Interview
Pierre Croce : "Je n'imaginais pas du tout faire cette carrière de youtubeur"
Publié le 19 novembre 2021 à 15:46
Par Florian Guadalupe | Journaliste
Passionné de sport, de politique et des nouveaux médias, Florian Guadalupe est journaliste pour Puremédias depuis octobre 2015. Ses goûts pour le petit écran sont très divers, de "Quelle époque" à "L'heure des pros", en passant par "C ce soir", "Koh-Lanta", "L'équipe du soir" et "La France a un incroyable talent".
Le vidéaste de 35 ans, patron de l'écurie de youtubeurs Maison grise, a accordé un entretien à puremedias.com.
Publicité tournée avec plusieurs youtubeurs. © Laura Gilli
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Du Youtube Game au livre, il n'y a qu'un pas. Pierre Croce, ancien homme de scène et désormais vidéaste, à la tête de la société de production Maison grise, publie son tout premier ouvrage, "40 jeux à faire en soirée", aux éditions First. Pour en parler, le youtubeur aux 4 millions d'abonnés a donné rendez-vous mercredi 17 novembre, en début de matinée, à puremedias.com, à Paris. Un entretien accordé juste avant de débuter le tournage matinal d'une vidéo reposant sur un jeu d'alcool ! L'occasion de revenir avec Pierre Croce sur son parcours atypique, de ses débuts sur NRJ 12 en 2006 à "On n'demande qu'à en rire" sur France 2 en 2014, avant de devenir un youtubeur respecté et désormais un producteur ambitieux.

Propos recueillis par Florian Guadalupe.

puremedias.com : Pourquoi sortir un livre ?
Pierre Croce
: J'ai fait pas mal de vidéos où j'ai inventé des petits jeux, notamment des jeux dits "de soirée". Pas forcément des jeux à boire. Lors du tournage d'une vidéo, quelqu'un m'a dit : "Tu en as fait tellement que tu pourrais en faire un livre". Au début, je répondais de manière humoristique : "Un jour, j'en ferai un livre. Il y aura 51 jeux". 51 en référence au nombre sacré (sourire). Au final, l'idée a commencé à mûrir plus sérieusement. J'avais commencé à accumuler pas mal de petits jeux, à travers mes vidéos et mes lives. J'ai alors contacté First, l'éditeur qui travaille notamment avec Fabien Olicard (mentaliste et youtubeur, ndlr). Ca s'est fait assez naturellement. Il n'y a pas eu de grosses discussions sur l'envie de faire le livre. Ensuite, ce n'était que moi et les jeux. Donc, j'ai travaillé seul de mon côté, pour en avoir 40 au final. (rires) Bon, 39 en réalité.

Le livre, ce n'est pas forcément un support sur lequel votre public vous attend.
Oui (rires). Maintenant, ce qu'on peut se dire, c'est que je suis écrivain (rires). Ca me faisait rigoler que ce soit un livre alors que c'est plutôt un support de jeux de soirées. Ca aurait pu être une boîte de jeux. C'est marrant d'être dans le milieu du bouquin, alors qu'a priori, rien ne m'amène à faire un livre, parce que je ne suis pas du tout apte à en écrire un. Là, je me suis dit que c'était faisable.

De quoi vous êtes-vous inspiré pour créer chaque jeu ?
Certains avaient été pensés pour mes vidéos. Donc, il fallait que ce soit assez "vidéogénique". En général, ce sont des concepts à quatre, deux contre deux. Ca se prête déjà à la soirée. J'ai essayé de penser à comment on peut s'amuser à quatre. Comment fait-on pour avoir vite un gagnant et vite un enjeu ? Il faut aussi rapidement de l'énergie. Comment faire en sorte pour qu'au bout de deux minutes de jeu, il y ait de la joie ou de la haine quand on perd ? C'était plutôt ça la mécanique. Puis, pour le reste, j'ai regardé les jeux qui se faisaient déjà. J'ai essayé de remixer des choses pour dire que c'était moi qui les avais inventées. Mais c'est vrai que c'est aussi beaucoup d'historiques de soirées. (rires)

Couverture du livre "40 jeux à faire en soirée" de Pierre Croce © First Editions

A qui s'adresse ce livre ?
A tous les fans de littérature notamment (sourire). C'est plutôt un public étudiant. C'est le livre que tu achètes en début de week-end, quand tu pars avec quatre ou cinq potes. Derrière ce livre, il y aussi beaucoup de moments liés au confinement.

