De notre envoyé spécial à Monaco, Charles Decant
Chaque année, Monaco accueille le Festival de Télévision, rendez-vous où les stars de séries, les producteurs et les médias européens se retrouvent pendant quatre jours d'interviews et de rencontres. Fraîchement débarqué sur M6 à la rentrée dernière, Thomas Sotto y est aussi de passage. Le journaliste, révélé sur BFM TV, assure désormais la présentation de "Capital" et "Capital Terre" sur M6, deux émissions qu'il a fait évoluer et dont il dresse le bilan pour puremedias.com. L'interview est aussi l'occasion de revenir plus globalement sur les évolutions de l'information à la télé, l'explosion de BFM TV, mais aussi la crise de l'info à TF1. Entretien.
Quel bilan tirez-vous de votre première saison à la tête de "Capital" ?
Un bilan encore beaucoup plus enthousiasmant que je ne l'imaginais. Sincèrement. Parce que j'ai réussi à faire changer pas mal de choses je crois, il y a des émissions en extérieur qui ont très bien marché, on a recréé l'événement avec les émissions en direct avec les quatre principaux candidats à la présidentielle. Vraiment, ça va au delà de ce que j'espérais, dans le respect de ce qu'est "Capital", de l'ADN de l'émission. Les fidèles - les audiences le prouvent - n'ont pas été désorientés, n'ont pas été perdus, mais je pense qu'on a réussi à relever un pari avec Jean-Bernard Schmidt, qui est l'autre rédacteur et qui était déjà là avant.
Quel pari ?
De mélanger tradition et modernité, même si dit comme ça, c'est un peu déplaisant, mais d'allier les piliers, les fondamentaux de "Capital" avec ce que j'avais envie de mettre dedans. Et ce n'est qu'une première année, il y a encore beaucoup de choses à faire, je pense. On a reparlé de "Capital" cette année, je trouve.
Vous souhaitez aller encore plus loin ?
On peut toujours aller plus loin ! Le jour où je n'aurais plus envie d'aller plus loin il faudra que je change de métier, que je change d'émission... Des idées, j'en ai tout le temps ! J'ai envie de tester des choses ! J'ai hérité de mon passé sur BFM TV, qui était une petite chaîne où tout était possible, cette espèce de niaque permanente, même si le mot n'est pas joli. On m'a appris dans mon éducation professionnelle à essayer des choses. J'ai commencé sur les JT pour enfants, on essayait des choses, il n'y avait pas beaucoup de recul en France. Il y a eu l'aventure BFM, pendant six ans on a tenté sans cesse. On disait "Allez, ça, on essaye et on voit si ça marche". Alors bien sûr, sur une grande chaîne, c'est différent. C'est un peu plus compliqué, il faut convaincre un peu plus de monde. Mais globalement, la boîte à idées est encore bien remplie pour l'année prochaine.
Quelles sont vos ambitions pour l'évolution de "Capital" l'an prochain ?
Vous verrez en septembre ! (Rires) Non, ce qu'on peut dire c'est que les plateaux reportages en France, qu'on a commencé cette année, ont très bien marché. En part d'audience, ce sont les trois meilleurs scores de l'année. C'est quelque chose que je veux creuser. Après, ce que je veux, c'est que tous les quinze jours, les gens ne se disent pas "on va voir la même chose". "Capital" souffre d'une image qui n'est pas en adéquation avec ses enquêtes, c'est-à-dire que les gens avaient l'impression que c'était toujours pareil. Mais ce n'est pas vrai. Et je pense que la sortie du plateau, pas pour aller faire de l'extérieur simple, parce que ce sont vraiment des petites enquêtes que je mène et que j'incarne, et qui donnent un souffle différent. Ca ne veut pas dire qu'on ne sera pas en plateau de temps en temps, j'ai envie de refaire du direct aussi parce que ça a bien marché, j'ai envie de développer l'interactivité, etc...
