Qu'il est loin le temps de la feel good TV ! Depuis quelques mois, tueurs, violeurs et kidnappeurs en tous genres envahissent vos écrans. Dernier exemple en date : M6 qui, lors de sa conférence de rentrée le 4 septembre dernier, a annoncé l'arrivée prochaine d'un nouveau magazine dédié en partie aux faits divers. Baptisée "Contre-enquête" et confiée à Jérôme Pierrat, cette nouvelle émission vient s'ajouter à la longue liste des programmes du petit écran déjà consacrés aux affaires criminelles.
Lundi 10 septembre, NRJ 12 a ainsi étrenné "Crimes et faits divers", une nouvelle quotidienne animée par Jean-Marc Morandini, déjà derrière "Crimes", diffusée chaque semaine en prime time sur le canal 12. Les chaînes info misent elles aussi sur le genre cette saison, encouragées par les bonnes audiences réalisées lors des éditions spéciales consacrées aux affaires Maëlys et Daval l'année dernière. En juin dernier, CNews a ainsi lancé en quotidienne "Le grand JT des faits divers" de Gilles Verdez. La concurrente LCI propose, elle, une tranche quotidienne en première partie de soirée traitant des affaires criminelles récentes ou anciennes. Plus prudente, BFMTV a pour sa part décidé de miser sur une émission hebdomadaire avec "Affaire suivante", emmenée par Dominique Rizet chaque week-end. Cette pluie de nouveaux programmes vient s'ajouter aux piliers historiques du genre que sont par exemple "Faites entrer l'accusé" de Frédérique Lantieri sur France 2 - dont la rumeur de disparition a mis récemment le PAF en émoi - ou encore "Enquêtes criminelles" de Nathalie Renoux sur W9, sans oublier "Chroniques criminelles" sur TFX avec Magali Lunel.
Mais le fait divers n'a même plus besoin de cases attitrées pour s'afficher à la télévision. Il infuse un peu partout dans les grilles, en prime time comme en avant-soirée. En juin dernier, C8 a ainsi proposé de plonger "dans la tête" de Nordahl Lelandais lors d'un prime évènement. La saison dernière, des émissions comme "C à vous" (France 5) ou "L'info du vrai" (Canal+) ont aussi consacré plusieurs émissions aux rebondissements survenus dans les affaires Maëlys ou Daval. Et ne parlons pas des "fictions du réel", ces téléfilms s'inspirant de faits divers, qui se multiplient sur les chaînes historiques, à l'image de "Jacqueline Sauvage : C'était lui ou moi", prochainement diffusé sur TF1. Mais alors pourquoi tant de crimes à la télévision française ?
"Parce que ça marche !", répondent en choeur les professionnels du secteur interrogés. Sans grande surprise, dans un paysage éclaté où le succès est de plus en plus rare et fugace, les chaînes ont décidé d'exploiter à fond un genre dont les affaires Maëlys ou Daval ont tristement montré le regain d'intérêt aux yeux des téléspectateurs. "La saison dernière a été marquée par deux faits divers d'ampleur exceptionnelle, de l'ordre de ceux qui passent les époques. Ces derniers ont logiquement provoqué un traitement médiatique important, qui a généré des audiences elles aussi importantes", analyse a posteriori Hervé Béroud, patron de BFMTV. "Ces deux faits divers ont remis ce genre d'histoires sur le devant de la scène. Les chaînes info ont donné le la aux autres", décrypte-t-il.
Plus que la seule audience qu'ils génèrent sur les individus de quatre ans et plus, ces programmes plaisent aussi de manière croissante aux fameuses ménagères, la cible commerciale préférée des chaînes privées. "Les ménagères sont friandes de ce genre d'émissions", confirme ainsi sans détour un producteur. "Elles le sont d'autant plus depuis la saison dernière", ajoute un expert des audiences de la télévision. Ainsi, "Enquêtes criminelles" affichait en 2017/2018 une moyenne FRDA-50 de 4,2%, en hausse de 1,3 point par rapport à la saison précédente. Même topo chez "Chroniques criminelles" de TFX, avec une part de marché moyenne chez les ménagères de 3,6% (+0,7 point sur un an).
Mardi 11 septembre dernier, NRJ 12 se félicitait aussi des bonnes performances FRDA-50 de "Crimes et faits divers" qui, avec 3,7% de part de marché la veille, permettait à la chaîne d'être leader TNT sur la cible commerciale sur sa tranche. Sur C8, le doc "Dans la tête de Nordahl Lelandais" diffusé le 5 juin avait quant à lui permis à C8 de se classer en tête de la TNT auprès des FRDA-50 avec 4,4% de part de marché. Des scores qui peuvent paraître modestes, mais qui ne le sont pas pour des chaînes à petit budget bataillant dans un univers à 27 chaînes.
Cette inflation de meurtres peut-elle cependant durer ? "Il faut savoir raison garder", met en garde Hervé Béroud, qui craint une rapide "lassitude" des téléspectateurs devant une offre si pléthorique. "Le genre s'épuise déjà", s'alarme un autre spécialiste des audiences. Et ce dernier de souligner les moins bons scores enregistrés récemment par les émissions consacrées aux affaires Daval et Maëlys, dont les mystères ont en partie été dissipés après les aveux des deux principaux suspects respectifs. De quoi présager un reflux des faits divers à la télévision ? "Les chaînes n'hésiteront pas à abandonner le genre aussi vite qu'elles l'ont massivement mis à l'antenne", prédit sans détour un cadre d'une chaîne historique. En attendant, la France n'a pas fini d'avoir peur en regardant la télévision.