"J'ai eu cette chance de ne pas avoir eu besoin de faire 20 vidéos pour me faire connaître sur Youtube." Pierre Croce

Il y a quelques jours, vous avez sorti une vidéo de vos débuts, à tout juste 20 ans, à la télévision sur NRJ 12. Est-ce que le Pierre Croce de l'époque aurait pu imaginer le Pierre Croce d'aujourd'hui ?
Imaginer ? Non. A l'époque, le métier de youtubeur n'existait pas, on ne le connaissait pas, contrairement aux ados et jeunes adultes d'aujourd'hui qui savent que Youtube existe. Beaucoup en rêvent. Moi, je voulais être dans les médias mais je n'imaginais pas du tout faire cette carrière. Je voulais déjà en revanche une carrière surprenante comme celle que j'ai. Donc, si le Pierre Croce de l'époque l'avait su, ça l'aurait rassuré.

En 2011, vous êtes "responsable des contenus humour" de Dailymotion. Aviez-vous déjà senti il y a dix ans le potentiel des plateformes de vidéos ?
Même avant ! Mon apparition sur NRJ 12, c'était en 2006. Mais dès 2008, le métier de youtubeur commence à exister. Rémi Gaillard commençait à faire ses sketchs. Il a fait les premières vidéos sponsorisées. A ce moment, je m'étais dit que je voulais faire ça. A Dailymotion, je me suis convaincu de monter mon truc qu'on n'appelait pas encore "une chaîne". Je voulais m'y connaître en ça. Je sentais qu'on était la première génération et qu'il fallait s'y mettre dès le début.

En 2013, vous mettez en ligne votre première vidéo sur Youtube, "Rompre à l'aide d'un powerpoint". En parallèle, vous êtes humoriste et vous vous produisez en spectacle. Pourquoi avoir fait le choix de poster ce sketch ?
Ma première vidéo visait tout simplement à faire la publicité de mon spectacle. J'avais déjà posté des contenus sur internet, mais c'était très amateur. C'était ma première vidéo avec une vraie exigence. Je m'attendais à faire 50.000 vues. Je l'avais partagée à tous mes potes et je leur avais demandé de la partager. Finalement, elle a fait 1 million de vues en un mois ! Et ça a eu un impact incroyable sur mon spectacle ! Le jeudi suivant, il y a eu trop de monde devant la salle - je précise quand même que l'entrée était gratuite (rires). Le gérant de la salle m'a demandé ce qu'on faisait de tous ces gens. J'ai eu cette chance de ne pas avoir eu besoin de faire 10 ou 20 vidéos pour me faire connaître sur Youtube.

"'On n'demande qu'à en rire' m'a apporté de l'expérience et surtout, l'envie de ne pas faire de télévision". Pierre Croce

Un autre public vous a ensuite découvert, c'est celui de France 2. Vous avez participé à "On n'demande qu'à en rire" en 2014, alors présenté par Bruno Guillon. Avec le recul aujourd'hui, qu'avez-vous retenu de cette expérience ?
A titre personnel, ça ne m'a pas apporté grand chose. C'était la fin de vie de l'émission qui n'avait plus du tout les mêmes audiences qu'au début. C'était une saison de quelques épisodes tournée en urgence après l'échec de "L'émission pour tous". Ca ne m'avait pas non plus rapporté un gros public en spectacle. En revanche, ça m'a apporté de l'expérience et surtout, l'envie de ne pas faire de télévision. Il y avait eu toute une histoire avec un membre du jury qui ne m'aimait pas. Il disait que mon concept de "powerpoint" n'allait pas, que ce n'était pas moi qui faisait des blagues, mais mon écran. Il ne comprenait pas vraiment le concept de mes sketchs à l'époque. Assez vite, je me suis retrouvé à ne pas savoir quoi lui répondre. Si je lui avais répondu, est-ce que j'aurais été insolent ? Est-ce je me la pétais si j'avais dit : "Si, c'est drôle ce que j'ai fait !" ? C'est difficile de savoir quoi répondre à quelqu'un qui te dit que tu n'es pas drôle... En sortant de cette émission, je me suis dit que je préférais contrôler mon média et maîtriser mon public. C'est le vrai enseignement que j'ai tiré de cette participation à "On n'demande qu'à en rire" : de ne pas être dépendant d'un média.

