Paris Première est trentenaire. La doyenne des chaînes du groupe M6 (la chaîne mère fêtant ses trente ans en mars, ndlr), célèbre ses trente ans d'histoire télévisuelle. Trente années au cours desquelles la chaîne payante, rachetée par le groupe de Nicolas de Tavernost en 2004, s'est démarquée par une ligne éditoriale singulière. De Thierry Ardisson à Laurent Ruquier en passant par Élisabeth Quin, Mélissa Theuriau ou encore Frédéric Taddeï, celle qui se revendique aujourd'hui comme "la chaîne de l'indiscipline" a accueilli de nombreuses figures emblématiques du PAF sur son antenne.
Chaîne payante la plus suivie et la plus connue par les téléspectateurs français, Paris Première tente aujourd'hui de continuer à exister alors que les portes de la TNT gratuite lui restent désespérément closes. puremedias.com a rencontré Jonathan Curiel, directeur général de Paris Première, pour évoquer avec lui l'état de santé actuel de la chaîne, son avenir, et retracer un pan de son histoire.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
Paris Première fête ses trente ans. Qu'est-ce qu'on peut lui souhaiter comme cadeau ?
De continuer à être suivie et appréciée par ses téléspectateurs. Cette reconnaissance, on l'a déjà. Paris Première vient de faire sa meilleure rentrée historique. On est à un peu plus de 0.5% de PDA auprès de l'ensemble du public, selon Médiamétrie. On n'avait jamais fait cette performance en trente ans d'histoire de la chaîne. Pour les années à venir, on peut lui souhaiter de garder la ligne éditoriale, la singularité et les aspérités qui font d'elle une chaîne sans autre équivalent.
La chaîne a un positionnement éditorial très singulier au sein du groupe. Vous êtes un peu la caution culturelle du groupe M6 ?
Non, je ne le dirais pas comme ça. En tout cas, Paris Première est une chaîne qui revendique sa vocation culturelle dans de nombreux domaines. Que ce soit la culture gastronomique avec une émission comme "Très très bon" ou la culture des arts avec des cycles cinématographiques d'exception, consacrés à des personnalités comme Jean Gabin ou Marcel Carné. Paris Première, c'est aussi une programmation de théâtre hors du commun. On ne le dit pas assez mais Paris Première retransmet plus de 700 heures de théâtre par an. Il y a une pièce de théâtre tous les samedis soirs. Et pas des moindres ! Ces dernières semaines, on a eu "Le prénom", "Moi, moi et François B", la pièce de Bénabar...
À l'occasion de la programmation spéciale "30 ans" de la chaîne, Paris Première a proposé une captation inédite de la pièce à succès "Le Prénom". Vous avez une politique de programmation ambitieuse en matière de spectacle vivant ? Ça ne vous coûte pas trop cher ?
Nous ne communiquons pas sur le prix des captations mais sur 15 millions d'euros de coût de grille, il y a un budget dédié au théâtre. On se fixe un montant maximum pour chaque pièce et on arrive régulièrement à trouver des accords, obtenus grâce à notre légitimité sur le sujet. Paris Première n'est pas seulement un diffuseur, c'est aussi un acteur à part entière du monde du spectacle. Au delà des stricts aspects financiers, nous avons une vraie crédibilité qui plaît aux auteurs et aux metteurs en scène. D'ailleurs, nous sommes aussi présents hors antenne avec plus de 200 partenariats culturels à l'année.
"Conseil d'Indiscipline" avec Jean-Louis Debré est l'une des grandes nouveautés de la saison. Quel bilan tirez-vous des deux premiers numéros ?
C'est un bon programme, une vraie création originale divertissante. Les retours que l'on a eus sur les deux premiers numéros sont assez positifs. On a fait une bonne première. L'émission était très attendue, il y a eu un bel effet de curiosité. On a eu une petite baisse d'audience sur le second numéro. On s'est rendu compte que la régularité n'était pas suffisante pour permettre d'exposer la marque. Pour lui donner de l'élan, on va programmer l'émission, qui sera légèrement raccourcie, en bi-mensuelle juste derrière "La revue de presse". C'est assez long d'installer une marque d'humour mais c'est en train de se mettre en place, Jean-Louis s'est pris au jeu et travaille beaucoup sur le programme.