Cette liberté de proposer des choses et de modifier la formule, ça faisait partie des conditions quand on vous a approché ?
Je leur ai dit "Si c'est juste être présentateur, écrire quatre lancements et rentrer chez moi, ça ne m'intéresse pas". C'est très confortable comme job mais ça ne m'intéresse pas. Pour moi, la partie co-rédacteur en chef, c'était quelque chose de fondamental. C'était le préalable de notre première discussion sur "Capital". J'ai besoin de mettre les mains dans le cambouis. Du coup j'ai appris beaucoup de choses sur le mag, ce n'est pas le même format, moi je viens du news, donc c'était une année de formation accélérée avec beaucoup de choses à tenter.
Vous avez quitté BFM TV juste avant une année présidentielle, il y a eu beaucoup d'actu ces derniers mois. Sans parler de frustration, n'y a-t-il pas un peu d'envie quand même vis-à-vis de ce qui a été fait et auquel vous n'avez pas participé ?
Il n'y a aucune envie, sincèrement. Il y a toujours une immense affection, ça c'est sûr. Ca restera une partie de ma famille, une partie importante de ma vie. Vous savez, quand on a connu cette chaîne quand il y avait un gros open space vide, un bureau et un mec au milieu qui recrutait tout le monde, et qu'on voit ce qu'elle est devenue... Moi j'étais reporter au début, quand on voit comme on se faisait pousser par les autres qui disaient "Dégagez avec vos petites caméras" et qu'on voit qu'aujourd'hui, les gens se bousculent soit pour passer à l'antenne, soit pour y travailler, je me dis qu'ils ont fait un bon boulot. Je suis ravi de l'année qu'ils ont passée. Après, je n'ai aucun regret. Ce n'est pas à BFM que j'aurais pu recevoir Sarkozy, Hollande, François Bayrou et Marine Le Pen, en direct pendant 2h30 en tête-à-tête. Je ne veux pas dire de bêtise mais je crois être le seul à avoir eu cette chance-là. Aucun regret.
Quel souvenir gardez-vous de ces entretiens, je pense particulièrement à celui avec Marine Le Pen qui avait été assez tendu... Comment vous avez vécu cet exercice ?
Je n'ai pas un souvenir particulier de Marine Le Pen par rapport aux autres, je l'avais déjà pratiquée par le passé. Là elle avait changé de stratégie de communication et je suis arrivé au début du moment où elle avait décidé qu'il fallait crier plus tard. Ca fait partie de sa stratégie de communication. Mais je garde un souvenir d'ensemble des quatre, avec des impressions personnelles que je garderais pour moi. Après, une adrénaline, une excitation, un plaisir... Et je garde en mémoire le travail qu'on a fait en amont, parce que ce qu'on a vu, c'est la face immergée de l'iceberg mais on a vraiment travaillé, il y a une vraie rédaction à "Capital", ça a un vrai sens, il y a 12 reporters, 2 rédacteurs en chef... Et on a fait des trainings, je disais "Allez, tous ceux qui veulent être Marine Le Pen, allez-y !". Ca, c'est le souvenir le plus fort. On a vécu quatre semaines erreintantes, et c'est aussi ce que j'aime, être au coeur de l'événement. Et je suis content aussi qu'on ait rencontré notre public.
C'est-à-dire ?
On sait que sur M6, il n'y a pas une culture de la politique. On sait que les téléspectateurs ne viennent pas nécessairement chercher ça et quand on a fait le bilan - même si évidemment on n'a pas fait les audiences de "Des paroles et des actes" - on s'est rendu compte qu'on avait touché un public différent. Sur ces quatre émissions, on était numéro un sur les moins de 50 ans et ça je pense que c'est important. Si on a pu aider une personne qui ne s'intéressait pas à la politique à aller voter, pour qui elle veut, le pari est gagné.
Et en ce qui concerne "Capital Terre", vous avez de nouveaux numéros en préparation ?
