Quelques heures après la clôture de la 26e édition du Festival de la fiction de La Rochelle, Anne Holmes la directrice des programmes et de la fiction de de France Télévisions, a accordé une interview à puremedias.com. La bascule du feuilleton "Un si grand soleil" sur France 3 , le lancement de "Fortune de France", les nouvelles séries à venir, la papesse de la fiction de France Télévisions lève le voile sur la saison 2024/2025 du service public.
Propos recueillis par Benjamin Rabier
"Un si grand soleil" démarre sa deuxième semaine de diffusion sur France 3. Quel bilan tirez-vous des premières audiences du feuilleton sur sa nouvelle chaîne ?
Après une semaine, on peut déjà dire que les signaux sont encourageants. Les téléspectateurs qui suivaient "Un si grand soleil" sur France 2 ont suivi la série sur France 3. Les fidèles ont très vite repéré et assimilé le changement de chaîne. L'arrivée d'"Un si grand soleil" coïncide avec l'intégration cette semaine du preview dans la mesure d'audience de Médiamétrie. Si on intègre le preview et le replay, on arrive aux mêmes performances que sur France 2.
"Un si grand soleil" est disponible en avance sur France.tv quelques jours avant sa diffusion linéaire. En quoi le preview de la série est important ?
Le preview est extrêmement important sur ce feuilleton : soit 700.000 téléspectateurs par épisode.
Cette case a longtemps été celle de "Plus belle la vie". Quand vous voyez le succès d'"Un si grand soleil" et celui de "Plus belle la vie, encore plus belle" sur TF1, vous ne vous dites pas que vous avez arrêté la série trop tôt ?
Je ne pense pas que l'on ait arrêté trop tôt. C'était normal pour nous de l'arrêter pour pouvoir renouveler nos marques de fictions et nos budgets. Le budget de la fiction sur France Télévisions n'est pas extensible. Faire cohabiter deux feuilletons, ça voulait dire enlever de l'argent alloué aux fictions de prime-time. On aurait alors eu un problème pour alimenter nos antennes. Financièrement, maintenir deux feuilletons quotidiens sur le service public, ce n'était pas viable.
"Financièrement, maintenir deux feuilletons quotidiens sur le service public, ce n'était pas viable"
Vous lancez ce lundi une mini-série événement historique avec Nicolas Duvauchelle , "Fortune de France". Quelle sera la tonalité des fictions de France Télévisions cette saison ?
La diversité. Je voulais du spectaculaire, de l'historique, du contemporain, du sociétal mais aussi de la comédie pour que chaque semaine on ait une surprise ou un événement à l'antenne. La saison 2023/2024 nous a prouvée qu'on pouvait se permettre de surprendre en faisant évoluer notre offre et en faisant bouger les lignes. Il y a une prise de risque cette année plus forte que les saisons précédentes.
Combien de dossiers, de propositions de nouvelles fictions recevez-vous par an ?
Je reçois 3.000 projets par an (elle sourit).
Pour une capacité de production ?
De 200 fictions par an. C'est donc beaucoup de non.
Comment faites-vous pour choisir vos projets alors ?
Beaucoup de refus sont justifiés pour une raison simple : le financement. Les projets les plus onéreux sont généralement plus dédiés aux coproductions internationales donc ils vont chez Manuel Alduy (directeur du cinéma, des fictions internationales et jeunes adultes de France Télévisions).C'est le cas quand il monte une co-production avec des plateformes comme on a pu le faire sur "Zorro" avec Paramount+ par exemple.
Ensuite, il y a beaucoup de projets retoqués car on a déjà traité telle ou telle thématique. Comme les auteurs, les créateurs et les producteurs viennent nous voir avec des fictions qui sont dans l'air du temps, on brasse souvent les mêmes thématiques. À partir du moment où on sélectionne une série traitant d'une thématique particulière, on n'en prend pas une deuxième.
Enfin, il y a une question de ligne éditoriale, il y a des séries de niche qui sont plus "plateformes compatibles" j'ai envie de dire. Notre mission, c'est quand même de rassembler le plus grand nombre donc on ne peut pas tout se permettre.
"La comédie c'est ce qu'il y a de plus dur à faire. C'est un genre très segmentant"
La maltraitance des enfants, la précarité, l'homophobie... Vous avez présenté au festival de la fiction de La Rochelle beaucoup de projets qui abordent des thématiques difficiles. N'est-ce pas trop ?
Il faut trouver un équilibre. J'avais cette crainte l'année dernière et finalement le line-up fictions 2023/2024 de France Télévisions a été très bien accueilli par le public alors qu'on abordait des thématiques difficiles comme le viol, l'inceste ou encore les violences faites aux femmes. Ma crainte a finalement été balayée car la case sociétale du mercredi soir de France 2 a augmenté en audience et en part de marché.