La "Revue de presse" de Jérôme de Verdière fête ses dix ans. L'émission est l'un des programmes qui fonctionne le mieux sur la chaîne. Comment vous expliquez ce succès ?
C'est vrai que réunir jusqu'à plus de 300.000 téléspectateurs le lundi soir sur une chaîne payante distribuée à un tiers de la population, c'est une belle prouesse ! J'en profite pour souligner que "La revue de presse" devance régulièrement de nombreuses chaînes gratuites. Je pense qu'en ce moment, l'émission est encore plus portée par l'intérêt global des téléspectateurs pour l'actualité politique. Les gens viennent y chercher une certaine liberté de ton qu'ils sont sûrs de trouver. C'est une émission très impertinente et je crois qu'en télévision, nous sommes assez seuls à exploiter ce côté chansonnier à la française.
Anaïs Bouton, ancienne directrice des programmes de la chaîne est désormais l'animatrice de "Zemmour et Naulleau". Après le recrutement de Jean-Louis Debré, vous vous professionnalisez dans la reconversion ?
On tente des paris. Dans les deux cas que vous citez, on est franchement satisfait. Anaïs a une vraie présence à l'antenne et parvient à incarner remarquablement bien le débat entre Zemmour et Naulleau. Elle s'est fait sa place encore plus rapidement qu'on ne le pensait !
Paris Première se revendique comme la chaîne de l'indiscipline. C'est au nom de ce slogan que vous maintenez Eric Zemmour à l'antenne ?
Non, ce sont deux sujets différents. L'indiscipline, c'est plus le côté irrévérencieux qu'on a dans nos magazines. Ça peut être Alex Vizorek dans "Ça balance à Paris" par exemple. Eric Zemmour, ce n'est pas la même chose. Il est chez nous depuis 2011 et j'observe qu'il n'y a jamais eu le moindre incident sur notre antenne. Eric Naulleau est là pour lui apporter la contradiction. On préfèrera toujours l'échange contradictoire et la confrontation des idées à l'exposition d'un point de vue unique. On a d'ailleurs chaque semaine des invités de tous bords politiques et des intellectuels aux idées très variées. Et je crois qu'ils apprécient de venir car c'est une émission de débat au long cours qui laisse du temps à ses invités.
Il est amusant de constater qu'il y a un précédent au cas Zemmour dans l'histoire de Paris Première. Jean-Edern Hallier, qui était critique littéraire sur la chaîne dans les années 1990, avait fait l'objet de nombreuses condamnations dont une pour provocation à la haine raciale...
Oui, il animait le "Jean Edern's Club"... Paris Première a toujours été une chaîne pamphlétaire qui accorde toute sa place au débat. Notre seule limite reste celle du droit et on fait en sorte de ne pas sortir de cette barrière.
Nous ne sommes plus qu'à quelques encablures de la prochaine élection présidentielle, vous envisagez de déployer un dispositif particulier ?
On a déjà un dispositif très complet avec la matinale de Radio Classique au cours de laquelle Guillaume Durand reçoit des invités politiques, "Zemmour et Naulleau" qui est notre émission politique, "Polonium" qui nous permet d'aborder des sujets plus sociétaux mais aussi "La revue de presse" qui traite de politique à sa manière sous le prisme de impertinence.
Et s'il faut rediffuser de nouveaux épisodes d'"Une ambition intime", vous le ferez aussi ?
On a profité de l'actualité autour des primaires avec une soirée spéciale qui a très bien fonctionné durant l'entre-deux tours de la primaire. Ça a d'ailleurs permis à "Zemmour et Naulleau" de battre son record de saison. Si l'opportunité se présente à nouveau et que l'actualité politique le justifie, pourquoi pas mais c'est avant tout un programme original de M6.
Vous venez de lancer chaque jour à 20h40 "Le Zapping de la télé". C'est un revival de l'esprit Canal sur Paris Première ?