Pierre Croce dans "On n'demande qu'à en rire" sur France 2" © France 2

En 2016, votre chaîne bascule dans une autre dimension lorsque vous réalisez le défi de mettre en ligne une vidéo par jour pendant un mois. D'où est venue cette idée ?
De deux choses : un documentaire sur Lil Wayne et un youtubeur américain. Je m'explique. En 2015, je faisais principalement des vidéos sur Facebook. J'en faisais une par semaine. J'avais arrêté de travailler à côté. Je me dédiais à ça et à la scène. Mon spectacle était écrit. Je n'avais plus besoin de passer du temps sur l'écriture de mon one-man-show. En tant qu'artiste, j'ai toujours détesté ne rien faire la journée. Ma façon de décompresser de la scène était de faire mille choses. Je voulais apprendre à monter et à être rapide. J'arrivais déjà à faire une vidéo par semaine. Puis, j'ai vu un documentaire sur Lil Wayne. Dans ce doc, tous les soirs, pendant sa tournée aux Etats-Unis, il rentrait dans son bus pour enregistrer des sons, peu importe s'il les sortait ou non. Si un mec comme ça, qui est sur-sollicité, arrive à trouver une heure ou deux pour bosser, je me suis dit que je n'avais pas d'excuses pour ne pas tourner un contenu chaque jour. En parallèle, un youtubeur américain, Casey Neistat, a mis en ligne des vidéos tous les jours. Lui, ce n'était pas de la comédie. C'était un vlog quotidien. Il faisait de superbes vidéos avec un drone et des plans de coupe incroyables. On avait l'impression que c'était un court-métrage tous les jours. C'est comme ça que j'ai eu l'idée. Puis, j'ai challengé mon public. Je lui ai dit : "Le jour où vous êtes 300.000, je vous fais une vidéo par jour pendant un mois".

Contrairement à la nouvelle génération de youtubeurs, vous avez appris le métier sur le tas...
Je me suis inspiré des pionniers ! Cyprien et Norman étaient des personnes dont on s'inspirait. Il y avait aussi le Palmashow. J'ai le même âge qu'eux, mais je fais partie d'une génération qui est arrivée un peu plus tard sur Youtube. J'ai eu le temps de les observer. Sur la partie technique, j'ai appris tout seul. L'été 2015, je ne suis pas allé en vacances pour apprendre à tourner des vidéos. A la fin de l'été, je devais savoir monter. Les premières vidéos que je faisais, je les faisais monter par quelqu'un. Ca me coûtait 800 euros. C'était des monteurs qu'on trouvait en télévision ou en court-métrage. Ils avaient besoin de cachet et c'est normal. Moi, je n'avais pas les moyens. Je ne pouvais pas payer 800 euros à chaque fois que j'avais une idée, surtout si elle ne marchait finalement pas. Ca me coûtait trop cher.

"Quand on veut vraiment faire de Youtube son métier, il faut être dans l'entreprenariat" Pierre Croce

Depuis 2018, vous avez créé votre "PME" sur Youtube, avec Maison grise. Vous sentez-vous plus youtubeur ou patron d'entreprise aujourd'hui ?
Les deux. Assez vite, ça va ensemble. Aujourd'hui, Maison grise est devenue une vraie société... avec des CDI ! Ca, c'est fort ! Dès que vous êtes sollicité par des marques et des partenariats, il faut avoir une structure. Les jeunes youtubeurs qui marchent rapidement n'ont pas toujours le temps de gérer cet aspect-là et de se faire représenter. Il y a un moment où ça coince. Rapidement, j'ai compris que si je n'avais pas une structure, je ne serais pas efficace. Je ne peux pas répondre à 200 mails par jour quand je dois produire mes vidéos. Dès 2016, j'avais déjà monté une petite entreprise. Elle tournait principalement autour de mes vidéos, mais c'est toujours allé de pair. Quand on veut vraiment faire de Youtube son métier, il faut être dans l'entreprenariat. Il faut prendre son projet en main.

