Tout un symbole. Dans le dossier de presse concocté par TF1 pour célébrer les 20 ans de "Koh-Lanta" et présenter la nouvelle saison "all stars" à venir, baptisée "La Légende", une double page est consacrée aux aventuriers les plus suivis sur les réseaux sociaux, en particulier sur Instagram. Dans ce top 20, Jesta Assadi Hillmann occupe la première place avec pas moins de 1,5 million de fidèles. En 20 ans d'existence, "Koh-Lanta" a connu plusieurs révolutions, notamment celle de la médiatisation croissante de ses candidats. A tel point que certains anciens aventuriers sont aujourd'hui devenus des influenceurs à part entière.
Depuis le début des années 2010, les réseaux sociaux ont pris de plus en plus d'importance. Il apparaît impensable désormais pour tout aventurier connecté qui se respecte de ne pas posséder ses comptes officiels, sur Twitter ou sur Instagram. Sur Twitter, certains candidats ont pris l'habitude de live-tweeter les émissions avec leurs fans, renforçant en cela le sentiment d'appartenance à une communauté. Et chaque saison, la société de production Adventure Line Productions, qui produit le programme, publie même la liste des comptes officiels de chacun afin d'éviter toute confusion.
Ce "Koh-Lanta : La Légende" qui débutera le mardi 24 août a la particularité de réunir deux générations d'aventuriers : celle qui a vécu sa saison sans la pression des réseaux sociaux et la génération dite connectée, plus attentive à son image. Le sujet a été évoqué en toute franchise par une partie des anciens lors de la conférence de presse organisée dans les locaux de TF1 au début du mois de juillet : Christelle, candidate en 2008 et 2009 ; Jade, qui a participé à "Koh-Lanta" en 2007 et en 2009, Coumba (2005, 2010 et 2012) et Patrick (2009 et 2012). "Il y a vraiment un décalage entre l'ancienne génération et la nouvelle génération d'aventuriers. On n'a pas la même approche de l'aventure", constate Jade, dont c'était une des préoccupations. "C'est ce que je craignais en repartant. Je me suis demandé : 'est-ce-que les décisions qui seront prises seront sincères, est-ce-qu'il n'y aura pas cette implication-là des réseaux sociaux ?' Et finalement, ça c'est confirmé".
"La spontanéité se perd. Le côté stratégie était hyper prononcé cette saison", abonde Christelle. Et Jade de poursuivre ainsi son constat amer : "Il y a des gens qui te disent 'attention, si tu votes contre moi, ma communauté pourrait mal le prendre'. Au moment des prises de décision, les réseaux sociaux devaient être pris en compte par certains. Et c'est là qu'on a vu le décalage entre avant et après. Les décisions sont complètement faussées". Jade assure même que si elle est recontactée à l'avenir par la production pour une nouvelle aventure, elle dira non. "C'est une aventure qui psychologiquement m'a beaucoup affectée donc je ne repartirai pas", souffle-t-elle.
Coumba affirme pour sa part ne pas avoir voulu entrer dans le jeu de ces aventuriers. "Ce qui est dommage, c'est que les stratégies ne sont pas forcément sincères parce que certains font attention à ce qu'ils disent, à ce qu'ils font et ne se mouillent pas. Je trouve ça dommage de ne pas assumer", déplore la candidate de 38 ans. Elle évoque même des participants en démonstration permanente, attentifs à leur image dans les moindres détails. "Quand Denis nous convoque dans les épreuves et qu'on écoute les consignes, il y a du 'posing' chez certains (candidats qui prennent la pose, ndlr). C'est trop prononcé. Je demandais aux gens : 'mais quand est-ce-que tu vas être normal, que tu vas être toi ?'. Après, je ne juge pas, mais je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui manquent de confiance en elles", conclut-elle sans citer aucun nom.
Attentif à cet échange sans filtres, Patrick finit par donner sa vision de l'évolution de "Koh-Lanta" : "Par rapport à mes saisons précédentes, pour moi, aujourd'hui, c'est devenu de la télé-réalité. Que ce soit au niveau des profils ou des réseaux sociaux, ce n'est plus la même époque". "Ce ne sont pas les mêmes 'Koh-Lanta'", complète Coumba. Parmi l'ancienne génération, Ugo, vainqueur de la saison 12, ne se reconnaît pas dans cette analyse. "Je ne suis pas vraiment d'accord. Je ne l'ai pas vécu comme ça", affirme-t-il sans entrer dans les détails.
Alexia Laroche-Joubert, la patronne d'Adventure Line Productions, réfute le côté télé-réalité de "Koh-Lanta". Un reproche souvent visible... sur les réseaux sociaux. "Je dis toujours que même si vous enlevez les caméras dans 'Koh-Lanta', les gens s'inscriront. Un programme de télé-réalité, si vous enlevez les caméras, il n'y a plus personne... C'est vraiment un état d'esprit très différent", souligne la responsable. Son bras droit, Julien Magne, producteur du jeu d'aventures, semble même tomber des nues face au constat de l'ancienne génération. "Sur la ligne de départ, ils sont tous sur un pied d'égalité. Communauté ou pas communauté, ils ont tous un vote à la base. Et quel meilleur moyen pour avoir une communauté, si c'est leur objectif, que de performer dans les épreuves et d'être ultra présents dans une édition premium ? On va en discuter avec eux, mais ce ne sont pas les retours que nous avons eu de notre côté", certifie-t-il de sa voix posée.
Si la nouvelle génération d'aventuriers évoque la pression des réseaux sociaux, elle assure que cela n'empêche pas de rester naturel face à la caméra. "Jouer un rôle, ça n'a aucun intérêt. Faire 'Koh-Lanta', c'est montrer de quoi on est capable", certifie Alexandra, gagnante de l'édition "Les 4 Terres". "Dans Koh-Lanta, on dort mal, on mange mal, donc forcément le naturel finit par revenir au galop", songe Candice. "Le but c'est d'être soi-même", se défend Laurent. "J'ai appris à tourner sept fois ma langue dans ma bouche", reconnaît toutefois Clémentine, qui a été la cible de violentes critiques lors de sa première participation en 2017.
Denis Brogniart, lui, est bien conscient de l'importance prise aujourd'hui par les réseaux sociaux. "Je pense que c'est vrai avant et après l'aventure, mais que ce n'est pas vrai pendant, analyse-t-il. Pendant, c'est tellement dur et tellement compliqué que vous ne faites pas attention à votre apparence physique". L'incarnation historique de "Koh-Lanta" complète ainsi sa réflexion : "Il y a un impact fort des réseaux sociaux une fois que l'aventure est finie, que ça s'est bien passé et que vous êtes resté suffisamment longtemps, comme pour Cindy, qui en vit aujourd'hui. Mais je n'ai jamais vu des personnes modifier leur comportement pendant l'aventure par rapport aux réseaux sociaux". Et en la matière, la sentence d'Alexia Laroche-Joubert est irrévocable : "Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui font 'Koh-Lanta'".