Il n'y a aucune nouvelle comédie dans vos futures propositions. Pourquoi ?
La comédie c'est ce qu'il y a de plus dur à faire. Pour un "Fais pas ci, fais pas ça" réussi, combien y-a-t-il d'échecs ? C'est un genre très segmentant. Ce qui vous fait rire ne me fait pas forcément rire et vice versa. Comme la mission c'est de rassembler le plus grand nombre, quand c'est segmentant c'est plus compliqué. Chez France Télévisions, on choisit les projets en équipe et l'humour c'est très personnel.
Quand on réalise une série, on se pose trois questions : pourquoi on vient ? pourquoi on reste ? pourquoi on revient ? Avec une comédie vous pouvez répondre aux deux premières questions mais face à un programme très fort en face, il n'y pas d'urgence à regarder une comédie contrairement à un polar.
En début de festival, Thierry Godard , président du jury de cette 26e édition a déploré la "pauvreté des dialogues" de la fiction française. Que lui répondez-vous ?
Pour avoir été un peu déçue par le chantier de la sitcom, que j'ai actuellement mis en stand-by et auquel je croyais justement pour remplacer "Plus belle la vie", je comprends ce qu'il veut dire. Je prends ma part de responsabilité. Ayant des lignes éditoriales très affirmées, on a peut-être frustré les créateurs et les auteurs en leur demandant des textes pas trop transgressifs parce que nos fictions sont diffusées à une heure de grande écoute, pas trop "trash" parce qu'on doit capter un public familial et en même temps transgénérationnel parce que l'on voudrait que les jeunes puissent regarder autant que les téléspectateurs plus âgés. Si on leur avait dit "lâchez-vous" peut-être qu'on aurait pu être surpris.
On critique souvent la fiction française pour son manque d'audace notamment sur ses incarnations...
Alors là, je m'insurge, parce que justement dans ce travail de faire évoluer les lignes éditoriales, il y a aussi un travail pour trouver de nouvelles incarnations. Cette saison, nous aurons "Frotter frotter" avec beaucoup de nouveaux visages ou encore "Cette nuit-là" avec Barbara Probst. Quand Nicolas Duvauchelle fait "Fortune de France", pardon mais ce n'est pas le comédien que l'on voit le plus souvent à la télévision. On essaie d'aller chercher des talents dans les feuilletons et les accompagner. Il y a un travail à faire et on va le faire cette année pour aller toujours plus dans la diversité des visages proposés. De varier toujours plus.
"Ce n'est pas une honte de faire des polars. Je le revendique d'ailleurs"
On vous a également reproché de produire trop de polars. Que répondez-vous à vos détracteurs ?
Nous avons moins de polar mais je continue à dire qu'il y a des thématiques qui sont beaucoup plus évidentes à traiter par le prisme du polar. Ce n'est pas une honte. Je le revendique d'ailleurs. Quand vous entrez dans une librairie, il y a un rayon polars qui est immense. En revanche, ne faire que du polar et ne pas diversifier son offre, oui ça c'est problématique. C'est aussi grâce à ces polars, qu'on a pu tester et/ou faire gagner en notoriété certains acteurs. Ça les fait grandir. Ils font un "Meurtres à", puis une collection, puis un film de société.
Nicolas Duvauchelle, Karin Viard, Melvil Poupaud... Les stars du grand-écran viennent de plus en plus à la série. Comment l'expliquez-vous ?
Ils viennent sur la qualité du projet et sur le réalisateur. Quand ils se sentent en confiance avec les réalisateurs, ils viennent. Je pense aussi que les plateformes ont beaucoup aidé à cette démocratisation de la série. Avant ce n'était pas un art noble du tout. J'ai vu cette évolution sur les dix dernières années et c'est très positif. De même que le mépris envers les feuilletons quotidiens est en train de disparaître. Aujourd'hui, il n'y a plus trop de frontières quand on parle de fiction.
Vos stars maison, Lola Dewaere, Samuel Le Bihan ou encore Cécile Bois multiplient les collaborations avec TF1. Ça vous agace ? C'est une fierté ?
Je pense que c'est très bien pour un acteur ou une actrice de respirer, d'aller voir ailleurs. Les acteurs ne nous appartiennent pas. Ce sont des personnalités populaires, c'est normal que les autres chaînes les réclament aussi. Mais par exemple Lola Dewaere reste dans "Astrid et Raphaëlle" et jouera bientôt dans une nouvelle fiction pour France Télévisions.
"La case du samedi soir de France 3 est victime de son succès"
On dit souvent que la télévision est confrontée à une problématique importante : le vieillissement de son public. Comment faites-vous pour rajeunir l'âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions ?
