Elle analyse ce qu'elle présente comme "l'agonie du journalisme". Dans les colonnes de "Marianne", cette semaine, Natacha Polony propose un édito revenant sur la grève des journalistes du "JDD" s'opposant à l'arrivée de Geoffroy Lejeune, ex-"Valeurs actuelles", et au changement de ligne éditoriale du magazine. Et la patronne de l'hebdomadaire souhaite ajouter de la nuance, en pointant une tendance globale liée à une méfiance des Français vis-à-vis de leurs médias.
"L'émoi qui agite le monde des médias depuis la prise en main du 'Journal du dimanche' par Vincent Bolloré effleure-t-il seulement les citoyens ? Rien n'est moins sûr. Et l'ensemble de la profession devrait s'en inquiéter davantage, sans doute, que de l'orientation future de l'hebdomadaire dominical", commence l'ex-chroniqueuse d'"On n'est pas couché". Et de poursuivre : "Non pas que l'arrivée à la tête du 'JDD' de Geoffroy Lejeune soit anodine. Encore faut-il analyser avec un minimum d'honnêteté intellectuelle les problèmes réels qu'elle pose".
Selon la journaliste, Vincent Bolloré "considère qu'il n'a pas plus d'égards à montrer aux journalistes qu'à une quelconque autre profession" : "Ce à quoi ces derniers ne sont pas habitués. Vincent Bolloré a acheté un média et il entend en faire ce qu'il veut. Privilège de l'argent, qui nie l'histoire de l'entreprise qu'il achète et le rôle des gens qui se sont employés à la faire vivre. Ce que le capitalisme fait, souvent dans l'indifférence des journalistes, à des entreprises de toute nature, suscite des levées de boucliers de la part de ces mêmes journalistes quand ils en sont les victimes".
Natacha Polony souligne "bien évidemment" qu'un "journal n'est pas une entreprise comme les autres" et qu'il "y est question d'idées et de convictions". "Un milliardaire a-t-il le droit d'effacer l'histoire d'un titre, de 'remplacer le peuple' de ses lecteurs ? Il y a là quelque chose de profondément choquant (et d'ailleurs d'assez idiot, au vu des audiences actuelles d'Europe 1). Hélas, on a parfois l'impression que ce qui déplait si fort à la majorité des journalistes n'est pas tant le fait qu'on puisse changer radicalement la ligne éditoriale d'un média que le fait que la nouvelle ligne soit ancrée dans un camp politique qui n'est pas le sien", estime la directrice de "Marianne", rappelant que "CNews incarne pour la profession une sorte de repoussoir diabolique qui permet de ne surtout pas s'interroger sur ce qui fragilise réellement le journalisme, du poids des annonceurs à celui des Gafam, en passant par la fracture désormais béante entre les citoyens et les médias".
"Si la rupture est consommée entre les citoyens et les médias, si les journalistes s'attirent plus de défiance que les hommes politiques, c'est parce qu'ils ont renoncé à analyser les causes et les modalités de la fragilisation des classes moyennes et populaires occidentales (...) Aujourd'hui, la détestation dont ils font l'objet permet à Vincent Bolloré d'appliquer sa purge. Mais les médias sont-ils fragilisés par ce milliardaire-là ou par le fait qu'ils ont besoin de milliardaires pour survivre ?", se demande Natacha Polony. Et de conclure : "C'est le journalisme dans son ensemble qui est en train de disparaître du faire des algorithmes de Google, du fait qu'il est plus facile de regarder une vidéo de trois minutes que de lire un article. Du fait que personne, pendant des années, ne s'est soucié de faire vivre la démocratie".