Existe-t-il une rude concurrence avec les autres entreprises françaises dédiées à Youtube ?
La concurrence avec les autres "networks de youtubeurs" est surtout forte sur les aspects les moins visibles, c'est-à-dire le business et la relation avec les marques qui sponsorisent les vidéos Youtube. Et encore, je trouve que personnellement, entre Maison grise et les autres, c'est plutôt sain. Parfois, on se passe des coups de fil de politesse. Ca deviendra certainement un jour un business un peu plus de requins. Peut-être... Mais pour l'instant, dans notre sphère, il y a un bon esprit. Concernant les contenus, j'ai arrêté de me sentir en concurrence. A une époque, je prenais à coeur le fait que d'autres personnes reprenaient mes concepts. Maintenant, je me dis que s'ils les reprennent, c'est que j'inspire. Et inversement.

Le principal modèle économique des youtubeurs repose sur le placement de produits. Comment choisissez-vous les marques avec lesquelles vous collaborez ?
Ce sont elles qui nous choisissent ! (rires) 90% du métier aujourd'hui, ce sont des marques qui nous contactent pour nous dire : "On a une campagne qui va de telle date à telle date. On aimerait sortir une vidéo sur cette période-là. Est-ce que tu as un truc qui va avec ?". Sur mon ordinateur, j'ai toujours un fichier avec une vingtaine d'idées. Quand une marque me contacte, je regarde s'il y a un concept qui peut correspondre. Ensuite, il arrive que la marque nous demande de réfléchir à une idée avec elle, autour du produit ou de la marque. Si on sent qu'ils sont ouverts à la discussion, je travaille un concept avec eux. J'aime bien ce processus. Je trouve intéressant d'être challengé d'un point de vue créatif. J'essaye alors de trouver des compromis car je ne veux pas forcément toujours suivre leurs idées.

"D'habitude, les gens sont plutôt hostiles aux nouveaux visages sur Youtube". Pierre Croce

Il y a une autre figure à Maison grise que les internautes voient souvent dans vos vidéos, c'est Benjamin Verrecchia. Il vient aussi de la scène. Comment s'est créé ce duo ?
On faisait un peu de scène ensemble. Un jour, un pote en commun nous a proposé d'aller en vacances ensemble au Portugal. J'y suis allé. Il y avait ce fameux Benjamin Verrecchia qui partait aussi. On a passé des soirées entières à rigoler jusqu'à 2h du matin. Pendant mes vacances, je lui ai dit qu'il devrait essayer un jour de faire des vidéos. On avait ensuite un peu laissé tomber l'idée jusqu'au moment où je me suis décidé à lancer des youtubeurs. Je l'ai alors recontacté : "Ouais, on s'est bien marrés au Portugal. Viens, on essaye de faire un vrai truc". Je l'ai invité dans une de mes vidéos et cela a tout de suite fonctionné. D'habitude, les gens sont plutôt hostiles aux nouveaux visages car Youtube, c'est un peu comme une famille : une nouvelle tête met du temps à s'installer. Mais là, il a été tout de suite accepté. Je lisais des commentaires : "Benjamin, faut qu'il revienne, c'est vraiment bien quand il est là". C'était rassurant. Aujourd'hui, on ne cesse de s'inviter sur nos chaînes respectives.

