- "Attendez, vous allez vous marrer. Salto ! Dis-moi, t'as quoi en stock genre ?"
- "Je proposerais peut-être 'Capitaine Marleau'...".
Tiré de la dernière vidéo de Cyprien*, ce dialogue fictif a déjà été vu près de 5 millions de fois en deux semaines. Dans la séquence, baptisée "Le clash des plateformes", le célèbre youtubeur incarne tour à tour les principaux services de vidéo à la demande disponibles en France. On y retrouve les géants américains que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou Youtube, mêlés aux plus modestes plateformes françaises comme OCS, MyCANAL et surtout Salto.
Si tous sont moqués, le service lancé il y a tout juste un an par les groupes TF1, France Télévisions et M6, est indéniablement le plus méprisé. Reproche principal : la faiblesse de son catalogue qui se résumerait à un robinet à programmes télé déjà bien essorés.
Il est vrai que c'est là le talon d'Achille de Salto depuis son lancement en octobre 2020. Si le "Netflix français" a bien tenté quelques coups éditoriaux, en proposant l'émission des retrouvailles des acteurs de "Friends" en mai, la collection intégrale des James Bond en septembre, ou prochainement le reboot de "Sex and the City", ils ne semblent pas avoir été encore suffisants pour exister sur le marché ultra-concurrentiel des contenus. Très anglo-saxonnes, ces acquisitions brouillent aussi quelque peu le message d'une Salto jouant à fond la carte du local dans ses campagnes de communication.
Difficile d'en vouloir aux dirigeants de Salto, dont le budget de quelques dizaines de millions d'euros par an annihile la capacité de production de programmes inédits hexagonaux. Les moyens alloués à Salto sont ainsi à des années-lumière des offres structurant le marché SVOD en France. Netflix aura investi en 2021 près de 17 milliards de dollars dans ses contenus, quand Disney+ pourra s'appuyer en 2022 sur une dépense de sa maison-mère d'environ 30 milliards de dollars.
Face à cette déferlante, la "plateforme française de divertissement" n'a d'autres choix que de s'appuyer principalement sur les catalogues de ses fondateurs, au risque de résumer sa valeur ajoutée à celle d'un agrégateur payant de programmes télé gratuits, disponibles en preview et en replay pour sept euros par mois. Pas le meilleur argument pour faire parler de soi auprès d'un jeune public, qui a justement délaissé le petit écran pour consommer des contenus spécialement conçus pour lui sur les plateformes.
A cette position historiquement fragile dans "la bataille des contenus", viennent s'ajouter, pour Salto, de nouveaux enjeux de gouvernance. Malgré un soutien affiché, la plateforme voit ses propres actionnaires faire de plus en plus cavaliers seuls sur le non-linéaire. En octobre dernier, TF1 a ainsi annoncé le lancement de MyTF1 MAX, une offre de SVOD proposant du replay sans publicité en échange d'un abonnement de quelques euros par mois. Tandis que France Télévisions continue d'investir massivement dans son portail France.tv, M6 entend aussi muscler 6play, sa plateforme maison qu'elle veut transformer en service d'AVOD (Advertising Video on Demand) doté de programmes inédits.
La fusion TF1-M6 pose enfin la question de l'avenir de l'alliance tripartite actée en 2020. Dans une interview au "Figaro" cette semaine, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, ne cache plus son intention de revendre ses parts dans Salto en cas de rapprochement entre ses deux concurrents privés. "L'équipe de France de l'audiovisuel" invoquée en 2017 semble avoir vécu...
La patronne de France Télé entend désormais "concentrer (ses) efforts sur france.tv" et fonder "un grand portail commun à tout l'audiovisuel public". Que deviendrait alors Salto sans le soutien d'un groupe investissant à lui seul 2 milliards d'euros par an dans les programmes ?
Alors que les nuages s'amoncellent, Salto se mure pour l'instant dans le silence. Son premier anniversaire a ainsi été célébré sans tambour ni trompette. Impossible par exemple de savoir combien d'abonnés durables a conquis la plateforme en un an. Selon "Les Echos", ils auraient été entre 350.0000 à 450.000 cet été. Aujourd'hui ? Mystère. "Salto va bien" a simplement rassuré Thomas Follin, son directeur général, sur BFM Business en septembre, refusant cependant de divulguer la moindre donnée pouvant étayer cette affirmation. "On ne communique pas sur les chiffres", a-t-il justifié. Pratique.
Contacté à plusieurs reprises par puremedias.com, Salto n'a pas souhaité faire de commentaire.
*Cyprien collabore avec Webedia, société éditrice de puremedias.com.