"Snack Masters" : Quand M6 se fait vitrine de la malbouffe et de McDonald's

Vous pensiez les grands chefs français irréconciliables avec la malbouffe ? C'était sans compter sur M6 qui diffuse ce mardi 27 juin le premier numéro de "Snack Masters" où Thierry Marx et Yoann Conte, deux étoiles au guide Michelin chacun, se lancent dans la quête la plus paradoxale du paysage audiovisuel français. Durant une heure et demie, ces deux visages de la gastronomie française tentent le "défi extraordinaire", superlatif tiré directement de la bouche de Stéphane Rotenberg, de reproduire à l'identique la recette du Big Mac de McDonald's.

Tandis que la moitié de la population française présente un surpoids et 8,5 millions d'adultes souffrent d'obésité selon un rapport publié fin avril par le ministère de la Santé, M6 prend la problématique par l'autre bout en mettant la nourriture industrielle au coeur d'une compétition culinaire. Exit les belles valeurs de gastronomie anti-gaspillage auxquelles nous a habitués la chaîne, place à un véritable "Top Chef" de la malbouffe où le véritable héros, c'est le produit.

La production du show n'est pas avare de plans façon "pornfood" sur le hamburger "iconique", dont le goût est "reconnaissable entre mille", avec son pain "bien dense" et sa sauce "que tout le monde connaît". L'émission rhabille le hamburger phare de McDonald's l'élevant au rang de "produit culte". "Cette émission est un grand divertissement qui nous permet de comprendre ce qu'on mange", défend Matthieu Jean-Toscani, qui produit l'émission pour Kitchen Factory Production.

Si le programme est l'adaptation d'un format étranger, sa version française a été "développée pendant deux ans et demi en s'adaptant aux exigences de l'Arcom", le gendarme de l'audiovisuel français. "On a voulu donner des éléments qui n'existent pas dans la version étrangère, c'est-à-dire un éclairage sur l'historique ou les concurrents des marques. Si on parle du Big Mac, on va aussi parler de Big Fernand par exemple."

Couche après couche, les deux chefs mis en scène par le programme tentent de reproduire la recette tandis qu'un panel d'experts - dénichés dans les rédactions de la presse spécialisées dans la restauration - détaille ce qui fait la force de chaque ingrédient. Et McDonald's s'est invité jusque dans le jury chargé d'élire le vainqueur de ce défi sans gain précis.

"Ça fait une sacrée pub pour les enseignes de fast-food", se désole Nathalie Louisgrand, enseignante chercheuse à l'école de management de Grenoble et spécialiste de la haute gastronomie et des carrières des chefs. Car sous couvert d'une grande enquête dans les usines qui produisent les plats au menu de l'enseigne de restauration rapide, on a plutôt l'impression d'assister à un vaste placement de produit qui vante à la fois la success story de ce type de hamburger en France et son goût. "Le consommateur a besoin de transparence et les marques le comprennent et donc elles ouvrent leurs usines pour montrer que derrière un Big Mac, à la base, c'est un petit restaurant des Etats-Unis qui a eu l'idée magnifique et ingénieuse de créer quelque chose qui s'est ensuite industrialisé. Mais à la base, ça part d'un petit commerce artisanal", précise le producteur qui assure que l'émission n'est pas sponsorisée par la marque de restauration rapide.

Camille Delcroix, vainqueur de la neuvième saison de "Top Chef" est chargé d'intégrer les usines de fabrication de McDonald's pour mettre le doigt sur les secrets des recettes de la marque. "Je vais vous poser les questions qui fâchent", assure-t-il lorsqu'il se penche sur la provenance de la viande du Big Mac. Tout est question de rhétorique puisque la réponse n'est ni inédite ni étonnante : elle est disponible en accès libre sur le site internet de la chaîne de restauration rapide.

Caution scientifique, une nutritionniste apparaît à trois reprises. Elle donne des informations nutritionnelles sur la composition des produits. Sur une heure et demie d'émission, ses interventions n'excèdent pas deux minutes. Sa parole se limite à des pistes d'amélioration pour des hamburgers plus sains comme par exemple des steaks n'excédant pas les 5% de matières grasses. Mais l'information n'est jamais confrontée aux informations délivrées par McDonald's. Aucun commentaire ou critique n'est formulé lorsqu'on apprend plusieurs minutes plus tard que la viande du Big Mac est composée entre 18 et 20 % de matières grasses.

"Forcément, tous les chefs ne veulent pas participer à ce programme", dévoile Matthieu Jean-Toscani. "Ce n'est pas parce que vous êtes un grand chef que vous ne connaissez pas le snacking, le fast-food. Tout le monde a mangé une fois dans sa vie un hamburger parce qu'il avait besoin de manger quelque chose en sortant du boulot tard ou avec ses enfants."

Nathalie Louisgrand voit dans la posture des chefs participant au défi "Snack Masters" un véritable contre-emploi. D'autant qu'un second épisode a déjà été mis en boîte avec les chefs Juan Arbelaez et Emmanuel Renaut. "Pour des téléspectateurs moins sensibilisés, leur présence peut être une forme de validation de la marque car à aucun moment ils ne disent que ce n'est pas bon." Après avoir été membre du jury de "Top Chef" et Meilleur ouvrier de France cap sur le titre de "Snack Masters" pour Thierry Marx qui parle du Big Mac comme d'un "produit diablement intelligent" alors qu' il s'indignait début mai auprès de l'INA de la montée en puissance d'enseignes telles que... McDonald's.

Il dénonçait alors "une alimentation à deux vitesses, une alimentation de gens qui peuvent comprendre ce qu'ils mangent et avoir un reste à vivre suffisant pour aller dans d'autres choses que cela et certains qui rentrent dans une alimentation hyper industrialisée. Et le résultat de tout ça c'est une santé publique qui est très déséquilibrée, aujourd'hui on a une explosion du diabète de type 2, tous les médecins le confirment, on a un marqueur fort de la pauvreté qui est l'obésité, etc. Donc évidemment il y a une grande part de responsabilité dans ce type de restauration." Responsabilité qui n'empêche pas de reproduire ses recettes et de la mettre sur un piédestal, donc.