David Pujadas répond à la polémique. Hier soir, des propos tenus sur le plateau de son émission sur LCI par Julie Graziani ont créé la controverse. Réagissant à la diffusion d'une séquence dans laquelle Emmanuel Macron était interpellé à Rouen par deux femmes se présentant comme en difficulté, l'éditorialiste du magazine droitier "L'Incorrect" a pointé du doigt la responsabilité individuelle de ces dernières. "Ces gens qui crient sont dans le paradigme de la réclamation. Ils se comportent vis-à-vis de l'État comme des créanciers. À aucun moment, vous ne les entendez assumer la responsabilité de leur propre situation" avait-elle commenté.
"Cette dame qui se plaint et qui n'assume pas la responsabilité de son sort - c'est ça qui m'agace -, elle vous dit : 'J'ai 5 enfants, je suis obligée de travailler'. Bah oui, Madame ! Moi aussi, j'ai 4 enfants, je suis obligée de travailler ! Scoop ! Bienvenue dans le réel ! Evidemment que t'as cinq enfants, t'es obligée de travailler ! Sinon t'en fais pas cinq !" avait ensuite ironisé Julie Graziani, avant de s'en prendre à une autre femme de la séquence : "La première te dit : 'J'ai deux enfants, je suis seule, je suis au SMIC'. Je comprends très bien qu'elle s'en sorte pas. C'est sûr qu'elle s'en sortira pas à ce niveau-là. Mais à un moment donné, je ne connais pas son parcours de vie à cette dame ! Qu'est-ce qu'elle a fait pour se retrouver au SMIC ? Est-ce qu'elle a bien travaillé à l'école, est-ce qu'elle a suivi des études ? Et puis, si on est au SMIC, faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là !" Face à la polémique, David Pujadas a souhaité réagir auprès de puremedias.com. Précisons qu'après cet entretien, Julie Graziani a présenté ses excuses via le compte Twitter de "L'Incorrect".
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Pourquoi ne pas avoir recadré Julie Graziani pour ses propos tenus lors de l'émission d'hier ?
David Pujadas : Je dis d'abord attention parce que je suis un peu inquiet. On mélange tout avec cette histoire. On est en pleine confusion. Les propos de Julie Graziani ne sont pas un dérapage. Is constituent une opinion. Une opinion contestable et qui a d'ailleurs été immédiatement contestée en plateau par l'un de ses contradicteurs la députée issue de Place Publique Aurore Lalucq. L'opinion de Julie Graziani peut indigner, mais le débat d'idées, ce sont justement des opinions qui se confrontent, même celles qui ne nous plaisent pas. Je veux insister là-dessus. La devise de l'émission est : "Chacun se fera son opinion".
"On mélange les propos répréhensibles, délictueux et les opinions"
Il ne fallait donc pas davantage intervenir hier selon vous ?
Si cela avait été une interview, j'aurais dû intervenir. Là, c'était un débat avec une personne en face qui est immédiatement intervenue et a contesté point par point le propos de Julie Graziani. Tout a été dit très rapidement. Elle lui a d'ailleurs coupé la parole. La contradiction a été totalement apportée. L'indignation, même, a été manifestée. Ce qu'il est très important de rappeler, ce qui est indispensable, c'est de montrer la plus grande vigilance vis-à-vis des appels, mêmes implicites, à la haine, à la violence. Cette vigilance doit, elle, être de tous les instants. Il faut être implacable. Mais nous ne sommes pas dans ce registre-là lors de cette séquence. Et dans la folie des réseaux sociaux, on mélange tout...
Pour vous, il s'agit d'une simple confusion ?
Oui, on mélange les propos répréhensibles, délictueux et les opinions. Je ne voudrais pas qu'on restreigne le champ de ce qui peut être dit à la télévision. Je parle simplement, là, de liberté d'opinion. Les propos de Julie Gaziani ne peuvent pas tomber sous le coup de la loi. Ils ne sont ni des appels à la violence ni à la haine. Ce n'est pas un rejet de l'autre pour ce qu'il est, sa couleur de peau, sa religion etc... Ils ne sont que l'expression d'une opinion, aussi contestable, grotesque, réac', rétrograde, ridicule ou condescendante soit elle.
Ces propos de Julie Graziani vous ont-ils choqué à titre personnel ?
Ce n'est pas le sujet. Mes convictions personnelles n'ont rien à voir avec mon rôle de journaliste.
Vous ne comptez donc pas vous excuser ?
Encore une fois, j'affirme haut et fort que je tiens à la liberté d'échange des opinions, avec une vigilance extrême pour tout propos qui pourrait entretenir ou susciter, même implicitement, la haine ou la violence. Nous n'étions absolument pas dans ce cas de figure hier.
"LCI ne vise pas le buzz et le clash"
Craignez-vous cependant une sanction du CSA ?
Je ne suis pas un spécialiste mais je crois que le CSA se penche sur les sujets d'appels à la haine ou à la violence. Encore une fois, il faut être intraitable avec ce genre de propos. C'est d'ailleurs le mérite de LCI d'avoir immédiatement reconnu une erreur quand cela a été le cas avec la diffusion du discours d'Eric Zemmour. Mais là, on est dans un tout autre domaine.
Comment interprétez-vous les multiples polémiques récentes créées par des séquences diffusées sur les chaînes info, plus particulièrement LCI et CNews ?
Encore une fois, il y a eu une erreur de la part de LCI, qui l'a reconnue dès le lendemain. Il y a eu un propos malheureux d'Olivier Galzi, mais qui l'a reconnu. Il y a un choix d'une autre chaîne de faire d'Eric Zemmour un référent quotidien. Je n'ai pas à le commenter. Pour le reste, je trouve qu'on agrège beaucoup de choses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. LCI ne vise pas le buzz et le clash. Ce n'est pas du tout le genre de la maison.
"Il ne faut pas regarder les chaînes infos que par le prisme des réseaux sociaux, il faut les regarder vraiment"
Les chaînes info n'ont-elles pas un rôle dans l'hystérisation du débat politique ?
Franchement, je ne crois pas. Je pense que les chaînes info, au sens large, peuvent avoir un rôle dans "l'anecdotisation" de l'info, en moulinant par exemple pendant des heures et des heures sur un sujet. Ca oui. L'hystérisation du débat public ? Je ne crois pas. Et ce n'est pas l'ADN de LCI. Dans mon émission, quand on fait une demi-heure sur l'EPR, le choix du nucléaire, ou un quart d'heure sur Elizabeth Warren (candidate à l'investiture démocrate pour la prochaine présidentielle américaine, ndlr), nous ne sommes pas là dedans ! Il ne faut pas regarder les chaînes infos que par le prisme des réseaux sociaux, il faut les regarder vraiment.
Le format talk, économiquement plus avantageux pour les chaînes info, n'entraîne-t-il pas mécaniquement une multiplication de ces séquences polémiques ?
Je ne pense pas. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas être extrêmement vigilant lorsqu'on débat notamment de thématiques régaliennes comme l'immigration ou la sécurité. Et c'est ce que nous faisons !