Je n'ai pas la moyenne d'âge des spectateurs qui consomment france.tv mais je ne peux pas imaginer que le replay et/ou le preview ne soit utilisés que par des gens qui ont plus de 60 ans. La fiction n'est pas vieille, c'est le support qui l'est.
Des cases semblent très compliquées à rajeunir. Le samedi soir de France 3 par exemple. Je ne vais pas travailler dans le rajeunissement du public de cette case quand j'ai "The Voice" sur TF1 en face ou "100% logique" qui marche aussi sur toute la famille sur France 2.
Plutôt que de rajeunir, il faut élargir notre public. Les études nous montrent qu'on perd les 15-34 ans mais que les trentenaires reviennent quand ils deviennent parents. Mon enjeu aujourd'hui, plus que de les récupérer à 36/37 ans, c'est de ne pas les perdre.
La case du samedi soir de France 3 a vu le nombre de ses rediffusions exploser ces derniers mois. Pourquoi ?
C'est une question de coût. C'est presque une case qui est victime de son succès. Vous qui analysez les audiences sur puremedias.com chaque matin, vous voyez bien que la différence entre un inédit et une rediffusion n'est pas énorme. Donc en fait, cette stratégie est payante pour nous. Elle nous permet de réduire nos coûts et/ou d'investir dans d'autres projets.
Pendant des années, on a dit "il n'existe pas de deuxième marché pour la fiction" en France. Aujourd'hui, il y a un super deuxième marché, en tout cas sur France 3. Le marché est tellement beau que même C8 cartonne avec des rediffusions de nos fictions, "Mongeville" et "Magellan". Donc, réjouissons-nous de pouvoir diffuser, rediffuser et vendre nos fictions.
Il y a une autre stratégie de programmation qui questionne. France Télévisions diffuse de plus en plus l'intégralité d'une mini-série en une soirée, jusque très tard dans la nuit...
C'est une stratégie de binge-watching.
"C'est par des petites touches comme cela qu'on essaie de rajeunir nos antennes et conquérir un autre public"
C'est des séries auxquelles vous ne croyez pas assez ?
Cette stratégie ne concerne que des achats et pas de la fiction française originale que nous produisons. On parle d'innovation, on parle de nouveaux visages, on parle de nouveaux formats et on peut également parler de nouvelles stratégies de programmation. On essaie, on tente des choses, si on faisait toujours pareil, vous me diriez "on a fait la même interview l'année dernière". Mais vous m'avez posé la question "comment rajeunir l'audience ?" Aujourd'hui, les jeunes consomment leur série d'un coup, sans se dire "je reviendrai la semaine prochaine à 21h05". "Follow", qui est une série un peu différente de ce qu'on propose habituellement, se prêtait à cette consommation. C'est par des petites touches comme cela qu'on essaie de rajeunir nos antennes et conquérir un autre public.
"Fortune de France", "Olympe de Gouges"... C'est le grand retour des fictions historiques sur France Télévisions ?
Ce n'est jamais parti mais on a assisté à une saturation du marché il y a quelques années, à l'époque des "Maupassant". Il y en avait vraiment beaucoup. C'est des cycles. "Un village français" ne s'est pas arrêtée il y a si longtemps, on a toujours proposé des fictions historiques. Mais effectivement, dans le monde dans lequel nous vivons actuellement, c'est bien de pouvoir décrypter le présent en passant par le passé.
Julie Gayet expliquait lors de la conférence de presse d''Olympe de Gouges' que cet unitaire était "une fiction de service public". Pour vous aussi ?
C'est réellement un marqueur pour France Télévisions ce genre de fiction car personne, à part nous, n'ira sur ce terrain-là. Nous devons nous singulariser par notre offre. Pour éduquer instruire tout en divertissant les téléspectateurs. "Olympe de Gouges", c'est effectivement une fiction de service public. C'est aussi notre rôle de la faire connaître au plus grand nombre. Dans la saison, nous proposerons également une fiction sur Georges Sand avec la révélation Nine d'Urso.
Après Olympe de Gouges, Julie Gayet voudrait s'intéresser à Louise Michel. Vous allez produire un nouvel unitaire avec elle ?
Sur le principe, j'ai dit oui. Elle a très bien interprété et réalisé Olympe de Gouges. Je trouve que le film est réussi et qu'il raconte une vraie histoire. Quand elle me dit qu'il y a Louise Michel, une autre femme qui est formidable, qui a fait beaucoup de choses et dont elle voudrait relater l'histoire, je lui réponds 'pourquoi pas ?' Elle doit me livrer un texte.
Sur les 3.000 dossiers que vous allez recevoir dans les mois à venir, qu'est-ce que vous aimeriez recevoir.
J'aimerais bien avoir une comédie.