Timide, discret, loin du tonitruant provocateur qui officie chaque samedi dans "Salut les terriens" sur Canal + aux côtés de Thierry Ardisson. Stéphane Guillona accordé un long entretien à puremedias.com à l'occasion de la sortie du DVD de son spectacle qu'il a joué pendant quatre ans, "Liberté (très) surveillée". Il annonce une pause en 2012 et revient longuement sur le contenu de son livre racontant les coulisses de son éviction de France Inter.
On dit que votre spectacle évolue sans cesse, au gré de l'actualité. Celui que j'ai vu il y a deux ans n'est plus celui d'aujourd'hui ?
La partie revue de presse du spectacle évolue, les choses se démodent assez vite. Et c'est un tel bêtisier en face qu'ils nous donnent beaucoup de boulot. Aussi bien à droite qu'à gauche. La gauche se surpasse en ce moment d'ailleurs. Après, il y a beaucoup de sketchs intemporels qui représentent 80% du spectacle !
On vous parle souvent de l'aspect politique et moins du reste. Cela vous agace ?
C'est le jeu... Il vaut mieux avoir une identité que pas d'identité du tout. Parfois, c'est vrai qu'on me cantonne beaucoup à Sarko et DSK. Cette histoire a fait un tel buzz... On me parle aussi beaucoup de mon éviction de France Inter. Mais le spectacle est très loin de ce que les gens attendent. Ils en sortent quand même contents, cela me fait plaisir de les surprendre.
Vous êtes toujours en "liberté très surveillée" aujourd'hui, comme l'indique le titre de ce spectacle ?
Je l'étais évidemment à France Inter, c'est un titre que j'ai choisi pendant cette période. J'ai ajouté le "très" le jour où je me suis fait virer. Je pense que nous sommes beaucoup à être surveillés dans le sens où on a pu constater que des gens qui avaient une forte gueule ont été écartés. Des émissions ont été supprimées ou mises à des heures tardives pour décourager les téléspectateurs de les regarder. Naulleau et Zemmour sur Paris Première par exemple.
Oui mais ils continuent à s'exprimer...
Oui, c'est d'ailleurs le grand argument des présidents de chaînes : regardez ils s'expriment toujours ! Mais entre un Franz-Olivier Giesbert qui balançait sur France 2 le vendredi soir à 22h30 avec Nicolas Bedos et un un FOG qui est sur France 5 avec une émission de philosophie... Vous avez compris, la ficelle est grossière.
Liberté surveillée et censurée donc ?
Censuré, je l'ai été lors de mon eviction de France Inter. Aujourd'hui, je me bagarre pour ne pas l'être. A Canal +, j'ai une très grande liberté et sur scène une liberté totale. C'est moi qui, parfois, me met des barrières évidentes, celles de l'insulte ou de la diffamation. J'essaye de rire parfois des sujets les plus graves en ayant le souci de sous-tendre avec le rire pour que cela ne soit jamais gratuit. Mais j'affectionne parfois l'humour très noir pour le plaisir. "Je m'empresse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer" disait Beaumarchais. C'est très juste, la fonction de l'humoriste est de rire de sujets graves pour qu'ils deviennent plus supportables. On a besoin de rire pour supporter l'insupportable. On est dans une société où tout est formaté : il ne faut pas rire sur les religions, ne pas rire sur le physique. On vient de le voir, il ne faut surtout pas rire sur les accents. Il y a désormais des gens, des pisse-froids qui ont décrété qu'on ne pouvait pas rire de certaines choses. Que nous reste-t-il ? J'estime qu'on peut rire de tout. Il y a la manière, la forme, l'emballage.
Certains comme Nicolas Bedos estiment que l'impertinence à la télévision est de plus en plus rare...
Je ne suis pas d'accord avec cette analyse, Nicolas avait par exemple une très grande liberté. Une liberté qu'il a prise, il a osé la prendre ! Mais Nicolas avait d'autres propositions ailleurs, c'est lui qui a choisi de ne pas faire de télévision cette saison. On a une façon de rire aujourd'hui différente d'il y a vingt ans. Les tabous sont différents, les interdits le sont aussi mais des choses qu'on ne pouvait pas dire avant, on peut les balancer aujourd'hui.
Si en 2012 la gauche passe, vous vous retrouvez au chômage ?