Pierre Croce et Benjamin Verrecchia © Laura Gilli

Parmi les jeunes talents que vous avez ensuite lancés, il y a Lucas Studio, Camille LV, Petit Voyou... Maison grise, c'est une écurie ?
Je ne le vois pas comme un collectif de youtubeurs. Je ne veux pas vendre au public que nous sommes une bande de potes qui s'entend super bien. C'est plutôt comme un label de musique. Nous sommes des artistes partageant une même maison, et qui travaillent ensemble. S'ils doivent un jour partir, ils le peuvent. Aujourd'hui, nous sommes tous dans le divertissement sauf Petit Voyou, qui fait de la musique. Mais si demain, nous avons un youtubeur qui fait des contenus historiques, nous le ferons. Ce sera au coup de coeur et à l'humain.

Des youtubeurs plus connus comme Morgan VS interviennent souvent dans vos vidéos. Leur avez-vous déjà proposé de rejoindre Maison grise ?
Morgan est aujourd'hui l'un de mes meilleurs potes sur Youtube. S'il rejoignait Maison grise, ce serait super ! Mais il a envie de créer sa propre structure avec son frère. En revanche, nous travaillons ensemble sur certains sujets comme les deals avec les marques.

Est-il vrai que vous avez failli recruter dans Maison grise le duo McFly et Carlito ?
Oui et non (rires). C'est une histoire que même eux enjolivent ! J'ai peut-être été une petite étincelle au début, en leur disant : "Faites des vidéos, les gars ! Vous êtes trop bons !". Quand on a vraiment commencé à discuter de travailler ensemble, je commençais tout juste à embaucher, à prendre des bureaux. Eux, ils étaient au début de leur chaîne. Ils avaient besoin d'un matelas financier parce qu'ils avaient chacun des familles. C'était dur pour eux d'aller dans une structure nouvelle et totalement indépendante, où la seule rentrée d'argent était la chaîne de Pierre Croce (rires). Ni eux, ni moi, n'étions rassurés. Très vite, ça a été plutôt amical et dans le conseil artistique.

"Sincèrement, je ne pensais pas que la vidéo 'Une nuit dans une maison de jardin' marcherait autant". Pierre Croce

Comment se déroule le processus de créations des vidéo Maison grise ?
Dans Maison grise, tous les talents viennent avec leurs idées. Moi, je les vois tous les lundis. Je les rencontre individuellement pour faire un point sur le développement des projets. Je mène en parallèle un travail de veille sur ce qui se fait sur Youtube ou ailleurs, que ce soit de la comédie ou des choses plus sérieuses. J'essaye de voir comment le remixer à ma sauce et de manière divertissante. La série des "nuits" (Pierre Croce et Benjamin Verrecchia dorment dans des lieux improbables, ndlr) est par exemple née d'une série de Netflix que je regardais. C'était sur les "tiny house", des petites maisons. Aux Etats-Unis, des gens quittent leur énorme baraque pour vivre dans un logement de la taille d'une caravane. Je trouvais ça intéressant. En réfléchissant, j'ai trouvé l'idée de passer une nuit dans une maison de jardin pour enfants. Le concept était de se mettre en compétition avec Benjamin afin de savoir qui aurait une couverture, un matelas et d'autres objets. Sincèrement, je ne pensais pas que la vidéo marcherait autant. Elle a fait plus de 7 millions de vues, alors qu'on était dans notre propre jardin. Ce n'était pas un lieu exceptionnel. Je ne sais pas comment l'expliquer (rires).

Il y a un concept que vous avez lancé sur votre chaîne, avant qu'il n'apparaisse à la télévision : la course de billes. Sur TF1, le programme, "Marble Mania", avait été présenté par Camille Combal, avec Yoann Riou.
Ce concept vient des Etats-Unis. J'ai vu les Américains le faire. Ils le faisaient tous hyper sérieusement. Je trouvais ça un peu ridicule, mais drôle. C'était commenté comme un match de football ou une course de cyclisme. Je me suis dit qu'il fallait le faire au second degré en parodiant le format américain. On a commencé à le reprendre, en faisant parler les billes et en faisant des jeux de mots sur elles. La course était un prétexte. Je n'ai rien inventé et je n'ai pas vu ce qu'avait fait Camille Combal.

