L'avant der des ders. Hier soir, Patrick Sébastien a présenté l'avant-dernier numéro du "Plus grand cabaret du monde" sur France 2, son émission qu'il produit depuis 1998 via sa société Magic TV. Evincé de France 2 en octobre dernier après une interview accordée à "Télé Star", Patrick Sébastien a accepté pour la première fois de se confier à puremedias.com. L'occasion pour lui d'évoquer ses dernières émissions diffusées sur France 2, son départ de la chaîne publique, la crise des Gilets jaunes, mais aussi son avenir professionnel. Celui qui se produit actuellement sur scène avec son spectacle "Avant que j'oublie ! (ce que je n'ai jamais pu dire à la télé)", s'est livré à une discussion à bâtons rompus et sans faux-semblants.
Propos recueillis par Benjamin Meffre et Kevin Boucher.
Si une nouvelle direction arrive à France Télévisions et qu'elle vous veut à l'antenne, vous signez ?
Avec plaisir ! Le service public, c'est l'endroit où je veux être car il me permet de m'adresser à un public différent d'une chaîne privée. Mais je ne reviendrais pas forcément avec le même produit.
Vous étiez prêt à vous renouveler sur France 2 avant votre éviction ?
Évidemment ! Mais quand on ne te fait pas confiance, quand on te dit non à tout ce que tu proposes, tu ne peux pas... Vous avez vu le nombre d'émissions de merde qui sont arrivées à la télé et qui n'intéressent personne ? Moi, je ne peux rien amener. Moi, ce sera "non" quoiqu'il arrive. J'avais proposé un magazine sur l'humour par exemple. J'ai aussi proposé pendant des années quelque chose dont ils n'ont jamais voulu : une émission d'une heure avec des talents, des jeunes, sans concours. Si ça ce n'est pas "service public" ?! Moi, je sais en plus où sont les jeunes mômes qui démarrent. On n'a même pas voulu me donner ça. Pourtant, ça ne coûtait pas cher à produire. Ceci dit, moi, j'ai trente ans d'images. J'ai 10.000 séquences à moi du "Plus grand cabaret" et de mes autres émissions. Je vais en faire quelque chose, c'est sûr.
C'est à dire ?
Je peux faire plein de choses de ces images d'archives. Et puis j'ai des idées ! Regardez "Ze fiesta !". La première avait fait 6 millions de téléspectateurs quand même ! "Ze fiesta !", c'est l'Olympia, les gens déguisés, la fête. Ca a sa place sur TF1 ou sur M6.
Justement, pourquoi n'allez-vous pas sur une chaîne privée ?
Je rencontre quelques personnes... Mais je ne suis pas prêt à tout. Plus jamais dans ces conditions-là.
"J'ai été obligé de licencier des gens"
France 2 vous avait demandé de faire des économies sur vos programmes ?
Non. Pas vraiment.
Le "Cabaret" de 2019 vaut le même prix que celui de 1998 ?
Oui oui. Mais je ne peux pas faire moins. Quand on fait venir un numéro du cabaret, tu fais venir un mec des États-Unis par exemple. Là, j'ai juste refusé le chanteur des Beach Boys dans "Les années bonheur", parce que c'était trop cher. Il faut quand même regarder que le samedi soir, je suis face à "The Voice" et les téléfilms de France 3, et je coûte trois fois moins chers qu'eux !
Pourquoi ne pas avoir quitté France 2 vous même, si la vie y était aussi difficile que vous le dites ?
Parce que j'ai des gens qui bossent avec moi. Moi, ça va. J'ai de quoi vivre. Mais là, j'ai été obligé de licencier des gens. Et licencier les gens quand ils ont bien travaillé... Qu'on me vire parce ça ne marche pas, parce que je fais mal mon travail, parce que j'ai mis dans mes émissions des choses indignes, OK ! Mais franchement, les numéros du "Cabaret" qui sont passés sont tout sauf indignes ! "Le cabaret", l'air de rien, ça a relancé les cirques, les magiciens, que tout le monde trouvait ringards à l'époque. C'est une émission qui est une référence mondiale ! C'est l'émission française la plus regardée sur TV5. Et à côté de ça, il y a plein d'émissions qui ne marchent pas et qui continuent quand même. C'est ça que je trouve injuste. Ça énerve mais par bonheur, j'ai tout le reste ! Vivre sans la télé, sans ces gens-là, ça ne va pas me manquer des masses...