C'est en discussion. Le dernier numéro a bien marché malgré une programmation difficile. J'espère qu'il y en aura un autre. Il y a des discussions et c'est bien parti.
Vous pensez que c'est une émission importante pour M6, notamment en termes d'image ?
J'espère que ce n'est pas uniquement intéressant en termes d'image, mais aussi pour le téléspectateur. C'était plus difficile pour moi de reprendre "Capital Terre" que "Capital" parce que c'était vraiment le bébé de Guy (Lagache, ndlr). Alors que "Capital", c'est une émission qui est plus forte que son présentateur. On met chacun notre style, nos envies, moi j'adore aller sur le terrain, mais "Capital Terre" c'est quelque chose qu'il avait créé lui, autour de sa personnalité. Je m'interrogeais plus sur ma capacité à le reprendre. Et en fait, ce qu'on s'est dit avec l'équipe, c'est qu'on n'allait pas copier et qu'on allait tenir compte de mon style et mes envies.
Pour revenir à cette année chargée et au succès de BFM TV, vous pouvez qu'il y a désormais un "réflexe BFM" quand l'actu est importante ?
C'est évident, oui. Pour une raison très simple : il n'y avait pas de culture de chaîne d'info en France et sur les quelques gros événements où les gens se sont dit "Tiens, mais où je pourrais trouver de l'info là-dessus ?", ils ont trouvé ce robinet en direct en continu. C'est là que BFM a pris un avantage sur son concurrent direct. A l'époque, on a été les premiers à dire "on casse la pub". J'ai fait une des premières éditions spéciales marquantes au moment de la libération d'Ingrid Betancourt. Quand l'urgent est tombé j'ai dit "On casse la pub et on ne lâche plus". En plus, ce jour-là, TF1 et France 2 nous avaient rendu un très grand service en mettant un bandeau déroulant en annonçant la nouvelle ! Maintenant, les téléspectateurs savent que quand il se passe quelque chose, la promesse du direct et la promesse de l'image est là. Je pense que la force de BFM, c'est d'avoir mis l'info et l'image avant les présentateurs, et pas l'inverse. Sur les autres chaînes on voit les présentateurs, une table et l'image derrière. Je pense que ça a été un tournant décisif. Les gens sont embarqués là où ça se passe.
Pour vous, c'est aussi l'un des problèmes d'i-Télé ?
Je me garderais bien de donner des leçons à i-Télé.
Mais il est indéniable que la chaîne est en retard et il y a pas mal de mouvement à la tête de la chaîne...
i-Télé, quand Thierry Thuillier était là-bas, ça tournait bien. Je pense que, et je ne veux pas du tout donner l'impression de donner une leçon ou quoi que ce soit, mais je pense qu'il y a à BFM une stabilité des équipes, des présentateurs, des rédacteurs en chef, qu'il n'y a pas à i-Télé. Et je pense que la chance de BFM c'est d'être arrivée de rien, alors que i-Télé avait déjà une culture, des habitudes... Quand il n'y a pas d'habitude pré-existante, il n'y a rien à casser. Mais je regarde aussi i-Télé, je zappe entre les deux quand je cherche de l'info. Il ne faut surtout pas enterrer la chaîne.
On a aussi beaucoup parlé de la crise de l'info à TF1. Vous avez un regard là-dessus ? Ca a été très médiatisé, qu'il s'agisse des attaques envers Laurence Ferrari ou de la direction de l'information...
Sincèrement, je n'ai pas de regard sur la rédaction de TF1 parce que je n'y ai jamais travaillé. Je déteste les donneurs de leçon. On sait très bien comment se passe un acharnement médiatique à un certain moment. On pense ce qu'on veut du JT de Laurence Ferrari mais je trouve que le traitement humain qui lui a été réservé est dégueulasse. Je lui ai envoyé un petit message, machin... Encore une fois, le regard du téléspectateur est toujours subjectif mais le regard du chroniqueur est parfois... putassier. On a le droit de critiquer, de ne pas aimer, et quand on est dans ces postes-là, se faire virer ou partir pour faire autre chose, c'est la règle du jeu. Après, je pense qu'il faut toujours essayer de garder un petit peu d'humanité. Je n'aime pas les lynchages. Vous connaissez le triptyque en politique, "on lèche, on lâche, on lynche" et là c'était pareil. J'ai trouvé que c'était dur pour Laurence Ferrari, que je ne connais pas personnellement.
