Des interviews d'un genre nouveau. C'est, selon toute vraisemblance, ce que proposait le journaliste indépendant Frédéric Vandecasserie, collaborateur régulier du groupe de presse belge Sudpresse et dont les pratiques douteuses ont été relevées par le site "Arrêt sur images". Le média fondé par Daniel Schneidermann a mis au jour la supercherie à l'occasion d'une interview de l'actrice Alice Taglioni parue le 20 janvier dernier en réalisant qu'il s'agissait d'un condensé de propos tenus par l'intéressée lors d'interviews passées, il y a parfois des années en arrière.
Ainsi, selon le relevé effectué par "Gala", hebdomadaire qui s'est rendu compte à son tour de l'erreur après s'être fait prendre au piège comme de nombreux autres titres de presse qui ont cité l'interview belge, les citations provenaient d'entretiens publiés dans "Madame Figaro", "Next" (le magazine de "Libération") et "L'Express", "respectivement en 2018, 2016 et 2011". "Les questions et réponses portant directement sur le film sont extraites mot pour mot du dossier de presse du film 'Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part'", a relevé "Arrêt sur images" à propos du film pour lequel Alice Taglioni est actuellement en promotion.
Contacté par le site de Daniel Schneidermann, le rédacteur en chef de Sudpresse, Demetrio Scagliola, a plaidé la bonne foi, arguant qu'il s'agit en l'espèce de "faits graves, réalisés à notre insu, et dont nous sommes les victimes, non les auteurs". L'auteur de la fausse interview, Frédéric Vandecasserie, a pour sa part avancé que la pratique est courante dans le milieu. "Les interviews cinéma sont assez souvent des mélanges d'interviews faites à différents moments, augmentées parfois des interviews qu'on reçoit toutes faites des distributeurs des films", a-t-il affirmé. Et de déplorer : "J'ai l'impression d'être mis au pilori de tout un système alors que je suis loin d'être le seul à le faire".
S'il affirme avoir vraiment eu un rendez-vous pour un entretien avec Alice Taglioni, Frédéric Vandecasserie précise que celui-ci a été annulé le jour-même par la production du film, l'obligeant à trouver une solution, sans qu'il ait jugé utile d'en informer sa rédaction.
Ce lundi après-midi, sur son site, la rédaction en chef de Sudpresse a joué la transparence auprès de ses lecteurs en affirmant s'être séparé du journaliste indépendant mis en cause et avoir saisi le Conseil de déontologie journalistique belge (CDJ) sur le sujet. L'interview litigieuse a également été retirée des sites du groupe. "Cette affaire a profondément choqué la rédaction de Sudpresse et tous les journalistes du groupe, qui ne pouvaient imaginer qu'un journaliste, reconnu en tant que collaborateur de presse par l'association des professionnels du secteur (AGJPB), puisse se livrer à de telles pratiques. D'autant que l'intéressé est loin d'être un novice dans la profession puisqu'il a collaboré ou collabore toujours avec de nombreux médias de référence", rappelle Sudpresse.
Plus préoccupant pour le groupe belge, l'interview d'Alice Taglioni semble ne pas devoir être la seule à poser question. Selon "Arrêt sur images", au moins 19 autres interviews de stars publiées par le journaliste indépendant seraient des condensés de propos tenus ailleurs. "Chez les stars anglo-saxonnes, Will Smith est emprunté partiellement à 'Closer', Robert Dowey Jr lui aussi, tout comme l'est Jennifer Lopez. Angèle utilise 'Telerama', Sylvester Stallone plutôt 'Télé Star'", ont relevé par exemple nos confrères.
Le groupe Sudpresse affirme que des vérifications sont en cours mais s'est d'ores et déjà engagé à supprimer "au plus vite tous les articles en ligne du journaliste concerné". Sudpresse annonce par ailleurs la mise en place à l'avenir de "process de vérifications éditoriale et technologique qui permettront, à l'avenir, de repérer d'éventuelles pratiques non déontologiques".