Chaque vendredi, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interrogera une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce nouveau numéro, Julien Bellver reçoit Guillaume Dubois, directeur général de BFMTV, à l'occasion des 10 ans de la chaîne et de la sortie de son livre, "Priorité au direct" (Ed. Plon).
Vous êtes directeur général de BFMTV. Pourquoi ce livre ? Vous vouliez répondre au BFM bashing ?
Oui, c'est ça. C'est vrai qu'en début d'année, après une période difficile d'actualité, il y a eu une recrudescence de ce BFM bashing. Et je me suis dit - on est là depuis le début, je dirige la chaîne depuis le début, il y a un peu un sentiment d'injustice - que ça valait peut-être le coup de raconter qui on est, d'où on vient, couper court au fantasme. Il n'y a pas de complot de domination du monde. BFMTV, c'est juste l'histoire d'une bande de journalistes notamment, d'une chaîne qui est devenue grande.
Dix ans de BFMTV, c'est dix ans d'histoire contemporaine. Quel événement vu des coulisses vous a le plus marqué ?
Comme tous les Français, c'est évidemment les attentats du début d'année. Après, du point de vue de BFMTV, c'est vrai que peut-être que l'élection de Barack Obama - parce que c'est tout une nuit, on était en régie, on attendait... C'est un moment très fort. Toute l'histoire DSK est très forte, ça a été un moment d'explosion de BFMTV...
Avec pas mal de polémiques sur les images...
Absolument, pas mal de polémiques parce que c'étaient des images nouvelles, on n'avait pas l'habitude de voir ce genre d'images à la télévision française, le fameux "prep walk". Tous les premiers jours de l'affaire DSK, ça a été une exposition très forte de BFMTV, je suis sûr que beaucoup de Français ont suivi et découvert cette affaire sur BFM.
Un reproche que je fais à votre livre, c'est la quasi-absence d'auto-critique. Sur l'annonce erronée de l'arrestation de Mohamed Merah, vous parlez de "boulette". Sur le cas Dominique Rizet, qui avait annoncé la présence d'une otage dans la chambre froide de l'Hypercacher, vous parlez de "grosse maladresse", de "faute de jugement". Vous êtes poursuivi en justice pour ça...
Absolument...
Quand le 29 octobre dernier à 10h, BFMTV annonce par erreur la mort du bâtonnier de Melin. C'est une erreur d'appréciation ?
Alors non, ce n'est pas BFMTV. L'AFP a sorti la mort du bâtonnier, on ne l'a pas sorti.
Vous l'avez reprise dans le bandeau ?
On l'a peut-être reprise quelques secondes, on l'a changée tout de suite. C'est une information de l'AFP...
...qu'il faut vérifier, on l'a vu avec Martin Bouygues !
Vous avez raison. Mais on a plutôt été ceux qui ont le mieux traité l'info, qui l'ont laissée le moins longtemps.
Vous voyez, vous avez du mal avec l'autocritique, à revenir sur les petits ratés...
Non, non ! Je crois que vous conviendrez que je raconte aussi tout ce qui n'a pas été sur ces dix années, c'est un livre assez sincère. Après, les critiques sur BFMTV, elles sont souvent sur des éléments fondamentaux : l'information en continu, le direct, etc. Et ça, c'est quelque chose qu'on assume parce que c'est quelque chose qu'on fait. Donc je ne fais pas mon auto-critique sur les fondamentaux de la chaîne, c'est certain. Après, raconter ce qui n'a pas été, c'est sûr. Sur l'élément de début d'année, oui, il y a eu grosse maladresse, faute de jugement. Il y a une affaire en cours, je n'irai pas plus loin que ces mots-là. Mais je raconte tout ce qui s'est passé, pourquoi pendant dix minutes on a raconté à tort l'arrestation de Mohammed Merah, je raconte les coups de fil, tout ça... Je raconte la vérité.
Un aspect plus léger, le mépris d'une partie de vos concurrents. Le 29 janvier 2012, Nicolas Sarkozy accorde la quinzième interview de son quinquennat et pour la première fois iTELE et BFMTV font partie du dispositif. Vous le racontez dans votre livre, en coulisses, dans la régie, c'est la guerre...
Pour TF1 et France 2, c'était le sentiment qu'on les dépossédait, c'était leur pré-carré donc effectivement, en régie, les directeurs de rédaction étaient à l'oreillette de l'ensemble des journalistes présents autour de la table et c'était une bagarre entre les uns et les autres pour dire "Prends la parole !", "Interromps-le !", "Relance-le là-dessus"... Entre eux, c'est devenu un petit peu tendu.
Hervé Béroud dit même "Ca va mal finir" à Thierry Thuillier, le directeur de l'info de France 2, si le journaliste de BFM ne prend pas la parole... !
Effectivement, le rédacteur en chef de Delahousse lui disait tellement "Vas-y, vas-y, vas-y" qu'à un moment, Hervé s'est tourné vers Thierry Thuillier, le chef du rédacteur en chef de Delahousse, pour lui dire de lui laisser du temps. C'était l'Elysée qui avait décidé que cette fois-ci, les chaînes d'info seraient représentées - évidemment pas TF1 et France 2 qui nous avaient ouvert les bras spontanément.