Si on vous suit, la raison principale de votre éviction, c'est vous, ce que vous incarnez ?
C'est moi oui. Pendant quatre ans, d'entrée, on ne me voulait plus mais on ne pouvait pas me virer comme ça car ça aurait pu coûter cher et que ça se voyait. Mais petit à petit... Le but était de me faire disjoncter.
"Cyril Hanouna ne me drague pas"
Ce n'est pas tout simplement votre déclaration dans la presse qui a entraîné votre éviction de France 2 ?
Non, ça n'a rien changé du tout. J'ai juste dit à un journaliste qui me posait la question que si j'avais la même chose ou moins en termes d'émissions, je ne resterais pas. Je ne suis pas allé voir la chaîne en leur disant : "Si je n'ai pas la même chose, je ne reste pas !". Avec ce que je viens de vivre, pour que je refasse de la télé, il va franchement falloir soit me payer très cher, soit ne pas me payer du tout ! Je vais aller faire des émissions chez des potes, pour m'amuser. Je suis juste emmerdé par rapport à ma boîte. Je vais faire de la production je pense. Mais ce qu'est devenu ce milieu ne me plaît pas. Moi, je suis dans l'humain. Quand j'ai enregistré l'avant-dernière des "Années bonheur", on avait des danseurs, des musiciens, tout ça. Je ne fais pas cela à l'économie. Je ne veux pas faire l'usine. J'adore Cyril (Hanouna, ndlr), mais c'est une usine à faire des émissions. Ça ne coûte pas cher et ça rapporte.
Cyril Hanouna vous drague d'ailleurs pour aller sur C8 ?
Il ne me drague pas, Cyril. Nous sommes copains. Il y a des choses que j'ai envie de faire et des choses que je n'ai pas envie de faire. En revanche, j'ai vu Stéphane Courbit qui n'a pas oublié que, lorsqu'ils ont été viré de TF1 avec Arthur, je l'ai accueilli dans mes bureaux. Je sais que je peux compter sur eux et ils savent que je ne ferai pas n'importe quoi. Dans les gens qui m'ont appelé tout de suite après mon éviction, il y a Arthur. Il n'y a pas un mec de France 2 qui l'a fait ! (Rires)
Après votre éviction, des animateurs de France 2 vous ont appelé ?
Non, je n'ai pas d'amis dans ce milieu. Je ne peux pas en avoir. J'ai des bons copains : Thierry (Ardisson, ndlr), Cyril (Hanouna), Arthur, le mec d'en-face ! Moi je n'arrêtais pas d'échanger des messages avec Nonce Paolini (l'ex-patron de TF1, ndlr) à l'époque. Il me disait toujours "Je ne vais pas te prendre et je vais pas te faire de cadeau car tu nous fais chier tous les samedis" (Rires). Il y avait de vrais rapports. Moi, j'ai eu la chance de connaître TF1 avec des seigneurs. Je me suis engueulé avec Etienne Mougeotte et Patrick Le Lay, mais grave ! Mais tu avais en face de toi des vrais professionnels qui connaissaient le public et respectaient les gens.
"Il y a une censure qui n'existait pas avant en télé"
La télé s'est industrialisée et déshumanisée selon vous ?
Oui, totalement. Et puis il y a ce qu'il y a partout dans la société : les réseaux et les amitiés. Ce sont les réseaux qui commandent ce pays. C'est pour cela qu'il ne marche pas d'ailleurs. Pour qu'un pays marche, il faudrait qu'on mette les bonnes personnes aux bonnes places. Là, ce n'est pas le cas. Que ce soit dans la télé ou ailleurs, ce sont les copains...
