense que ça fait du bien à notre démocratie et aux médias. Aux législatives, on devrait voir rentrer des dizaines et des dizaines de députés qu'on ne connaît pas ! On va tous se remettre à bosser différemment. Même nos carnets d'adresses doivent être obsolètes. Ça nous oblige tous à revoir notre façon de travailler et notre vision du monde.
Vous n'avez pas eu de difficultés à réaliser ce documentaire, notamment par rapport à la défiance des candidats vis-à-vis des médias qui montait au fur et à mesure de la campagne ?
La campagne a été violente entre les politiques et les médias, c'est vrai. Ça a parfois été compliqué dans les rapports de négociations. Mais j'ai vécu plus de violences en faisant "L'Emission Politique" sur France 2 qu'en réalisant ce documentaire. On a décidé de le faire avec ou sans l'accord des équipes de campagnes. On avait le thème du "dégagisme" et on a suivi la campagne de cette manière. Ça n'a pas été trop compliqué car on n'attendait pas grand chose d'eux.
"J'espère que ce documentaire, quand on le reverra dans cinq, dix, vingt ans, sera quasiment un document d'histoire"
Certaines scènes de votre prime sont assez folles. Il y a cet échange surréaliste entre Thierry Solère et Roger Karoutchi qui n'arrivaient pas à croire à la victoire de François Fillon lors du premier tour de la primaire de la droite.
En passant par des vecteurs qui ne sont pas les principaux candidats, c'est plus simple de faire un film pour parler du terrain. A travers eux, on a pu capter l'ambiance des campagnes, les moments de bascule. Cette scène entre Karoutchi et Solère est fantastique et hallucinante. Comme toutes les scènes qui paraissent volées, quelque part on ne devrait pas la voir. On voit bien que Solère dit "Attention, j'ai un micro" et Karoutchi est tellement dépité, qu'il continue à parler.
Avec un peu de recul aujourd'hui, que peut-on retenir de cette campagne ?
En 250 jours, le PS est au tapis. Les Républicains sont au tapis. Nicolas Sarkozy est au tapis. François Hollande est au tapis. Manuel Valls est tombé lui aussi. François Bayrou, qui aurait aimé se présenter, n'a pas pu parce que Macron était là. En neuf mois, la France a changé d'époque politiquement. En 1981, ça a été un moment de bascule énorme, parce que les socialistes arrivaient au pouvoir. Depuis, on n'a pas vécu de moment aussi fort. J'espère que ce documentaire, quand on le reverra dans cinq, dix, vingt ans, ce sera quasiment un document d'histoire. On ne se rend pas compte, mais je pense qu'on vit une révolution. Même si Macron ne réussit pas, on peut être certain que la révolution va continuer, elle sera peut-être plus violente que celle-ci. Il a un poids sur les épaules qui est très lourd. Cette révolution aurait pu accoucher de la victoire de l'extrême-droite. Elle aurait pu aussi accoucher d'un duel Mélenchon-Le Pen. On l'a tous pensé quelques jours avant la fin de la campagne. Puis, l'indécision des lecteurs a montré une forme de colère et de dégoût de la politique.
"J'ai vraiment envie de faire cette émission pendant cinq ou dix ans"
Quel bilan peut-on tirer de "C Politique" pour cette première saison ?
Je suis heureux et fier d'avoir réussi à installer une émission qui est différente. C'était un pari assez fou de lancer une émission politique qui s'appelle "C Politique" en campagne électorale, sans invités politiques en plateau. On a réussi à l'imposer. Je ne sais pas si ça va continuer, il faut demander à Nathalie Darrigrand. Mais si on nous fait confiance, j'ai vraiment envie de faire cette émission pendant 5 ou 10 ans. C'est un plaisir d'enquêter sur l'actualité politique, sortir des infos et de montrer les coulisses de campagne.
Et maintenant, cap sur les législatives ?
La prochaine émission, c'est le jour de la passation de pouvoir. Evidemment, il y aura une part de l'émission consacrée à ça, mais on aura déjà une partie sur les coulisses des législatives. On commence dès le 14 mai, la campagne sera très courte. On aura 3 ou 4 émissions pour traiter de ces élections. Elles seront aussi importantes que la présidentielle. Si Macron n'a pas de majorité, on rentre dans un monde incertain. On ira jusqu'au 2 juillet cette année, parce qu'après les législatives, durant deux émissions, on essaiera de faire le point sur ce qu'il s'est passé.