Avec les politiques justement, c'est "Je t'aime moi non plus". Ils critiquent souvent BFM mais se pressent quand un micro se tend. Vous écrivez même que pour certains "BFMTV est devenue le point central de leur existence politique". Vous pensez à qui ?
Ils le disent ! Je pense peut-être au deuxième rang. Le premier rang... Manuel Valls a autre chose à faire que regarder BFMTV toute la journée et le chef de l'Etat de la même façon. Mais beaucoup de députés très médiatiques, de ministre de second rang, ont BFMTV toute la journée dans leur bureau. On peut comprendre qu'ils aient une relation d'amour/haine avec cette chaîne qui est au coeur du paysage médiatique, et a fortiori sur l'actualité politique.
Invité de "Médias le mag" la semaine dernière, Claude Serillon évoquait un "flux du tout et n'importe quoi" sur les chaînes d'info en continu... "Tout se vaut au royaume de l'info en continu", écrivait Le Monde en 2013. BFMTV confond l'information et la communication quand il s'agit de relayer la parole publique ?
Non, je pense que c'est les politiques qui le font. Parler de tout et n'importe quoi, c'est en soi n'importe quoi ! C'est évidemment ridicule. L'affaire de Lucette, ce n'est pas nous qui avons inventé...
... C'est vous qui avez lancé cette guerre médiatique !
On a juste demandé à la dame comment ça s'était passé, et de nous raconter ça. On voulait avoir les coulisses, on n'avait aucune idée de ce qu'ils étaient et on a découvert un peu stupéfait, par hasard, que tout avait été écrit, quasiment scripté, qu'on avait amené les tasses à café, qu'on lui avait dit de ne pas poser les questions qui fâchaient, ce qui est grotesque. Là, c'est une erreur des communicants de l'Elysée, ce n'est sûrement pas le chef de l'Etat qui avait organisé ça, lui est tout à fait capable de répondre aux questions. Nous, on fait notre boulot, on raconte ça, il n'y a pas de souci. Après, les communicants - ce qu'est devenu Claude Serillon sur l'affaire Leonarda - ont du mal à apprécier ça. Ce qui change aujourd'hui, c'est que quand ils font des boulettes de communication ou de politique, ça se voit.
Il y a aussi des coulisses dans ce livre, des moments pas vus à la télé. Vous racontez qu'après son interview sur BFMTV en avril 2013, Jérôme Cahuzac fond en larmes...
Il y avait beaucoup de pression. Manifestement, il avait pris sur lui d'organiser cette interview-confession, qui relevait certes aussi de sa part d'une certaine communication, c'est une évidence, on ne l'a pas pris au saut du lit, on n'a pas été l'attendre en bas de chez lui de façon impromptue. C'était négocié avec lui. Il a craqué à la fin et les images resteront dans un coffre fort !
Autre moment dingue de direct, l'interview réponse de Léonarda à François Hollande le 19 Octobre 2013. Juste avant et après ce moment de direct, Léonarda et sa mère pètent les plombs et ça n'a pas été montré...
Non effectivement ! Il y a une partie qui a été montrée, pas la pire, parce qu'effectivement, il y avait énormément de confusion, énormément de médias autour de la famille Dibarni ce jour-là. Dans la foulée de l'intervention du chef de l'Etat, une première série de réactions audio de la part de la famille a été maîtrisée, puis ils sont sortis, ça s'excite, j'imagine qu'il fait un peu chaud, et il y a des scènes qui n'ont pas été montrées et qui sont un peu lunaires. On est passé pas loin, mais il n'y a pas eu d'incident à l'antenne. Malgré tout, il y a eu une polémique totalement absurde sur le fait qu'on donne la parole à Leonarda dans la foulée du chef de l'Etat. Il s'était adressé directement à elle dans son intervention, il la citait à cinq reprises, il devait savoir que tous les médias étaient avec elle et qu'évidemment, à partir du moment où il lui faisait une propositon, on allait lui demander si oui ou non elle l'acceptait.
Dix ans après son lancement, BFMTV n'est plus vraiment indépendante et s'adosse à un grand groupe, celui de Patrick Drahi. C'était indispensable pour survivre face à la menace LCI et la chaîne d'info de France Télé ?
Non. Ce sont des menaces, certes. On est rassuré de faire une alliance avec un groupe à la surface beaucoup plus importante mais on ne perd pas notre indépendance. Pendant encore au moins quatre ans, le principal actionnaire, le président-fondateur Alain Weill reste le même et se renforce même. Il n'y a pas de changement. Il y a une possibilité pour Altice de prendre le contrôle de BFMTV, on verra à ce moment-là. Mais faites confiance aux équipes, aux journalistes et à leur souci d'indépendance pour conserver ce qui fait notre force, c'est cette indépendance qui est un élément clé du succès de BFMTV.
Philippe Verdier, licencié par France 2, vous pourriez le récupérer sur BFMTV ?
On n'a pas de poste de présentateur météo qui se libère. Effectivement, c'est un ancien de chez nous, il est parti il y a quelques années... Toute cette affaire est un peu triste.
On a déjà vu des allers-retours de gens de BFM...
Oui, on en a eu pas mal. C'est pour ça que je vous dis qu'on ne serait pas forcément contre, en tous cas pas pour cette raison-là. Il était invité chez Ruth Elkrief cette semaine. Mais effectivement, être licencié pour une opinion... Ce n'est pas si simple que ça mais ça fait tâche. C'est un peu triste.