Vous pensez que le fait qu'elle soit une femme a joué dans cet acharnement ? On présente souvent Laurent Delahousse comme quelqu'un d'ambitieux sans que ça pose de problème à personne alors que l'ambition de Laurence Ferrari a peut-être été moins bien acceptée... ?
Je ne pense pas... Ce que j'aimerais, c'est qu'on laisse le subjectif au téléspectateur - le public a le droit de ne pas nous aimer - mais qu'on juge le travail quand on est professionnel.
Dans l'absolu, est-ce que la place de Laurence Ferrari vous intéresserait ?
Si vous ne tronquez pas ma phrase et que vous gardez "dans l'absolu"... Evidemment, j'ai fait six ans de news, j'adore le news et je ne dis pas qu'un jour je ne reviendrai pas au news.
Et même David Pujadas a dit que c'était forcément une proposition qu'on était obligé d'examiner quand on vous l'a faite...
Il ne vous aura pas échappé que je ne suis pas dans la situation de David Pujadas et qu'aucune proposition ne m'a été faite ! (Rires)
C'est un exercice sans doute plus cadré, Laurence Ferrari le disait elle-même...
Je n'ai pas l'impression que le 20 Heures de France 2 soit aussi cadré que ça. Et s'il marche si bien aujourd'hui, je pense que c'est parce qu'ils ont su sortir de ce cadre, ils ont su se lever du fauteuil et qu'ils sont constamment dynamiques. Ils ont su prendre aussi ce qu'il y avait de bon sur les chaînes d'info, laisser ce qu'il y a de moins bon, tout ça avec des équipes très carrées, très pro.
Et puisqu'on est au Festival de Télévison de Monte-Carlo, rendez-vous des stars de série, quel consommateur de séries êtes-vous ?
Je regarde très peu de séries, sincèrement. Je regarde "Mafiosa" donc j'étais particulièrement content de prendre l'escalotor aux côtés de Jean-Pierre Kalfon parce que je l'adore, il a un charisme incroyable. Je ne suis pas un consommateur de séries récurrentes... Si, je peux regarder un vendredi soir sur NRJ 12 un vieux "Navarro" parce que ça me vide la tête ! J'ai longtemps aimé "Alf, l'extra-terrestre"...
Et pour finir, vous seriez parti dans "Pékin Express" si on vous l'avait proposé ?
Pas cette année. Pas pour ma première année, il faut que les gens aient le temps de s'habituer... Mais dans l'absolu... Je ne suis pas sûr que je me serais laissé entraîner. Après, ça dépend pour quoi faire, ça dépend comment... Aller bouffer des insectes, ça ne m'intéresse pas ! En revanche, je voudrais signaler un truc dans le discours du prince Albert hier (en ouverture du Festival, ndlr), j'ai trouvé un truc très bien, c'est qu'il défende le travail des journalistes. Parce qu'on a entendu beaucoup de choses en France, de tous bords politiques... Encore une fois, on est critiquables et on doit même l'être plus que les autres, on doit être confronté à ce qu'on écrit, à nos contradictions, mais je n'ai pas aimé le climat pendant la campagne présidentielle. J'ai trouvé ça malsain et le fait de monter la population contre ses journalistes, ce n'est pas une bonne chose. Et quand j'entends le prince Albert parler, alors que ce n'était pas le sujet, des journalistes qui sont en Syrie ou au coin de la rue, je me suis dit "Ca fait du bien". Ce n'est pas très séries mais bon... ! (Rires)