"Ce n'est pas de la télévision à bas coûts, c'est du contenu à bas coûts" Pierre Croce

Que répondez-vous à ceux qui estiment que Youtube fait de la télévision low-cost ?
Ce n'est pas de la télévision à bas coûts, c'est du contenu à bas coûts. C'est comme dire que le rap est de la musique à bas coûts. Oui, le vrai rap, à la base, était fait par des gens dans la rue qui faisaient du freestyle et qui n'avaient pas de moyens. Puis il s'est vite professionnalisé. C'est pareil avec Youtube. Quand nous avons commencé, nous n'avions pas d'autres choix que de tourner avec peu de moyens. A part les chaînes financées par des producteurs - et qui se sont vite cassées la gueule -, le vrai contenu de Youtube vient d'un modèle à bas coûts. Nous tournons parfois encore nos vidéos avec des bouts de ficelle, des personnes qui travaillent en auto-entrepreneurs, des bénévoles. Nous nous invitons entre youtubeurs et sommes, entre guillemets, des comédiens gratos. Quand je tourne mon format "Le jeu de la scolarité", mon plateau, c'est : mon studio, quatre pupitres IKEA, deux lumières à 200 euros et deux caméras. Donc oui, ce n'est évidemment pas encore le même modèle économique que la télévision. Mais nous nous en rapprochons parfois. Aujourd'hui, nous avons fait grandir nos chaînes et nous arrivons à produire des vidéos à plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Peut-on encore percer aujourd'hui sur Youtube ?
Oui, on peut percer. Il est vrai qu'aujourd'hui, le raccourci facile est de s'associer avec des gros youtubeurs et de montrer son visage rapidement au plus de gens possible. C'est comme en musique. Un label qui va signer un talent va essayer de le placer aux côtés de ses gros artistes pour qu'il marche plus vite. En revanche, on n'empêchera jamais un artiste très talentueux de réussir s'il n'est pas dans un label. Sur Youtube, c'est pareil. Un vidéaste qui a du talent ne sera pas caché des années et des années. Internet est trop vif et trop généreux de montrer des personnes talentueuses. Si quelqu'un est fort, il a une carte à jouer.

"Le meilleur moyen d'effacer cette pression était pour moi de publier régulièrement." Pierre Croce

Sur la plateforme, avez-vous une pression de devoir mettre en ligne régulièrement des vidéos ?
Non, pas forcément. Je pense que la pression vient de nous-mêmes. C'est psychologique. Des personnes vont être sûres de leurs contenus et peuvent mettre trois mois à le faire. Et ça va leur correspondre. Moi, je fais partie des gens qui n'ont pas voulu se mettre cette pression-là. De se dire que j'ai travaillé pendant trois mois pour au final voir ma vidéo ne pas marcher. Quand j'ai commencé, je publiais une vidéo tous les mois. Je vivais très mal l'échec d'une vidéo. Le meilleur moyen d'effacer cette pression était pour moi de publier régulièrement.

Visuels extraits du livre "40 jeux à faire en soirée" © First éditions

Avez-vous une addiction aux chiffres, au nombre de likes, de partages, de vues ?
Je l'avais un peu au début. Beaucoup moins maintenant. Je sens que les créateurs en début de carrière avec qui je travaille sont souvent à fond sur leurs chiffres. D'autres sont un peu plus éloignés de ça. Chacun a ses chiffres-clés en tête. Certains vont se focaliser sur le nombre de vues par vidéo. D'autres vont regarder uniquement le nombre d'abonnés ou l'argent. Au début, je regardais vraiment tout. Je voulais analyser et comprendre mon contenu par les chiffres. J'ai abandonné avec le temps. C'est se faire plus de mal qu'autre chose.

N'avez-vous pas de lassitude après toutes ces années à faire des vidéos ?
Il y en a quand tu tournes en rond. Quand tu fais une série, tu te dis : "D'accord, j'ai fait le taff, j'ai une nouvelle fois ce contenu". Moi, je le ressens sur des concepts où je me dis : "Là, vraiment, on a fait le tour". Je l'arrête alors. C'est ma façon de ne pas me lasser. Il faut savoir arrêter assez net des séries de vidéos et commencer des projets plus ambitieux. Par exemple, les billes ne marchaient pas trop en terme de vues, mais je me suis marré à le faire. Ca m'a relancé moralement. C'est pour ça que je suis Youtubeur. C'est pour faire des contenus qui me font marrer.

