Il était là, laissé pour mort. Philippe Lançon, l'une des plumes de "Libération", faisait partie des journalistes présents dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo quand les frères Kouachi ont fait irruption le 7 janvier dernier. Il a survécu. La mâchoire arrachée, le critique littéraire a dû subir une longue phase de réadaptation et plusieurs opérations. Une reconstruction progressive racontée pour la première fois ce matin au micro de Léa Salamé, sur France Inter. Une interview réalisée à l'hôpital où le rescapé poursuit sa longue rééducation.
Philippe Lançon, qui en est à sa treizième opération, est d'abord revenu sur ce matin du 7 janvier. "Je n'y repense pas beaucoup. J'ai dû lutter pour me réparer et je suis encore dans cette lutte. J'ai l'image de Bernard Maris qui était encore à côté de moi", a-t-il exprimé, avant de confier avoir besoin d'un somnifère toutes les nuits pour s'endormir. "C'est impensable ce qu'on a vécu. L'entrée de ces deux hommes en noir, c'est comme dans une bande dessinée tragicomique, sauf que nous ne sommes pas à lire cette bande dessinée, nous étions dedans. Je ne peux pas penser cette scène comme quelque chose d'absolument sérieux. Il y a quelque chose qui reste de l'ordre du comique, d'horriblement comique", a assuré Philippe Lançon.
Le journaliste est aussi revenu sur la polémique lancée par Emmanuel Todd, avec son livre choc "Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse", qui décrypte la mobilisation géante du 11 janvier. "Quand j'ai lu les entretiens qu'il a donnés, j'ai vu un corbeau. C'est une vision que j'ai eue. Ces corbeaux qui se déposent sur des champs de cadavre une fois que la bataille est terminée. Ce qui m'a le plus agacé, c'est le mépris que je sens vis-à-vis des gens qui ont défilé et qui ont été horrifé par ces évènements. Il a fait une sorte de justification sous-jacente à la violence en faisant des frères Kouachi les représentants, implicitement, d'un peuple opprimé, et ça je ne peux pas l'admettre", s'est désolé le journaliste, visiblement très affecté par les écrits de l'historien.
A propos de la menace terroriste actuelle, Philippe Lançon a livré une analyse sans concession. "Il est encore beaucoup trop tôt pour comprendre ce qui est en train de se jouer dans les motivations des gens qui passent à l'acte. Que-ce qui est de l'ordre du social, du politique, du technique avec internet ? Tout ça se mélange. Le tri n'a pas été fait, donc tous les grands mots, toutes les déclarations à l'emporte-pièce, tous les livres à l'emporte-pièce qu'on peut lire ou entendre en ce moment me paraissent au minimum déplacés", a-t-il avoué. puremedias.com vous propose d'écouter l'intégralité de ce témoignage, recueilli par Léa Salamé pour France Inter.