Je n'ai pas peur car mon spectacle n'est pas que politique. Je prends les devants car je m'arrête en mai 2012. Cela fait quatre ans que je suis sur scène, j'ai moi aussi besoin de faire une pause, de me ressourcer ailleurs. Pour pouvoir dans deux ou trois ans revenir avec un autre spectacle. Je n'ai pas la prétention d'avoir quelque chose à dire de vital, chaque année, sur scène à un public. Je dois me faire oublier pour revenir et surprendre.
Les spectateurs qui viennent vous voir, ils font un acte militant ?
A aucun moment le spectacle ne verse dans un meeting. C'est l'erreur faite par Dieudonné, cesser d'être drôle pour faire des meetings, basculer.
Vous soutiendrez quelqu'un en 2012 ?
Bien sûr que non, je suis l'humoriste de tous les Français, il n'est pas question que je soutienne quelqu'un, je me ridiculiserais, je perdrais de ma force, de ma crédibilité. Je veux me donner la liberté si la gauche passe de taper sur elle, comme je l'ai fait avec la droite. Pourquoi les épargner eux ? Je n'ai absolument pas envie d'être un porte-parole. J'essaye de ne pas être partisan, de rester un humoriste apolitique même si j'ai une sensibilité de gauche.
Les salles de spectacles se videront le jour où la France ira mieux ?
Non, les gens ont toujours envie de rire. Rire est le propre de l'homme. Je ne vois pas pourquoi parce que les choses s'arrangeraient, pourquoi les gens n'auraient plus envie de rire d'un imitateur, d'un humoriste...
C'est l'analyse faite par les sociologues : quand la France va mal, les Français ont envie de rire. On le voit avec le succès du film "Intouchables".
Cela fait vingt ans que je fais ce métier, vingt ans qu'on nous dit que la France va mal, vingt ans que certains humoristes remplissent les salles. Il n'y a pas de recette miracle : Thierry Le Luron remplissait il y a trente ans, il remplirait aujourd'hui. Les gens qui ont du talent, ils remplissent les salles.
La radio vous manque aujourd'hui ?
Elle m'a manqué. Quand je voyais certains sujets, je me disais qu'il y avait un papier à faire. Je le faisais à ma femme, Muriel. Aujourd'hui, ça ne me manque plus, je suis passé à autre chose. Cette aventure a été tellement extraordinaire que si aujourd'hui je devais refaire de la radio, je ne ferais que moins bien.
Vous avez eu des propositions ?
Non... Si cela se présentait, je n'irais pas car je pense que je ferais une connerie. Un ami m'a dit une chose très juste : une énormité à France Inter sur le service public c'est une énormité. Une énormité sur une radio privée, ça a beaucoup moins d'impact. Ce qui était drôle, c'était de faire ça là-bas, à cette heure, avant l'invité : tout était réuni pour qu'il se passe quelque chose. Il y avait la dose de produits pour que ça puisse péter de temps en temps. Ce qui est, d'une certaine façon, la came des humoristes. On adore nous quand ça pète, c'est très rigolo, il y a un vrai plaisir dans cette provocation. Mais peu le reconnaissent, comme s'ils étaient gênés par ça. Je suis sûr que mon camarade Yann Barthès prend un plaisir fou tout d'un coup à mettre Laurent Joffrin en difficulté avec ses annonces à putes. Ou quand il trouve un bidonnage dans "Appels d'Urgences" avec Carole Rousseau sur TF1. Quand vous tenez ce genre de chose, c'est truculent pour l'humoriste, le provocateur, le journaliste. Donc il ne faut pas s'en cacher, ça fait partie de l'excitation du métier de foutre le bordel ! Il y a une dimension de sale gosse.
L'une des premières déflagrations, c'était votre chronique sur DSK, vous continuez à lire ce qu'on écrit sur lui ?
Non, à part ce papier dans Le Monde sur "ce que savait Nicolas Sarkozy" à ce sujet. Un article passionnant. Sinon, toute cette presse tabloïd anglaise qui nous dit que DSK préférait telle position du missionnaire à une autre, de la part de gens qui se sont tus pendant des années et qui aujourd'hui en font des tonnes pour vendre du papier, ça me débecte.
Vous préparez un livre sur France Inter. N'avez-vous pas tout dit, le moment n'est-il pas venu de tourner la page et de classer le dossier ?
