"'Mediapart' aurait-il préféré voir 'Libé' au tribunal de commerce ?" Le directeur de la rédaction de "Libération", Dov Alfon, n'y va pas de main morte, ce mardi, pour dénoncer un article "à charge", paru dans le quotidien en ligne le vendredi 23 septembre.
Selon "Libération", cette enquête, intitulée "Le milliardaire Kretinsky passe la corde au cou de 'Libération'", met "en doute l'indépendance et le travail de la rédaction", après que le journal, fondé par Jean-Paul Sartre en 1973, "a obtenu (le mardi 20 septembre, ndlr) un prêt de 14 millions d'euros (assorti d'un taux de 4%, selon "Médiapart") de l'homme d'affaires Daniel Kretinsky, patron de CMI et actionnaire minoritaire du 'Monde'".
"Comme annoncé immédiatement", reprend Dov Alfon, "cet apport ne consiste pas en une obligation convertible en actions et Daniel Kretinsky n'a donc aucun droit sur notre capital. Il apporte de l'oxygène immédiat tout en n'ayant aucune entrée et beaucoup moins d'influence sur 'Libé' que n'en a eu Xavier Niel sur 'Mediapart', c'est-à-dire moins que zéro", assure Dov Alfon, qui contredit pied à pied la description faite par "Médiapart" de Daniel Kretinsky.
"Daniel Kretinsky ne fait pas la pluie et le beau temps à 'Libération', il n'y récolte aucune subvention et aucun mystérieux financement Google, il ne change pas de catégorie et ne devient pas un homme qui compte puisqu'il l'est déjà, en tant qu'actionnaire du 'Monde' et de TF1", rétorque Dov Alfon, déplorant qu'une nouvelle fois, "'Mediapart s'en (prenne) injustement à un journal de gauche".
Dans cette enquête, le journal d'investigation, dirigé par Edwy Plenel, révèle, par ailleurs, que le milliardaire aurait imposé de nombreuses conditions avant d'accepter de renflouer les caisses de "Libé". "À la différence des rivaux, Daniel Kretinsky ne feint pas d'apporter son soutien en l'habillant sous le masque du secours désintéressé. Son aide n'a rien de philanthropique", résume "Médiapart".
Daniel Kretinsky versera ainsi la somme de 14 millions d'euros par tranche. Seuls 3,5 millions d'euros seront injectés dans "Libération" dans un premier temps. Et "si dans les six mois après l'échéance du prêt en 2026", écrit "Médiapart", "'Libération' n'a pas commencé à rembourser, il se verra appliquer un taux de 10%. Et si le délai de non-paiement se prolonge, des pénalités de retard de 2 millions d'euros lui seront imposées. En un mot, 'Libération' se retrouve la corde au cou, sommé de trouver un équilibre qu'il n'a jamais su trouver depuis des années, en moins de quatre ans", détaille le journal en ligne.
À ce sujet, le directeur de la rédaction de "Libération" regrette cette "sombre prophétie quant à notre capacité de rendre cette somme dans quatre ans".
"Ces 14 millions d'euros de prêts et ce don d'un million garantissent le financement du journal jusqu'à son retour à l'équilibre, estimé en 2026. Les statuts qui protègent l'indépendance de la rédaction sont évidemment toujours en place. Grâce à cet accord, 'Libération résout le financement de son développement sans modifier la structure de propriété et de gouvernance qui a été mise en place il y a deux ans et qui garantit son indépendance", répondent, dans un communiqué commun publié ce mardi, Dov Alfon et Denis Oliviennes, président de la société Presse Indépendante SAS (PIsas), effectivement fondée il y a deux ans à l'initiative d'Altice, et propriétaire de "Libération".
De leur côté, les salariés de "Libération" ont aussi fait entendre leur voix, ce mardi, sur ces aléas de la vie économique du journal. "Nous constatons que cet accord financier ne change pas l'architecture juridique de 'Libé', toujours détenu par un fonds de dotation qui a vocation à garantir son indépendance", se réjouissent-ils dans un premier temps.
"Nous ne sommes cependant pas dupes", poursuivent-ils. "Même si l'accord signé avec Daniel Kretinsky ne prévoit pas qu'il puisse convertir son prêt en actions, il est impossible d'écarter la possibilité qu'il entre un jour au capital de Libération". Daniel Kretinsky, qui a fait fortune dans les énergies fossiles, est aussi le propriétaire d'une série de magazines rachetés à Lagardère ("Elle", "Télé 7 jours", "Femme actuelle") et de l'hebdomadaire "Marianne".