"Si la télévision me donne carte blanche, pourquoi pas !" Pierre Croce

Accepteriez-vous de réaliser un divertissement à la télévision à l'instar de McFly et Carlito ou Lolywood ?
Je pourrais si cela reste une fenêtre de visibilité pour notre travail et pas l'inverse. Si une chaîne de télé me demande de présenter un concept qu'elle a elle-même imaginé, je ne crois pas que je le ferais car je deviendrais alors un simple animateur, ce que je suis déjà sur ma chaîne Youtube. Mais s'ils me donnent carte blanche, pourquoi pas ! Parfois, la télévision peut maltraiter Youtube, mais Youtube s'est aussi fermé à se montrer à la télévision et sur d'autres médias. Je suis persuadé par exemple que la vidéo "Une nuit sur un fil" (Pierre Croce et Benjamin Verrecchia ont passé une nuit suspendu dans le vide par un fil, ndlr) pourrait marcher à la télévision. Même quelqu'un de 55 ans, qui n'y connaît rien à Youtube, pourrait se marrer en voyant un mec déguisé en Yéti glisser sur un fil pour dormir entre deux montagnes.

Pourquoi ne pas l'avoir proposée à la télévision ?
Nous travaillons selon des schémas de production qui ne sont pas les mêmes qu'en télévision. A chaque fois que je me suis intéressé à la télévision, j'ai trouvé ça très dur. Avant d'accéder à un contenu diffusé sur ce média, il y a trop d'étapes et d'intermédiaires. Si je veux produire une vidéo sur internet, je peux la sortir en seulement deux mois, avec des moyens trouvés via des sponsors.

"Si les youtubeurs étaient invités pour se marrer en plateau, ils seraient contents de venir" Pierre Croce

Comment expliquer les relations parfois tendues entre les youtubeurs et les médias ?
J'ai un point de vue neutre sur cette question car j'aime beaucoup la télévision. Je suis un "enfant de la télé", pour reprendre une vieille expression. J'ai grandi avec Arthur, Ardisson, Cauet... J'adore ces gens-là. En télévision, il y a parfois ce sentiment de remise en question de la légitimité du youtubeur, ce qui nous met un peu sur la défensive. Ensuite, les youtubeurs n'ont pas l'expérience des plateaux télé qu'ont d'autres invités. Soit ils se ferment un peu et il y a l'impression que le youtubeur n'est pas sympa. Soit ils vont répondre mais ne pas forcément maîtriser leur façon de répondre. Pour citer un exemple, quand Squeezie s'est rendu chez Thierry Ardisson (dans "Salut les terriens !" en 2017, ndlr), l'animateur l'a beaucoup interrogé sur sa légitimité. De son côté, Squeezie a été plutôt neutre, il a essayé de répondre sympathiquement, mais il n'était pas venu faire son taff de divertissement. Il était plus sur un taff de devoir se défendre. C'est un peu dommage. Je me rappelle de plateaux avec Eric et Ramzy et Michaël Youn. Les mecs ne venaient pas défendre leur légitimité. Ils venaient se marrer sur un plateau. Si les youtubeurs étaient aussi invités pour ça, ils seraient contents de le faire. Si McFly et Carlito sont invités sur un plateau et peuvent être aussi marrants qu'en vidéo, ils seront très satisfaits de cette expérience et donneront une bonne image du métier. C'est notre métier de divertir.

Après la sortie de votre livre, quel est votre prochain défi ?
J'aimerais bien surprendre encore plus à travers un ouvrage. Là, j'ai fait quelque chose qui est dans mon ADN. Pourquoi pas un jour écrire un livre qui n'est pas forcément de la comédie, avec une histoire plus sérieuse. Je l'ai en tête. Je le ferai peut-être sous un pseudonyme. Comme ça, personne ne le saura (sourire). J'ai moins d'enjeux économiques avec le support du livre car ce n'est pas dans l'économie de Maison grise. C'est un vrai terrain de jeu.

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