C'est une question que l'on nous pose beaucoup. J'estime qu'à l'âge de trente ans, Paris Première a suffisamment d'histoire et de singularité pour ne pas revendiquer le positionnement ou l'esprit qui existe ou a existé sur une autre chaîne. Paris Première, c'est aussi la création, en trente ans, de plus de 100 programmes originaux. En ce qui concerne le "Zapping", effectivement, nous avons voulu proposer le nôtre. Il est évidemment différent de celui qui a existé sur Canal+ et propose notamment un Top 5 des tweets suivi du meilleur de la télé.
En 2003, "93, faubourg Saint-Honoré" a été l'une des premières émissions dîner de la télévision française. Est-ce qu'aujourd'hui vous retrouvez l'esprit de cette émission devenue culte dans d'autres formats ?
Ce serait un peu facile de répondre "C à vous". Je pense que le simple fait d'avoir un dîner autour d'une table n'est pas assez structurant pour dire qu'il s'agit d'un style en tant que tel. La vraie continuité de l'esprit "93", c'est le mélange des genres, qu'on a un peu instauré à l'époque. Avoir Miss France à côté d'un philosophe, ce n'était pas évident. Aujourd'hui, ce mélange des genres se retrouve un peu partout, notamment dans les émissions de Thierry Ardisson.
Entre 2007 et 2010, Philippe Vandel présentait "Pif Paf", une émission médias sur Paris Première. Aujourd'hui, l'actualité des médias, ça ne vous intéresse plus ?
Si, bien sûr. Paris Première a toujours cultivé une certaine curiosité pour la télévision. Que ce soit par la façon de la penser ou de la décrypter. La meilleure preuve, c'est qu'on relance un "Zapping". Il y a trois ans, en partenariat avec l'INA, nous sommes revenus sur soixante ans d'histoire télévisuelle. Il y a aussi la cérémonie satyrique des Gérard dont nous sommes très fiers et que nous diffusons depuis 2007. Maintenant, c'est vrai que nous n'avons plus d'émission consacrée aux médias comme "Pif Paf" qui, d'une certaine manière, annonçait déjà "TPMP". En vertu de notre appétit pour le sujet, on ne s'interdit pas qu'une émission médias revienne un jour. Il faudra juste que l'on trouve un angle neuf pour le faire.
Frédéric Taddéï sur France 3, "Stupéfiant" sur France 2, "Pop Up" sur C8... Les nouvelles émissions dites culturelles lancées à la rentrée tâtonnent. Sur Paris Première, "Ça balance à Paris" existe depuis 13 ans. C'est quoi le secret d'une émission culturelle qui dure ?
C'est l'éternelle question autour des émissions culturelles. Nous, notre positionnement est assez simple. En culture, c'est compliqué de faire original. Avec "Ça balance", on a une émission de pure critique, je ne vois d'ailleurs pas d'autres moyens d'être plus prescripteur en culture. On n'a jamais dévié de ce classicisme et on aurait tort de le faire. Bien sûr, on a apporté quelques petits changements au fil des années. Alex Vizorek nous a rejoints. Cette année, on a aussi Benoît Gallerey qui vient faire une chronique culturelle interactive. Mais la principale recette de "Ça balance", c'est sa continuité.
Vous vous dîtes parfois qu'avec la dimension culturelle qu'elle porte, Paris Première aurait pu être une chaîne publique ?
Beaucoup de nos émissions pourraient être sur le service public. C'est le cas de "Ça balance à Paris", des documentaires que nous proposons, de la captation de spectacles vivants. Après, ce qui est formidable avec Paris Première, c'est qu'on ne fait pas de la culture par obligation. Nous n'avons pas de cahier des charges à remplir, c'est juste dans notre ADN. Nous sommes très fiers d'être la chaîne privée la plus engagées aux côtés des artistes.
Le CSA a refusé le passage en gratuit de Paris Première à trois reprises depuis 2011. Une décision confirmée par le Conseil d'Etat en juillet dernier. La quatrième fois sera la bonne ?
