Ils en ont assez. Presstalis, principal distributeur des quotidiens nationaux, est à nouveau en grève, après de multiples antécédents ces derniers mois. Conséquence directe pour les journaux : pas de distribution en kiosques. Hier, pour exprimer leur indignation, les patrons de la presse quotidienne ont quasi-unanimement décidé de ne pas imprimer leurs éditions respectives. Mais si les principaux titres de presse quotidienne sont introuvables aujourd'hui, leurs éditorialistes expriment tout de même leur colère... via internet.
"C'est une catastrophe, une honte, et je pèse mes mots", tempête la première ligne du billet de Dominique Seux. Le rédacteur en chef aux Echos soupçonne clairement les syndicats d'en faire trop, spécifiquement en période de crise : "La réalité est qu'il y a, à la CGT, la radicalisation d'un certain nombre de syndicats professionnels ou locaux. On le voit chez PSA, à Aulnay (...) chez Goodyear, à Amiens. Dans un certain nombre de cas, la confédération CGT, à Montreuil, est débordée. On l'a vu avec les dockers, à la SNCF." Il conclut : "On le voit au Livre", visant explicitement les responsables de cet énième mouvement social, à savoir le syndicat SGLCE CGT du Livre.
A circonstances exceptionnelles, phénomènes exceptionnels. Il aura fallu une grève massive des distributeurs de presse pour que les critiques de Libération et du Figaro soient dirigées dans la même direction. "Nous signifions que ne pouvons plus tolérer que le travail de toute la rédaction du Figaro et de ses personnels soit ainsi saccagé", s'indignent le directeur général du Groupe Figaro, Marc Feuillée, et le directeur des rédactions du Figaro, Alexis Brézet. Du côté de Libé, c'est Nicolas Demorand qui signe un billet à charge, mais sans jamais citer nommément le syndicat responsable. "Les ouvriers du livre, en tout cas ceux qui ont décidé d'aller à la politique du pire, pensent qu'en mourant ensemble nous vivrons plus longtemps. Funeste erreur", professe le successeur de Laurent Joffrin à la tête du journal.
Et chacune des voix de rappeler, par les faits, les raisons de leur colère : "Une fois encore, la distribution des journaux est gravement perturbée. Au total, ce sera environ la trentième fois ces derniers mois. Trente occasions ratées. Trente rencontres déçues", selon le directeur de publication du quotidien de gauche. "Dans le cas du quotidien Les Echos, c'est la vingt-cinquième perturbation en quatre mois, donc sur environ cent parutions", compte de son côté Dominique Seux, en soulignant le ratio : "Cela fait une parution sur quatre."
Alors que la rivalité entre presse gratuite et presse payante alimente le débat du journalisme depuis des années, les patrons de presse voient carrément dans ce nouveau coup dur... le potentiel coup de grâce."Faute de solution rapide, c'est l'ensemble de la filière industrielle et logistique de la presse qui est gravement menacée, et donc l'existence des journaux", prophétisait au micro de France Info Marc Feuillée, le patron du Figaro, ce matin. Nicolas Demorand, non moins fataliste, termine son commentaire par le même constat : "Si elles continuent, les grèves, perlées ou massives, transformeront [l']hypothèse [de Libération uniquement sur internet] en certitude. A très court terme." A bon entendeur.