Censure. Le feuilleton de l'enquête sur le Crédit Mutuel évincée de l'antenne avait marqué l'arrivée fracassante de Vincent Bolloré aux commandes de Canal+. Ce dernier avait assumé pleinement son choix lors d'un comité d'entreprise le 3 septembre dernier et avait été clairement expliqué deux semaines plus tard par la direction lors d'une nouvelle réunion : "La direction tient avant tout à défendre les intérêts du groupe Canal+ et estime qu'il est donc préférable d'éviter certaines attaques frontales ou polémiques à l'encontre de partenaires contractuels ou futurs". On peut difficilement faire plus clair.
Invité pour un débat sur l'indépendance des journalistes animé par Daniel Schneidermann et mis en ligne sur arretsurimages.net, Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur-en-chef adjoint de "Spécial Investigation" et délégué syndical SNJ-CGT, a pris son courage à deux mains pour décrire la censure quotidienne que subit sa rédaction. Le journaliste avait déjà été la cible de la direction après l'affaire Crédit Mutuel, qui souhaitait lancer une procédure de licenciement, avant de se rétracter. "Quand Vincent Bolloré initie cette censure grave, et il n'y a pas que le Crédit Mutuel, on avait aussi une enquête sur la BNP, autant vous dire qu'il n'y a plus aucun producteur qui ne nous a envoyé un projet d'enquête sur le monde bancaire. Il n'y aura plus d'enquêtes sur les banques à Canal+", a-t-il raconté.
Il est revenu ensuite sur ses difficultés désormais à proposer des sujets. "On est soumis à un comité d'investigation tous les deux mois. On doit aller avec nos petits projets voir la direction et demander l'autorisation de faire des enquêtes. En gros, sous l'ancienne direction, ça passait à 80 ou 90% des cas. Depuis que Vincent Bolloré est sorti des fougères et a manifesté son pouvoir dans l'entreprise, ça se passe beaucoup plus mal. On est retoqué régulièrement", a-t-il poursuivi, ajoutant qu'à sa dernière réunion, sa rédaction a proposé onze sujets et qu'elle a reçu sept refus.
Déterminé à révéler les censures de sa direction, Jean-Baptiste Rivoire a décidé de lister les sept enquêtes dont Canal+ n'a pas voulu : "Volkswagen, entreprise de tous les scandales", "Le monde selon YouTube", "François Homeland" (une enquête sur le président et les guerres), "Attentats : les dysfonctionnements des services de renseignement", "Les placards dorés de la République" (sur les emplois fictifs dans la haute fonction publique), "La répression made in France" (comment la France exporte des outils de répression, à des régimes pas toujours recommandables), et "Nutella, les tartines de la discorde".