Je n'ai rien dit. Ce qui m'a intéressé, c'est de le sortir maintenant, car on fait un bilan du quiquennat. J'ai pris beaucoup de temps pour l'écrire, je ne voulais pas qu'il soit à charge ou que cela soit un règlement de comptes. Je voulais que cela soit un livre drôle.
Vous avez pris des notes pendant vos années à Inter ?
Tout le temps ! J'ai eu très vite conscience qu'il se passait des choses extraordinaires. Quand vous êtes en interview, vous schématisez. Je me suis toujours amusé de la situation : le viré c'était moi. Et en tant que mis à la porte, c'est assez drôle de leur faire un bras d'honneur une fois de temps en temps. En plus je sais que ça les agace donc ça m'amuse.
C'est un livre pour donner un coup de grâce alors ?
Ce livre, c'est une histoire, un récit. Ce n'est pas un livre sur mon éviction, c'est sur l'histoire d'un mec qui va passer deux ans et demi dans une radio et qui va être viré pour les raisons pour lesquelles il avait été engagé. J'ai essayé de retranscrire toute cette histoire, toute cette ambiance d'une matinale, les rapports avec les gens, l'angoisse de la page blanche, l'arrivée au petit matin dans les studios, le nouveau directeur qui arrive, l'ancien qui part, les pressions, les déclarations dans la presse, les menaces. Et comment, à un moment donné, l'histoire va se resserrer.
Comme un thriller ?
Exactement, c'est tout à fait ça. Et surtout, chaque fois en citant mes sources, en datant. C'était pour moi capital de livrer un récit fidèle. On a appris beaucoup de choses depuis. Par exemple Véronique Brocard de Télérama raconte cette scène hallucinante où elle est dans le bureau de Jean-Paul Cluzel (ex-patron de Radio France, ndlr) où il a Claude Guéant au téléphone. Il apprend la nomination de Jean-Luc Hees, il le dit à cette journaliste, elle sort dans le couloir, passe quelques coups de téléphone à ses réseaux et on lui dit : non seulement il y a Hees mais il y a aussi Philippe Val et une liste de quatre noms. C'était LA condition de cette nomination : les départs de Didier Porte, Frédéric Pommier, Thomas Legrand et Stéphane Guillon.
Ils s'en sont toujours défendus...
Oui, on dit, ce n'est pas une éviction politique, ils l'ont cherché, c'était de l'injure inadmissible, on n'attaque pas ses patrons.... C'était intéressant de remettre en ordre toutes ces histoires. Car je me suis mis à attaquer mes patrons à partir du moment où ils me dézinguaient dans la presse ! Qu'un mec qui fait deux millions d'auditeurs puisse être dézingué par ses patrons dans les médias... Comment un patron qui vient d'être nommé peut dire "ce garçon me fait rire une fois sur deux" ? Je ne lui avais rien fait ! Est-ce qu'on imagine une entreprise où le PDG commencerait à taper sur le mec qui fait le plus de chiffre d'affaires dans sa boîte ? Mais les gens qui vont acheter ce livre, j'ai envie qu'ils se marrent ! Parce que l'histoire est drôle, finalement. On voit par exemple les comportements des gens... Ceux défendant la liberté d'expression dans leurs éditos mais qui sont les premiers à se barrer et à ne rien dire. Et d'autres, qui font les cafés à la station, ils vous soutiennent eux.
C'est la conclusion de votre histoire à Inter ?
Oui oui ! Je ne vais pas faire un film non plus ! Quoique... Ce livre m'a permis de passer à autre chose : j'ai tout dit dans ce livre.
La matinale de France Inter marche bien, c'est la plus écoutée de France. Je sais que vous n'êtes pas très copain avec Patrick Cohen mais est-ce que vous êtes content pour vos anciens camarades ?
Je suis content pour les gens de la rédaction, que je connais et qui font un travail formidable. Ils tiennent la boutique alors que certains en ont gros sur la patate. Ce sont eux qui sont l'âme de la station. Ils étaient là avant Hees et Val, ils seront là après. Et pour eux, je suis heureux. Daniel Mermet disait : "Hees et Val sont deux médiocres dans une vallée fertile". La vallée fertile, c'est Inter. Une maison magnifique avec une erreur de casting. Un jour France Inter redeviendra Inter.
Vous écoutez toujours la radio le matin ?
Non... Mais j'écoute "Le masque et la plume" le dimanche, c'est un grand moment de bonheur, j'adore cette émission.