Jean-Michel Aphatie revient pour puremedias.com sur les limites que devrait selon lui s'imposer le journalisme pour recueillir l'information. Le chroniqueur du "Grand Journal de Canal+", s'est souvent opposé sur cette question au patron de "Médiapart", Edwy Plenel, et au journaliste de ce site d'information à l'origine de l'affaire Cahuzac, Fabrice Arfi. Cette semaine, Jean-Michel Aphatie a relancé le débat sur RTL à l'occasion de l'ouverture de l'exposition "Paparazzis !" au Centre Pompidou-Metz. Il a notamment regretté l'absence de débat dans la profession sur les méthodes employés par certains journalistes au nom de la nécessité d'informer : photos volées, caméras cachées ou encore accusations sans preuves.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Vous avez publié hier ce tweet : "Le journalisme français ? Des photos volées, des caméras cachées, des accusations sans preuves. Ça fait envie, non ?". Pourquoi ce tweet ? Etait-ce une référence aux dernières accusations du "Point" concernant Jean-François Copé ?
Non, non pas du tout. "Photos volées", c'est l'exposition "Paparazzis !". "Caméras cachées", cela fait référence à des pratiques qui se répandent dans la profession. Il y a par exemple un enseignement au CFJ (une école de journalisme à Paris, ndlr) sur comment cacher sa caméra. J'ai trouvé ça inouï ! "Accusations sans preuves", ça c'est une évidence, même pas besoin de l'expliquer. Je pense que le journalisme ne réfléchit jamais aux moyens qu'il met en oeuvre pour obtenir de l'information. Il n'y a aucun débat, on laisse tout passer. L'essentiel, c'est de recueillir l'information. Les moyens, eux, n'ont aucune importance. On est la seule profession qui pense que la morale peut être jetée à la poubelle et que la fin justifie les moyens. Je trouve ça consternant.
C'est donc un prolongement de votre chronique de mercredi sur RTL ?
Oui. En fait j'ai publié ce tweet hier soir en voyant la Une de "Paris Match" sur Laurent Delahousse et Alice Taglioni. Des photos qui, j'imagine, sont volées. Si les personnes photographiées portent plainte, "Paris Match" sera sans doute condamné pour atteinte à la vie privée. Mais qu'est ce qu'on s'en fout dans le journalisme de ne pas respecter la loi ? On s'en fout totalement ! Il y a des lois qui existent et on ne les respecte pas sciemment. Personne dans la société ne fait ça et aucun journaliste ne réfléchit à ces questions. C'est incroyable !
Cette critique prolonge-t-elle celles formulées au moment de l'affaire Cahuzac, à l'encontre de "Médiapart" notamment ?
Oui, mais pas seulement. Dans l'émission de Benoît Duquesne ("Complément d'Enquête", ndlr) par exemple, des journalistes ont infiltré des réunions du Front national et de l'UMP. Vous imaginez un peu la forme de scandale que ça représente ? On infiltre des partis politiques, on les espionne, voilà. Est-ce que les journalistes ont tous les droits ? Apparemment oui. Est-ce que c'est étonnant ? Apparemment non. C'est un constat qui me stupéfie totalement. J'ai l'impression qu'il n'y a personne à part quelques hurluberlus qui se disent : 'C'est incroyable cette profession. Quelle arrogance !'. Au-dessus de toutes les lois, de toutes les règles morales, en permanence, parce que nous avons une mission supérieure, celle d'informer. Les bouchers, ils aussi ont une mission supérieure, celle de nourrir. Pourtant, ils respectent les lois.
Certains pourraient vous répondre qu'il faut parfois utiliser des moyens non-conventionnels pour recueillir une information cachée ?
Mais un jour, on saura que quelqu'un détient dans son coffre-fort une information essentielle. Est-ce qu'on légitimera le cambriolage ? Et pourquoi pas le meurtre un jour si l'information est très importante. Où s'arrête-t-on ? Quelles limites on pose ? Si on dit que parfois, obtenir une information est tellement difficile qu'on peut s'affranchir de toutes les règles, on pose la limite où exactement ? Est-ce que nous le savons nous-mêmes ? J'aimerais bien qu'il y ait des réflexions là-dessus un jour.
Est-ce que vous pensez qu'on peut mettre sur le même plan, comme vous le faites d'une certaine manière dans votre tweet, des photos volées pour un magazine people et du journalisme d'investigation comme celui du "Point" avec l'affaire Copé ou de "Médiapart" ?
On peut les mettre sur le même plan si on considère que la question posée est celle des moyens mis en oeuvre pour récupérer de l'information.
Vos détracteurs vous répondent souvent que vous êtes un journaliste qui ne va pas sur le terrain, qui ne 'sort' pas d'affaires et que donc, d'une certaine manière, vous n'êtes pas totalement légitime pour les critiquer.
Mais ce n'est pas un argument. Tous les journalistes ne sont pas sur le terrain. Un rédacteur en chef dans une rédaction ne va jamais sur le terrain, c'est quand même un journaliste. Un présentateur de télévision ne va pas sur le terrain, c'est quand même un journaliste ! Est-ce qu'on va lui dire qu'il n'est pas journaliste ?
Ils ne disent pas que vous n'êtes pas journaliste. Ils disent plutôt que vous ne faites pas le même journalisme et que donc, vous n'utilisez pas les mêmes moyens.
Oui, évidemment, on ne fait pas le même journalisme. Il y a plusieurs catégories dans le journalisme. Un enquêteur et moi, on ne fait pas exactement le même journalisme mais on est deux journalistes. Evidemment, nous n'utilisons pas les mêmes moyens. Ce n'est pas la question. La question est de savoir si celui qui cache sa caméra ou vole des propos utilise des moyens acceptables. C'est ça le débat.
Pensez-vous que l'utilisation de ces moyens par les journalistes explique leur très mauvaise perception par les Français ?
Non, je pense plutôt l'inverse. Il faut bien comprendre que le corps social est malade et traversé par des sentiments négatifs. Les journalistes qui agissent comme ça apparaissent comme des justiciers qui dénoncent les institutions. Ils sont plutôt soutenus par une part de l'opinion publique qui pense que tout le monde est pourri et que donc, tous les moyens sont bons pour le montrer. Je pense qu'en agissant comme ça, ces journalistes alimentent une forme totalement délétère d'esprit public. C'est pour ça que je le dénonce.