En même temps, vous parlez au président de la République. On pourrait vous dire que vous avez aussi votre réseau...
Je n'ai aucun réseau car un réseau, c'est fait pour se rendre service. Moi, je me barre dans le Lot et je vis avec des gens normaux. C'est pour ça d'ailleurs que les présidents m'écoutent. Si tu viens voir les gens qui viennent me voir en spectacle, je peux te dire qu'elle est là la France profonde. Ce sont des gens qui n'ont pas la carte, qui n'aiment pas ce qu'on leur dit d'aimer.
Votre spectacle actuel s'intitule "Avant que j'oublie ! (ce que je n'ai jamais pu dire à la télé)". Qu'est-ce que vous n'avez jamais pu dire pendant toutes ces décennies à la télévision ?
Ce sont des choses que je ne peux pas dire à la télé pour deux raisons. Tout d'abord, il y a une censure qui n'existait pas avant.
Il y a une vraie censure à la télé pour vous ?
Ce n'est pas "pour moi". Je vais vous expliquer. Il y a des années à la télé, tu signais un contrat où il y avait marqué que tu avais la liberté éditoriale à condition de ne pas troubler l'ordre public, ce qui est la moindre des choses. Jusqu'au moment où il y a eu des dérapages un peu partout. Et quand on condamne une émission, on ne condamne pas le mec qui fait l'émission, mais le diffuseur. C'est donc le patron de la chaîne qui prend en premier. Ce qui fait que ces mecs-là ont pris des précautions. Moi, j'ai deux personnes dans chacune de mes émissions qui prennent des notes et me coupent des séquences. Je pense d'ailleurs que je ferai un jour un best-of des séquences coupées ! (rires)
"Je vais essayer de produire des films et des téléfilms"
Vous avez des exemples de séquences coupées ?
Pour le réveillon par exemple, ils m'ont coupé le numéro d'une Américaine qui était très drôle. Tu envoies ta bande à la chaîne et ils te disent : "Ca on ne veut pas, ça non plus". Ça s'appelle de la censure. Et tu finis par te censurer toi même d'ailleurs au passage. Même dans mon spectacle, qui est pourtant passé le soir du réveillon à 2h du matin sur France 2 - et qui a quand même fait 700.000 téléspectateurs - une chanson intitulée "Natacha" que je faisais sur scène avec une danseuse a été coupée. Ce spectacle, je l'ai pourtant joué devant 25.000 spectateurs ! Il y a donc une censure réelle. J'ai vu Laurent Ruquier faire le titre du "Parisien" en disant que la télé n'avait jamais été aussi libre. Mon dieu ! (Rires) Ce n'est pas vrai. Il y a des choses que je fais sur scène aujourd'hui que je ne pourrais pas dire à la télé. J'ai par exemple une chanson sur la perpétuité réelle qui m'est venue d'une rencontre avec un type dont la fille avait été assassinée par un récidiviste. Le type me disait : "Je ne suis pour la peine de mort mais je ne veux pas que le mec sorte". Si je dis ça à la télé, ils vont me dire que je suis populiste...
Quelle est la deuxième raison qui fait que vous n'avez pas pu dire à la télé ce que vous dites maintenant sur scène ?
Ce sont des choses trop intimes. Je ne les dis pas à la télé parce que ce n'est pas l'endroit. Je dis des choses sur moi, sur mon enfance, qui sont pour un public qui vient pour toi. Ça me plaît vraiment. Je peux dire ce que je veux. Je prends mon pied. Je suis dans l'écriture. D'ailleurs, il y a une pièce que j'ai écrite il y a trois ans intitulée "Le sommelier" qui est jouée par Philippe Chevalier et Didier Gustin en ce moment. Ils font un carton, mon pote ! Ils font 60 dates. Ils sont plein tous les soirs. Il y a des listes d'attente. Je suis content. J'en écris d'autres. Et puis je vais essayer de produire des films et des téléfilms. Les téléfilms, on a là aussi décidé de ne plus nous en faire faire alors que ça marchait bien.