"Ce n'est pas un plan de retrait, c'est au contraire un plan de reconquête". C'est ainsi qu'Alain Weill a tenu à présenter hier dans "Le Figaro" le projet d'Altice Media France de lancer un vaste programme d'économies. Au programme, une réduction générale de la voilure assortie de suppressions de postes. Si Alain Weill affirme que son groupe veut "continuer à investir dans le secteur", difficile cependant de ne pas voir dans les annonces d'hier un sérieux coup d'arrêt à la stratégie dite "de convergence" mise en oeuvre depuis cinq ans.
A la mi-temps de la décennie 2010, Altice, du nom d'un arbre mythologique à la croissance infinie, claironnait en effet partout son ambition de faire émerger en France ce modèle mêlant infrastructures télécom et médias. S'appuyant côté tuyaux sur l'opérateur géant Altice, créé par la fusion de son actif historique Numericable et de SFR, racheté en 2014 à Vivendi, le groupe Patrick Drahi n'a ensuite eu de cesse de muscler son jeu du côté des contenus.
L'homme d'affaires a ainsi racheté des médias à tour de bras, jusqu'à être qualifié d'"ogre" à l'époque par la presse. Après "Libération" en 2014, Patrick Drahi a jeté son dévolu sur "L'Express" en 2015, avant d'acquérir en 2017 NextRadioTV, le groupe d'Alain Weill propriétaire notamment des chaînes de télé BFMTV, RMC Découverte et de la future RMC Story. Altice a en parallèle massivement investi dans la création de contenus, de la fondation de la maison de production Altice Studio, jusqu'à l'acquisition à grands frais de droits sportifs prestigieux comme la Premier League en 2015 et surtout de la Ligue des champions de foot en 2017 pour près d'un milliard d'euros sur trois ans. Des droits censés nourrir les antennes de son nouveau bouquet de chaînes sportives payantes baptisé RMC Sport. En octobre 2018, l'inauguration du gigantesque Altice Campus dans le 15e arrondissement de Paris venait parachever l'avènement de ce nouveau géant des médias bien désireux de se faire une place au soleil sur le marché français.
Un an et demi plus tard seulement, le vent a radicalement tournée pour l'Altice bientôt ratiboisé. Revoyant ses ambitions à la baisse, le groupe s'est d'abord détaché de ses titres de presse, cédant dès 2019 "L'Express" à son associé Alain Weill, avant d'exfiltrer prochainement "Libération", appelé à devenir une société à but non-lucratif. Côté production, Altice Studio n'a pas tenu ses promesses, tandis que le groupe a laissé filer les droits sportifs majeurs qu'il possédait, dont la Ligue des champions. Côté antennes, Altice va bientôt fermer sa chaîne d'info sportive, RMC Sport News, et souhaite se recentrer à terme sur l'information autour des marques BFM et RMC.
Malgré les dires d'Alain Weill, l'heure semble plus que jamais être au désengagement, comme en témoignent la flopée de départs de cadres d'Altice Médias intervenus ces derniers mois de François Pesenti, patron de RMC Sport, en février 2019, à Damien Bernet, DG d'Altice Media, Laetitia Quet, directrice financière de SFR Médias, Laurent Eichinger, DG de RMC Sport, tous remerciés en janvier 2020. Pierre-Henry Médan, directeur général de la régie publicitaire d'Altice depuis 2009, a quant à lui quitté ses fonctions en avril, trandis que Clément Delpirou, DG de "Libération", va partir en juin. Récemment, on apprenait aussi que le directeur général de RMC, Morgan Serrano, et la directrice générale de BFM Business, Kim Younes-Charbit, allaient eux aussi prochainement quitter leurs fonctions au sein du groupe.
La question qui se pose désormais est celle de la facture laissée par cette aventureuse embardée dans les médias dont on ne voit plus très bien le cap. Facture humaine tout d'abord avec la suppression à venir de nombreux postes, après beaucoup d'embauches ces dernières années. Facture financière ensuite, pour un groupe ayant bâti son développement sur un endettement massif, et dont la seule branche TV a perdu près de 600 millions d'euros pour la seule année 2019 selon "Le Monde". Les marchés ont en tout cas plutôt bien accueilli le plan d'austérité présenté hier. A la bourse de Paris, l'action Altice Europe s'appréciait de plus de 2% à 11h00.