Sur le gratuit, notre position est claire. Le CSA a refusé notre demande à trois reprises. Nous en avons pris acte. Maintenant, notre priorité doit être d'assurer la survie économique de la chaîne. Dans cet objectif, nous rencontrons actuellement les distributeurs de la chaîne et sondons leurs intentions concernant Paris Première. La plupart de nos contrats de distributions s'achèvent en décembre 2017. Il faut que la chaîne puisse être opérationnelle au 1er janvier 2018. D'ici là, nous ferons part au CSA de l'état de nos discussions avec les distributeurs. Si nous estimons que la viabilité économique de la chaîne n'est pas assurée, nous envisagerons une nouvelle demande.
Donc si les discussions vont dans le bon sens avec les distributeurs, vous ne referez pas nécessairement de quatrième demande ?
Il est trop tôt pour le dire. Tout dépendra de l'issue de la concertation avec les distributeurs. Nous en discuterons avec le CSA en début d'année.
Quand vous voyez qu'avec l'arrivée de LCI et franceinfo, la TNT gratuite s'est enrichie de 2 nouvelles chaînes d'information en à peine quelques mois alors que Paris Première reste bloquée en payant, ça vous agace ?
Je n'ai pas de commentaires particuliers à faire sur l'octroi de ces fréquences. Comme je vous l'ai dit, notre objectif, c'est que la chaîne soit économiquement viable. Compte tenu de la valeur ajoutée de notre ligne éditoriale, du taux de notoriété et de l'histoire de la chaîne, nous estimons que, dans l'intérêt du public, il faut sauver le soldat Paris Première.
En début d'année, Nicolas de Tavernost avait déclaré que si Paris Première n'obtenait pas la gratuité en décembre 2017, sa fermeture serait envisagée. Cette année on souffle ses 30 ans et l'année prochaine on enterre la chaîne ?
Vous comprendrez que je préfère ne pas envisager ce scénario.
Certains de vos concurrents ont dénoncé le maquillage des comptes de Paris Première et en particulier un déficit qui serait artificiel. Financièrement, comment se porte la chaîne aujourd'hui ?
Comme nous en avons fait état au CSA, la chaîne n'est pas en bonne santé financière. Paris Première a un modèle de financement hybride. D'une part, nous tirons nos revenus des recettes publicitaires. Hors, la multiplication des chaînes gratuites a tiré le marché du payant vers le bas. Cette première source de financement a donc structurellement périclité. C'est notamment pour cette raison que les rémunérations des distributeurs, deuxième source de financement, sont importantes. Sans ces recettes, nous ne pouvons pas survivre en modèle payant.
On vous a souvent reproché d'être un robinet à rediffusions, en particulier en journée. Le CSA s'était notamment appuyé sur cet argument pour refuser le passage en gratuit de la chaîne. Que répondez-vous à cela ?
Avec 15 millions d'euros de coût de grille, nous arrivons à proposer une programmation riche d'émissions originales, de documentaires et de spectacles inédits, de séries premium et de cycles cinématographiques d'exception. Faire cela avec ce budget, c'est un vrai petit miracle. Mais c'est vrai qu'avec ce coût de grille, on ne peut pas non plus avoir des programmes inédits toute la journée.
Vous n'êtes pas les seuls ceci dit. Quand on regarde la programmation en journée de certaines chaînes gratuites, c'est peu ou prou le même schéma...
Oui, nous n'avons vraiment pas à rougir plus que les autres. D'autant que nous ne rediffusons pas n'importe quoi. Des programmes comme "Drôles de dames", "Les Têtes Brûlées" ou "Amicalement vôtre" répondent à notre ligne éditoriale et sont, par ailleurs, très regardées par notre public, pour leur qualité et leur charme nostalgique.
Pour conclure, si vous ne deviez retenir qu'une seule émission des 30 ans de Paris Première ?
Je crois que l'émission qui était le plus à l'image de Paris Première, c'était "93, faubourg Saint-Honoré". Il y avait un côté intelligent, sulfureux et corrosif. C'était aussi une ambiance et un ton qui, à certains égards, rappellent à la fois ceux des émissions plus intimistes de Paris Première et ceux de ses émissions plus impertinentes.